Goutte : l'acide urique bas protège de la crise douloureuse
La goutte est une maladie inflammatoire extrêmement douloureuse des articulations. Elle est liée à un taux d’acide urique trop élevé dans le sang et dans les tissus, et qui précipite en cristaux lors des crises d'arthrite aiguë. Seule la diminution progressive et soutenue de l'uricémie permettra de guérir la maladie, encore faut-il descendre au-dessous de 60 mg/l.
Par le Dr Jean-Paul Marre, rhumatologue, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris
Des mots pour les maux
La goutte est une maladie articulaire inflammatoire avec des crises aiguës de type « arthrite à microcristaux ».
Elle est liée à un taux d’acide urique trop élevé dans le sang (hyperuricémie), ainsi que dans le corps, dont la précipitation aboutit à la formation de microcristaux.
Les microcristaux, que l’on peut retrouver dans le liquide inflammatoire de l’articulation, au moyen d’une ponction articulaire, déclenchent une arthrite inflammatoire aiguë avec un syndrome inflammatoire.
L’origine de la goutte est liée à un trouble de l’élimination de l’acide urique dans la goutte primitive, mais un certain nombre d’autres maladies peuvent être à l’origine d’une goutte secondaire.
Qu'est-ce que la goutte ?
La goutte est une maladie liée à une inflammation aiguë des articulations en rapport avec des dépôts d’acide urique qui provoquent des douleurs articulaires très violentes. Elle est causée par un trouble du métabolisme de l’acide urique qui est responsable d’une élévation de l’acide urique dans le sang, les articulations et les différents organes du corps.
La goutte se manifeste par des crises d’arthrites douloureuses qui sont directement secondaires à la formation de cristaux d’acide urique dans les articulations. Des accès de goutte récurrents, et spontanément résolutifs en plusieurs semaines, peuvent entraîner à terme des lésions articulaires permanentes : plus de 50 % des personnes qui ont une crise de goutte souffriront d’une rechute pendant l’année.
La forme de goutte aiguë la plus fréquente se manifeste par des douleurs de la base du gros orteil en rapport avec une arthrite de la 1ère articulation métatarso-phalangienne. Cependant, il n'est pas rare que d’autres articulations, comme les chevilles, les genoux et les mains, soient touchées.
L’augmentation du taux d’acide urique dans le sang, et la goutte, peuvent être associées à diverses autres maladies qui peuvent donner un accroissement du risque de maladie cardiovasculaire, d’hypertension, de calculs rénaux, d’obésité et d’hyperlipidémie.
Un diagnostic et une prise en charge précoces de la goutte réduisent le risque de destruction des articulations, d’atteinte des reins et du système cardiovasculaire, et guérissent la maladie. La modification des habitudes de vie constitue un aspect-clé du traitement.
Quels sont les signes de la crise de goutte ?
La crise de goutte apparaît le plus souvent de façon très brutale, comme une inflammation articulaire très douloureuse (arthrite) qui débute généralement la nuit.
L’arthrite goutteuse se traduit par une articulation gonflée et rouge (voire de couleur violine). La douleur articulaire est très intense, pulsatile, si bien que même le poids d’un drap devient insupportable. La douleur peut être associée à une fièvre modérée à élevée (jusqu’à 39° C), parfois accompagnée de frissons, ce qui évoque normalement une infection articulaire, au premier chef. La douleur est ressentie comme une « fracture des os » ou une « morsure ». Elle gêne la marche et empêche le sommeil.
Le point le plus caractéristique est que la crise de goutte va durer de quelques jours à quelques semaines et peut ensuite disparaître spontanément, sans aucun traitement, et tout va rentrer dans l’ordre sans séquelle… jusqu’à la prochaine crise. Les premières crises sont plus courtes et souvent moins intenses que les suivantes. Parallèlement à la guérison de la crise, la peau de l’orteil s’en va (elle « desquame ») et peut se détacher comme une pelure d’oignon. A la fin de la crise, l’aspect de l’articulation est redevenu normal.
La première crise de goutte n’atteint le plus souvent qu’une seule articulation du membre inférieur. Celle-ci touche préférentiellement l’articulation du gros orteil (1ère métatarsophalangienne). Les autres articulations sont plus rarement touchées, car la formation des microcristaux d’urate est favorisée par une température plus basse : les articulations du pied sont donc touchées de préférence. Ultérieurement, plusieurs articulations peuvent l’être (toute autre articulation du pied, une main, un coude ou un genou), voire les tendons (tendinite goutteuse) ou les bourses séreuses péri-articulaires (bursite goutteuse).
