Témoignage patient
Greffe : “J’ai la responsabilité de vivre pleinement ma vie”
Atteinte d’une malformation cardiaque congénitale, Emmanuelle a dû subir une greffe avant ses 10 ans. Si cette opération lui a permis d’être une enfant et adolescente comme les autres, son arrivée sur le marché du travail s’est révélée plus complexe. Son parcours personnel et professionnel lui a donné un objectif : faire bouger les lignes pour améliorer l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les entreprises.
Dès la naissance d’Emmanuelle, les médecins ont remarqué un souci : elle avait un souffle au cœur et des signes visibles d’insuffisance respiratoire. "Mes parents ont consulté sur-le-champ un cardiologue à Paris. Il leur a expliqué que ce n’était pas un souffle au cœur, mais une tétralogie de Fallot, une malformation cardiaque congénitale, et qu’il fallait rapidement m’opérer, car je ne pourrai pas survivre comme ça", explique la jeune femme.
La toute petite Emmanuelle présentait une forme un peu particulière de la plus fréquente des cardiopathies congénitales cyanogènes : elle avait une communication interventriculaire et son poumon gauche n’était pas relié au cœur, car il lui manquait une partie du tronc de l’artère pulmonaire. "J’ai su beaucoup plus tard que ma pathologie était liée à une maladie génétique rare appelée le syndrome de DiGorge aussi appelé 22Q11 car il s’agit d’une délétion du chromosome 22", ajoute la quadragénaire.
Plusieurs opérations ont été réalisées pendant son enfance pour réparer son système cardiaque défaillant, jusqu’à ce que la seule option pour lui assurer la vie sauve soit une greffe.
Greffe : "la douleur, cela me marque encore aujourd’hui"
En 1992, alors qu’elle avait 9 ans, les médecins ont décidé de la mettre sur la liste d’attente de greffe, car elle a besoin d’un nouveau tronc pulmonaire ainsi que d’une nouvelle artère pulmonaire gauche et d'une communication inter-ventriculaire pour continuer à grandir.
"La greffe humaine que j’ai reçue était la troisième opération que je subissais. Au début, ils ont rafistolé comme ils pouvaient. Ils ont “fait de la plomberie" comme disait le Professeur Francine Leca, spécialisée en chirurgie cardiaque et pionnière de la discipline en pédiatrie, qui m’avait opérée”, se souvient Emmanuelle. "Dans les années 80, les greffes des tout-petits n’étaient pas encore possibles, donc le but était de nous faire tenir suffisamment longtemps pour pouvoir nous offrir cette opportunité."Liste d’attente, greffe, greffons, opération, chirurgie à cœur ouvert… Enfant, Emmanuelle n’a pas perçu l’ensemble des risques ou des implications de sa situation. "Adulte, on réalise que notre survie implique le décès d’une personne. Enfant, pas véritablement. On est préparé par les médecins à l’opération, à être intubé, à la douleur et on voit surtout qu’on pourra faire les choses qui nous sont interdites comme courir dans la cour de l’école avec les copains", explique-t-elle.
C’est à ses “9 ans trois quarts” que la sonnerie tant attendue a raisonné. Et Emmanuelle avait été très bien préparée par l’équipe médicale. Elle n’a eu aucune appréhension au moment de la greffe, ni même à son réveil ou pendant ses 3 jours en réanimation. C’est finalement pendant son hospitalisation post-chirurgie qu’elle a fait face à une difficulté de taille : la douleur.
"Cela me marque encore aujourd’hui. Dans les années 90, la gestion et la prise en charge de la douleur n’étaient pas les mêmes que maintenant, d’autant plus chez les enfants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui heureusement. Mais à l’époque la douleur n’était pas trop prise en compte lors des soins, et cela même, si l’équipe était bienveillante", explique la jeune femme.Cette évocation lui fait d’ailleurs remonter un souvenir : "Mes veines étaient tellement piquées que les infirmières ne parvenaient plus à me faire de piqûres. Il a alors été décidé de la faire en artérielle. Là aussi, elles ont dû s’y reprendre plusieurs fois. L’équipe a été obligée de faire sortir ma mère, car je hurlais à la mort à cause de la douleur. C’est un point un peu traumatisant, plus même que d’autres éléments qui auraient pu être marquants comme le réveil où on est intubé." Heureusement, les enfants récupèrent très vite. Quinze jours après sa greffe, Emmanuelle a pu rentrer chez elle… et surtout, vivre pleinement sa vie sans l’entrave de la maladie. Greffe : "j’ai une responsabilité : celle de vivre pleinement ma vie"
Et si la petite Emmanuelle “9 ans trois quarts” n’avait pas forcément pris conscience des implications de la greffe, son donneur et ses proches ont rapidement accompagné ses pensées.
