Bonnes feuilles
Sidaction : quelle est l’origine de l’épidémie de VIH ?
A l'occasion du Sidaction, Pourquoi Docteur publie les bonnes feuilles du livre "Une histoire de la lutte contre le sida" (Nouveau Monde Editions), d'Olivier Maurel et Michel Bourrelly (extrait 1/2).
■ Quand a-t‑on commencé à parler du sida ?
Tout commence par un article publié aux États-Unis le 5 juin 1981 dans le bulletin du CDC (Center for Disease Control, agence gouvernementale américaine de santé publique dont le siège se situe à Atlanta) . Celui-ci va transformer pour toujours la relation entre le monde de la médecine et les patients en décrivant l’observation, dans trois hôpitaux de Los Angeles, de cinq malades présentant les mêmes symptômes : une pneumonie, appelée pneumocystose, aux conséquences dramatiques quand elle apparaît chez des patients immunodéprimés, accompagnée de candidoses (champignons). Pour deux des cinq patients, l’issue a rapidement été fatale et les médecins ont été interrogés par cette nouvelle maladie qui frappait des jeunes gens auparavant en bonne santé.
Un certain nombre de points communs pouvaient laisser penser que cette maladie avait une origine similaire. Il s’agissait de cinq hommes homosexuels, dans la trentaine, ayant consommé de la drogue. Le terme d’épidémie n’est pas encore utilisé et il ne le sera pas avant plusieurs années. Mais après la publication de cet article, les recoupements vont s’enchaîner.
Le 4 juillet 1981, un nouveau numéro de la même revue révèle qu’une trentaine d’autres jeunes homosexuels, pour la plupart résidant à New York, sont atteints d’un cancer de la peau, le sarcome de Kaposi. Huit d’entre eux sont décédés. Ces premières informations alimentent pendant un temps l’hypothèse d’un « cancer gay », d’une maladie étroitement liée aux pratiques homosexuelles ou à la prise de drogue.
Les couvertures de la presse et la confrontation à des cas plus ou moins proches vont créer une effervescence dans les milieux homosexuels de tous les pays. Ce sera particulièrement le cas aux États-Unis où la libération sexuelle avait fait émerger une communauté relativement organisée, qui fera assez vite bloc face à cette terrible maladie.
En 1982, les premiers cas français apparaissent et quelques médecins se mobilisent. Ainsi, à l’hôpital Claude-Bernard à Paris, Willy Rozenbaum contacte l’Institut Pasteur et l’équipe de Luc Montagnier. C’est Françoise Barré-Sinoussi qui se penche sur le problème, étant donné ses travaux sur les relations entre les rétrovirus et le cancer. En janvier 1983, à partir de la mise en culture d’un prélèvement effectué sur l’un des patients de Willy Rozenbaum, les chercheurs isolent un virus identifié sous le nom de lymphadenopathy associated virus (LAV). Cette découverte est publiée le 20 mai 1983 dans une totale indifférence. Pour avoir isolé en 1980 le premier rétrovirus humain (HTLV-I) chez des malades leucémiques, l’équipe américaine de Robert Gallo fait un lien entre sa découverte et ce nouveau syndrome. Un an plus tard, elle isole un rétrovirus chez des malades atteints du sida. Il est baptisé HTLV-III.
En fait, LAV et HTLV-III s’avèrent être un seul et même virus, rebaptisé HIV/VIH par la communauté scientifique en 1986. Après un certain nombre d’imbroglios politicoscientifiques, la communauté internationale reconnaîtra la paternité du VIH à l’Institut Pasteur, notamment par l’attribution du prix Nobel de médecine à Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi, en 2008 (tous ces épisodes sont racontés en détail au chapitre 1).
En 1985, un deuxième type appelé VIH-2 est isolé par Souleymane Mboup, au laboratoire de l’hôpital Le Dantec de Dakar. Selon divers spécialistes, le VIH-2 serait présent depuis plusieurs générations au sein des populations africaines. Peu fréquent et peu pathogène, il est demeuré longtemps inaperçu. Le VIH-2 a sans doute été le type majoritaire en Afrique avant d’être aujourd’hui supplanté par le VIH-1. Très proches, ces deux virus (VIH-1 et VIH-2) partagent 42 % de leur patrimoine génétique.
■ Quelle est l’origine de l’épidémie ?
On connaît désormais de façon certaine l’origine simiesque du VIH. Le virus d’immunodéficience simienne (VIS en français et SIV en anglais pour simian immunodeficiency virus) est un rétrovirus ayant de nombreuses souches et touchant une quarantaine d’espèces de primates non humains. Ce virus est responsable du syndrome d’immunodéficience acquise du singe (SIDAS). Le VIS peut passer d’une espèce de singe à l’autre et même à l’homme. C’est probablement par des morsures de singes, des écorchures lors du dépeçage ou lors de la consommation de viande de brousse que cette transmission à l’homme a pu s’effectuer.
Si l’épidémie de sida est identifiée au cours des années 1980, le VIH est apparu bien plus tôt au XXe siècle. Dans son ouvrage Histoire du sida, Mirko Grmek décrit parfaitement des cas de « maladie sida » qui ont pu être dénombrés rétrospectivement dans le monde entier.
Que s’est-il passé entre ces quelques cas sporadiques et cette épidémie qui va déferler sur la planète ? Les changements dans les habitudes et modes de vie d’une grande partie des humains, que ce soit en Afrique, en Amérique ou en Europe, vont être un facteur d’extension de la maladie. Après la décolonisation européenne des années 1960, les guerres et l’exode rural en Afrique vont exacerber les mouvements de population. Il semble aussi que le virus ait fait un détour par Haïti entre 1966 et 1969, pour finalement atteindre massivement les côtes américaines et plus largement les pays riches, à la fin des années 1970.
La libération sexuelle, la consommation croissante de drogues par voie intraveineuse, la demande importante de transfusions sanguines et le développement du transport (qui a facilité les déplacements de masse) : autant de facteurs qui vont agir comme des catalyseurs et transformer quelques cas endémiques en une pandémie qui traverse les frontières, les cultures, les milieux sociaux et les religions. Le sida est ainsi, lui aussi, une des conséquences de la mondialisation.
Pour en savoir plus, lisez : "Une histoire de la lutte contre le sida" (Nouveau Monde Editions), d'Olivier Maurel et Michel Bourrelly.