Si le malade goutteux n’est pas traité, il va faire une crise de temps en temps (tous les un à deux ans), puis les crises vont se rapprocher, mais dans l’intervalle entre deux crises, tout est normal.
En général, surtout lors des premières crises, une seule articulation est touchée. C’est la phase de goutte aiguë. Il arrive que plusieurs articulations soient touchées en même temps, on parle alors de polyarthrite goutteuse.
Quel est le risque de laisser se répéter les crises ?
Au fil des années, et en l’absence de traitement adapté, non seulement les crises sont plus fréquentes, mais la période entre deux crises n’est plus totalement normale : il persiste des douleurs articulaires « intercritiques », l’articulation se déforme à la radiographie et finit par se détruire, avec apparition d'une arthrose, donnant les douleurs moins intenses mais permanentes : on parle alors de goutte chronique.
A ce stade, les dépôts d’acide urique dans les tissus sont majeurs et peuvent se manifester sous la forme d’amas de cristaux indolores (on parle de tophus goutteux), parfois visibles sous la peau et dans les articulations. Les tophus se forment non seulement dans les articulations, dans et autour des os, mais également sous la peau, dans des endroits sans rapport avec l'articulation touchée par les crises, notamment au niveau de la partie cartilagineuse du pavillon de l’oreille, du coude, du gros orteil, du talon.
Les problèmes rénaux, et en particulier les calculs du rein, non visibles à la radiographie (lithiase rénale « radio-transparente »), sont également fréquents chez les personnes souffrant de goutte non traitée. A long terme, du fait des dépôts d’acide urique dans le rein (néphrite interstitielle), mais surtout de l’hypertension artérielle, fréquemment associée, et de la surconsommation d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) contre les douleurs, le rein finit par ne plus fonctionner correctement, ce qui conduit à l’insuffisance rénale et à la dialyse rénale.
A quoi sont dues les crises de goutte ?
La goutte est ordinairement associée à une forte concentration d’acide urique dans le sang, état appelé « hyperuricémie ». Cependant, l’hyperuricémie n’entraîne pas toujours la goutte.
En temps normal, l’acide urique est présent en faible quantité dans le sang (inférieur à 60 mg/l soit 360 µmol/l) et excrété par les reins. La capacité à maintenir l’acide urique sous une forme soluble est une fonction importante de l’organisme dont sont privées les personnes atteintes de goutte. Divers facteurs peuvent causer une hyperuricémie, dont l’accroissement de la production d’acide urique et la diminution du taux d’élimination de cette substance par le rein.
En cas d’hyperuricémie chronique, les microcristaux d’acide urique sont dissous dans le sang, et dans tous les tissus en trop forte concentration Si les conditions locales sont favorables, ils précipitent la crise. Dans une articulation, cette précipitation entraîne une inflammation locale (arthrite à microcristaux), responsable de la crise de goutte aiguë.
Au bout de 5 à 10 jours, pour différentes raisons, et en particulier l’arrêt de la libération de substances anti-inflammatoires par l’organisme, le cercle vicieux de la crise de goutte s’interrompt de lui-même, malgré la persistance des cristaux dans l’articulation.
Quelles sont les causes de la goutte ?
Le taux sanguin de l’acide urique résulte de la différence entre sa production et son élimination. La production de l’acide urique provient, majoritairement, du renouvellement des cellules de l’organisme (produit de dégradation de l’ADN contenu dans les noyaux des cellules) et, en quantité moins importante, de l’alimentation. L’élimination de l’acide urique est assurée principalement par les reins.
La goutte est le plus souvent une maladie familiale et héréditaire où il existe une limitation de l’élimination de l’acide urique par le rein, ce qui conduit à l’hyperuricémie : il s’agit d’une anomalie d’origine génétique du métabolisme de l’acide urique.
Mais plusieurs facteurs augmentent le risque d’hyperuricémie et de goutte :
• Une alimentation trop riche en protéines animales augmente le risque d’hyperuricémie. Les protéines sont des aliments à forte teneur en purines, éléments constitutifs de l’acide urique, qui peuvent élever son taux sanguin. Ces aliments comprennent essentiellement la viande rouge, les abats et les fruits de mer.
• Une consommation trop importante de bière (même sans alcool), d’alcool fort, ou de sodas sucrés est un facteur majeur d’hyperuricémie, même sous traitement hypouricémiant. L’alcool et le fructose, qui entre dans la composition de certaines boissons rafraîchissantes, peuvent également augmenter le taux d’acide urique. La bière a une teneur élevée en purine qui augmente l’effet hyperuricémiant de l’alcool.