"Le fait de recevoir cette greffe m’a apporté de l’insouciance, mais aussi très tôt, une prise de conscience que j’avais une responsabilité : celle de vivre pleinement ma vie et de ne pas faire n’importe quoi. Une façon d’honorer et de dire merci aux parents de ce jeune adolescent décédé qui a permis que je vive grâce à ce don d’organe."En 2012, les médecins ont ainsi annoncé à Emmanuelle qu’elle allait avoir besoin d’une nouvelle greffe. “J’avais trente ans et des projets de grossesse donc ce n’était pas forcément évident à entendre.” Mais finalement, ils lui proposent d’intégrer un protocole expérimental moins invasif pouvant éviter une nouvelle intervention à cœur ouvert.
"Cela reposait sur une opération par cathéter. La sonde qui était au niveau de l’aine permettait de remonter jusqu’au cœur. Par ce biais, ils ont posé une valve appelée Melody à l’intérieur de ma greffe. Ils m’ont aussi posé des stents afin de ralentir la calcification de l’organe greffé. C’était un protocole expérimental avec 60 patients. On nous avait dits que cela durerait 5 ans. Moi, j’en suis à 11 ans aujourd’hui."Emploi et maladie : "dans le monde du travail, cela a été beaucoup compliqué"
Et si la greffe permet à Emmanuelle de pleinement profiter de la vie, elle a, tout de même, fait face à des obstacles en arrivant sur le marché de l’emploi.
"Le suivi cardiaque, quand on est enfant ou adolescent, n’est pas très problématique. On loupe des cours, mais il est possible de les rattraper. Dans le monde du travail, cela a été beaucoup plus compliqué. Je cherchais un emploi quand tout allait bien, mais au moment où cela allait moins bien - quand les rendez-vous se rapprochaient justement - il pouvait y avoir une baisse de performance à cause de la fatigue ou de la gestion des rendez-vous médicaux. Ce n’était pas toujours bien compris par l’entreprise. Et cela devenait compliqué de maintenir un emploi alors qu’en réalité j'essayais de prendre soin de ma santé."Après plusieurs expériences professionnelles compliquées, la détentrice d’un Master en ressources humaines trouve la solution après un bilan de compétences : devenir référent handicap. "C’est la personne qui accompagne les directions d’entreprise dans la mise en place de stratégie et politique handicap pour développer l’inclusion des personnes en situation de handicap au sein de la société", explique Emmanuelle.
Lors de sa formation, elle rencontre Magalie, maman d’un enfant polyhandicapé qui a aussi rencontré des difficultés lors de l'inclusion scolaire. “Nos parcours de vie ont bien matché et on a eu l’idée de travailler ensemble.” Ensemble, elles ont fait un constat : depuis 2020, les entreprises de plus de 250 salariés doivent avoir un référent handicap. Pourtant, l’accès au monde du travail ne s'est pas vraiment amélioré pour les malades chroniques ou travailleurs en situation de handicap. Et pour cause, le salarié nommé est souvent pas ou peu formé à ce métier et à l’ensemble de ses spécificités. "Par ailleurs, les PME qui n’ont pas cette obligation, doivent aussi avoir 6 % de travailleurs en situation de handicap, mais elles ne savent pas forcément comment s'y prendre pour répondre à leurs besoins ou les recruter." Pour aider à faire face à ces besoins, les deux femmes ont fondé ensemble Cap & Pro France, un réseau réunissant des référents handicaps indépendants. "Cette structure chapeau permet de mutualiser des moyens techniques et de communication pour les référents handicaps indépendants. Il s’agit d’une association donc elle n’a pas de but lucratif. Il y a eu des prémices avant la covid, mais notre réseau est véritablement né en 2021." Et pour Emmanuelle, c’est dans la reconnaissance de la “capabilité” des 12 millions de personnes en situation de handicap que la France deviendra réellement inclusive. Référent handicap : "j’aide à faire bouger les lignes sur le sujet de l’inclusion"
Son objectif ? Accompagner et conseiller les entreprises sur la mise en place et le suivi de leur politique handicap dans le cadre de leur RSE. Désireuses de favoriser l’inclusion dans le monde du travail, les deux cofondatrices ont également développé un volet formation permettant de communiquer et d'échanger sur le sujet du handicap au sein de l’entreprise ou d’autres structures comme les écoles ou les institutions. "On propose également l’accompagnement des projets professionnels. Nous aidons les personnes en situation de handicap à adapter leur projet en fonction de leurs contraintes de santé, mais aussi leur capabilité : c'est-à-dire leur capacité à faire les choses, mais aussi à pouvoir agir."