• Certains médicaments peuvent entraver l’excrétion de l’acide urique par les reins. Il s’agit essentiellement des diurétiques, utilisés dans le traitement de l’insuffisance cardiaque ou rénale, et de l’aspirine à faibles doses (acide acétylsalicylique ou ASA). Mais d’autres médicaments sont hyperuricémiants : cyclosporine, tacrolimus, ethambutol, pyrazinamide, anticancéreux cytolytiques, corticoïdes, oméprazole et antiviraux (ritonavir et didanosine).
L’obésité, l’hypertension et le diabète ont un lien particulier avec l’hyperuricémie et la goutte.
Certaines gouttes sont provoquées par des maladies et on parle de goutte secondaire. Dans la plupart des cas, l'excès d'acide urique dans le sang est dû à un excès de destruction des cellules et des nucléoprotéines (ADN) contenues dans leur noyau. C’est le cas au cours : des cancers du sang (maladie de Vaquez, leucémies, myélome, traitements cytolytiques) et des cancers d’autres organes, des anémies hémolytiques, des brûlures étendues et des intoxications par le plomb (saturnisme). En revanche, dans l’insuffisance rénale, qui est une cause de goutte, il existe une baisse de l’excrétion de l’acide urique.
Chez l'enfant enfin, certaines maladies sont à l’origine d’une goutte : maladie de Lesch et Nyhan (choréo-athétose, encéphalopathie, automutilation), glycogénose de type 1.
Quels sont les rapports entre insuffisance rénale et goutte ?
L’hyperuricémie et ses manifestations cliniques sont fréquemment rencontrées chez les personnes souffrant d’insuffisance rénale chronique, de même que chez les transplantés rénaux.
Les manifestations cliniques (arthrite goutteuse, lithiase urinaire) peuvent avoir d’importantes conséquences, tant sur la qualité de vie du malade, que sur l’évolution de la maladie du rein (néphropathie). De récents travaux scientifiques ont mis en évidence l’interdépendance de l’hyperuricémie avec l’altération de la fonction rénale.
Chez les personnes souffrant d’insuffisance rénale chronique ou chez les transplantés rénaux, le traitement classique de la goutte doit absolument être adapté. En effet, l’utilisation concomitante de diurétiques, et les interactions médicamenteuses, modifient l’hyperuricémie, l’efficacité des traitements, ainsi que leur tolérance.
Chez les patients dialysés en revanche, il existe une nette diminution de l’incidence des crises de goutte dans les deux ans suivant l’initiation du traitement par dialyse.
Qui est le plus souvent touché par la goutte ?
Les hommes sont plus souvent touchés que les femmes par la goutte. Mais, après la ménopause, les femmes voient leur risque de goutte atteindre un niveau équivalent à celui des hommes. Les femmes sont d'autant plus touchées qu’elles prennent des médicaments favorisant l’hyperuricémie, comme les antihypertenseurs et les diurétiques. Par ailleurs, le traitement hormonal substitutif éviterait cette augmentation du risque.
Chez la femme, la goutte est beaucoup moins bruyante que chez l'homme. Les douleurs articulaires vont et viennent, plus ou moins intenses. La présentation est plus souvent celle d’une polyarthrite. Il n'y a pas d'inflammation majeure, mais le handicap est aussi important.
Chez l’enfant, la goutte est possible dans certaines maladies rares (maladie de Lesch et Nyhan, glycogénose).
Quels sont les facteurs déclenchant des crises de goutte ?
Une crise de goutte peut être déclenchée dans un certain nombre de situations :
• Traumatismes physiques (chaussures trop serrées, marche prolongée, choc),
• Situations dites « de stress » (stress, surmenage, intervention chirurgicale),
• Infections (grippe, pneumonie, bronchite aiguë),
• Infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral,
• Arrêt brutal ou mise en route de certains médicaments (aspirine, diurétiques), ainsi que ceux qui servent à réduire l’uricémie (allopurinol, febuxostat, probénécide, benzbromarone),
• Apport trop faible en boissons (eau essentiellement),
• Froid : la formation des microcristaux d’urate est favorisée par une température plus basse (ce qui explique que les articulations du pied soient touchées de préférence).
Quelles sont les conséquences à long terme de l’hyperuricémie ?
A long terme, l’hyperuricémie est bien sûr responsable de crises plus fréquentes et plus douloureuses. Mais on constate aussi l’apparition de douleurs chroniques qui ne disparaissent pas entre les crises, car elles sont en rapport avec des lésions articulaires. Mais cette hyperuricémie chronique est également associée à une augmentation du risque de maladie vasculaire cérébrale, de maladie cardiovasculaire, d’hypertension, d’insuffisance rénale et de diabète. Dans certaines études, la mise en route d’un traitement hypouricémiant s’accompagne d’une réduction du risque cardiovasculaire.
Quand faut-il penser à une crise de goutte ?
En l’absence de problème d’infection ou de plaie cutanée récente (attention à l’ongle incarné du gros orteil = possible « porte d’entrée infectieuse »), la crise de goutte peut être évoquée même si la présentation est proche de celle d’une infection : typiquement, une crise de goutte se manifeste par de très fortes douleurs articulaires, avec une articulation gonflée et rouge violine, qui débute de façon brutale, le plus souvent la nuit, et s'étend rapidement en 24 heures.
Comment faire le diagnostic de goutte ?
La crise de goutte typique est souvent facile à reconnaître. Le type de la douleur et les articulations qui sont touchées (gros orteil = 1ère métatarso-phalangienne) sont les critères évocateurs du diagnostic de crise de goutte, mais le diagnostic est surtout basé sur la démonstration de la présence de cristaux d’acide urique dans le liquide contenu dans l’articulation inflammatoire.
Lorsque la crise de goutte touche une autre articulation que la 1ère métatarso-phalangienne, différents éléments peuvent faire penser au diagnostic : existence d’une goutte chez les parents ou dans la fratrie, antécédent personnel de colique néphrétique avec des calculs rénaux qui n’étaient pas visibles sur les radiographies, maladies cardiovasculaires associées comme une hypertension artérielle, une angine de poitrine ou un infarctus, ou enfin « syndrome métabolique » avec diabète, anomalies du cholestérol et/ou des triglycérides.
Il n’y a pas de goutte sans un taux trop élevé d’acide urique dans le sang. Les analyses de sang peuvent donc révéler une hyperuricémie (supérieure à 360 µmol/l ou 60 mg/l), mais cette « hyperuricémie » ne permet pas à elle seule de poser le diagnostic de goutte car seules 10 % des personnes « hyperuricémiques » deviendront goutteuses. L’hyperuricémie est donc une condition nécessaire à l’apparition d’une goutte, mais pas suffisante.
D’autre part, il faut savoir que l’acide urique peut parfois baisser transitoirement au moment de la crise.
Un syndrome inflammatoire biologique est souvent présent, avec augmentation de la vitesse de sédimentation globulaire (VS) et de la protéine CRP, mais il n’est pas spécifique car il peut se voir au cours d’une autre arthrite inflammatoire ou d’une infection. Une augmentation du taux de globules blancs (leucocytes) dans le sang est aussi observée au cours de la goutte (mais aussi lors d'une infection).
L’élément indiscutable pour poser le diagnostic de goutte est donc la révélation de la présence de cristaux d’acide urique dans le liquide articulaire. Il faut donc pouvoir prélever un échantillon de liquide articulaire au moyen d’une ponction articulaire. Le médecin prélève un peu de liquide dans l’articulation avec une seringue et une aiguille. L’examen au microscope permet d’identifier facilement et rapidement les microcristaux d’acide urique à l’aspect caractéristique en forme d’aiguilles à bouts effilés et fortement biréfringents. Les cristaux sont très spécifiques mais sont moins souvent retrouvés (3 fois sur 4) si les malades sont déjà sous traitement hypouricémiant.
Par ailleurs, la ponction permet aussi, en diminuant le volume du liquide intra-articulaire, de réduire la douleur.
Lorsque le médecin ne peut pas prélever de liquide articulaire, l’échographie de l’articulation inflammatoire peut montrer des signes évocateurs de dépôts de cristaux d’acide urique (signe de double contour) ou encore mettre en évidence des tophus.
La radiologie n’aide pas à diagnostiquer la crise de goutte ; en revanche elle est très utile pour exclure un autre diagnostic. A long terme, la radiographie peut visualiser les dégâts articulaires provoqués par les tophus.
Avec quoi peut-on confondre une goutte ?
En cas d’atteinte d’une seule articulation, il faut éliminer en urgence une infection sous-cutanée ou articulaire (arthrite infectieuse). C’est le contexte (antécédents personnels ou familiaux d’hyperuricémie, de crise de goutte ou de coliques néphrétiques avec calculs rénaux non visibles à la radiographie), les examens complémentaires et surtout la ponction articulaire qui feront le diagnostic.
Au début de la maladie, et en particulier chez la femme où la goutte se présente souvent comme une polyarthrite, la goutte peut être confondue avec les autres formes de polyarthrites inflammatoires et la polyarthrite rhumatoïde. C’est l’interrogatoire sur la recherche de cas de goutte dans la famille et la mise en évidence de cristaux d’acide urique dans le liquide articulaire qui rétablira le diagnostic.
La goutte peut également être confondue avec la « chondrocalcinose articulaire », ou « pseudo-goutte », qui, comme son nom l’indique, ressemble très fortement à une goutte, mais l’âge de survenue plus tardif (au-delà de 60 ans), les calcifications articulaires à la radiographie et surtout l’analyse du type de microcristaux dans le liquide articulaire, feront la différence (cristaux de pyrophosphate de calcium à bouts carrés et non biréfringents à l’examen microscopique).
La goutte peut également être confondue avec le « rhumatisme à hydroxyapatite », où les dépôts de microcristaux d’apatite, qui sont une autre forme de cristaux de calcium, peuvent provoquer des « calcifications » (dépôts de cristaux) dans les articulations et autour des tendons. Ces dépôts, qui sont normalement contenus dans une poche, peuvent sortir à l’occasion d’une fissure de cette poche et conduire à une crise douloureuse inflammatoire (réaction à corps étranger) : douleur à début brutal et devenant rapidement tellement intense qu’elle est insomniante et qu’on ne peut plus mobiliser ou utiliser l’articulation atteinte.
Quels sont les principes de la prise en charge de la goutte ?
Le traitement de la goutte vise à soulager rapidement les douleurs des crises de goutte aiguë et à prévenir la survenue d’autres crises, pour éviter les lésions articulaires et les autres complications de la goutte.
Quel est le traitement d’une crise de goutte ?
Le traitement des crises de goutte aiguë repose sur la mise au repos de l’articulation, l’application de glace et la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou de colchicine.
Le repos de l’articulation malade permet un soulagement partiel mais indispensable, et dont l’efficacité est renforcée par l’application de glace. Cette application de glace est réalisée à l’aide d’un sac en plastique étanche rempli de quelques glaçons (par exemple, un sac à congélation), mais en interposant une serviette pour protéger la peau. L’application de glace peut être réalisée trois fois par jour pendant quelques minutes sur l’articulation inflammatoire. Il faut éviter de s’endormir avec cette poche de glace sur la peau en raison du risque de lésion de la peau due au froid prolongé.
Une ponction du liquide intra-articulaire permet non seulement de faire le diagnostic par l’identification des microcristaux au microscope, mais aussi de réduire rapidement la douleur en diminuant la quantité de liquide et la pression dans l’articulation (la ponction retire aussi les cellules inflammatoires).
La ponction peut être suivie d’une infiltration intra-articulaire par un corticoïde qui est très efficace pour soulager la crise de goutte aiguë. Elle est réservée au praticien expérimenté, et après avoir exclu une infection associée. Cette approche permet une disparition de la douleur en moins de 48 heures. Elle est particulièrement intéressante dans les formes qui touchent une ou quelques articulations (mono- ou oligoarticulaires) et chez les sujets âgés ou intolérants à la colchicine et aux AINS.
La colchicine est d’autant plus efficace qu’elle est prise dans les premières heures de la crise. Son administration doit être adaptée à l’intensité des douleurs et à l’état général du malade (réduction de la dose chez le sujet âgé et l’insuffisant rénal) : 1 mg toutes les deux à quatre heures le premier jour, jusqu’à obtention d’une amélioration ou déclenchement de signes d’intolérance digestive, mais sans dépasser 3 mg/j. Les jours suivants, la dose de colchicine est diminuée en fonction du résultat obtenu sur l’inflammation articulaire.
Pour réduire l’intolérance digestive, on peut recourir à la prise par demi-comprimé, soit 0,5 mg, ce qui évite les élévations trop fortes du taux dans le sang (pics plasmatiques). La prise de colchicine en même temps que certains antibiotiques est contre-indiquée (pristinamycine ou macrolides, à l’exception de la spiramycine).
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont également efficaces s'ils sont pris précocement. Tous les AINS peuvent être utilisés moyennant le respect de leurs contre-indications. De nombreuses études scientifiques ont validé cette efficacité : c’est le cas pour le naproxène, l’indométacine, le piroxicam. La phénylbutazone conserve une place dans l’accès goutteux, mais elle est exceptionnellement utilisée.
Les AINS entraînent parfois des douleurs du ventre, une diarrhée, un ulcère gastrique ou duodénal avec ou sans saignement digestif) ou peuvent faire monter la pression artérielle. Ils peuvent ne pas être utilisables chez certaines personnes âgées ou souffrant d’une insuffisance cardiaque ou sous anticoagulant. Le traitement doit être de courte durée et adapté à la personne : âge, état cardiaque, hypertension, état rénal. Il doit être évité chez les personnes ayant des problèmes cardiovasculaires ou ayant reçu une greffe d’organe.
Les corticoïdes par voie générale ne doivent pas être utilisés, sauf cas particulier, car ils ont pu entraîner une corticothérapie prolongée qui peut être à l’origine de tophus.
Les anticorps anti-IL1 sont très efficaces au cours de la crise de goutte, mais leur coût en réduit les indications.
En cas de crise de goutte survenant chez un malade déjà traité par un hypouricémiant, il ne faut surtout pas arrêter les médicaments qui font diminuer l’acide urique, mais traiter simplement la crise et prévenir la récidive par le prise de colchicine à la dose de 1 mg/jour pendant au moins 6 mois.
Cette crise ne traduit en aucun cas une inefficacité du traitement hypouricémiant. En baissant l’uricémie, il se produit une mobilisation du stock d’acide urique qui peut aboutir à des dépôts de cristaux.
Quel est le traitement à long terme de la goutte ?
La réduction de l’hyperuricémie est efficace et permet de guérir de la goutte, mais le traitement « hypo-uricémiant » doit être suivi au long cours sans se décourager. Il a fait l’objet de recommandations scientifiques et il comprend 2 volets :
• Des mesures diététiques simples visant à réduire les facteurs de risque et les erreurs de régime,
• Un traitement médicamenteux diminuant le taux sanguin d’acide urique appelé traitement hypo-uricémiant.
Ce traitement hypo-uricémiant doit être débuté lorsque les crises de goutte se répètent, lorsqu’il existe une arthropathie goutteuse ou des tophus, ou encore lorsqu’il existe des coliques néphrétiques ou des maladies cardiovasculaires ou rénales associées.
Les mesures préventives comprennent des changements des habitudes de vie pouvant empêcher les crises de goutte ainsi que la prise en charge des maladies associées.
Il est très important de réduire la prise d’alcool (en particulier la bière, qui est riche en purines, et les alcools forts). Il faut, par ailleurs, réduire dans l’alimentation les purines animales (viandes, abats et fruits de mer), les sodas (riches en sucre et en fructose) et il faut perdre du poids en cas de surcharge pondérale ou d’obésité.
Le régime alimentaire permet d’obtenir une réduction d’environ 10 mg (ou 60 mmol/l) d’acide urique dans le sang.
Un traitement hypo-uricémiant est indiqué chez les patients ayant des accès répétés de goutte, une maladie articulaire, des tophus ou des lésions radiographiques, ce qui définit la goutte sévère.
Au premier accès, il n’y a pas de recommandation systématique à prendre un traitement de fond, sauf à penser qu’un stock d’acide urique dans le corps plus faible sera plus facile à réduire. La stratégie habituelle en France est d’attendre le deuxième accès de goutte dans le but de limiter le risque lié à la prise de médicaments (risque iatrogène). L’existence d’une lithiase urique est aussi considérée par beaucoup d’experts comme une indication à l’allopurinol. Ce traitement tient aussi compte du souhait du malade.
Pour diminuer l’acide urique dans le sang, on peut soit diminuer sa production, soit augmenter son élimination. Deux médicaments bloquent la fabrication de l’acide urique : l’allopurinol, le plus ancien et le plus connu, et le fébuxostat, récemment mis à disposition. Deux médicaments favorisent l’élimination de l’acide urique par les reins, ce sont les uricosuriques : le probénécide et la benzbromarone.
Au long cours, l’allopurinol, inhibiteur purinique de la xanthine oxydase, est le traitement de référence de la goutte chronique dans les recommandations médicales. C’est un puissant inhibiteur de la synthèse de l’acide urique, dont l’efficacité est rapide et dose-dépendante, ce qui permet de guérir la majorité des maladies goutteuses à condition de le prendre au long cours. Le principe est d’ajuster la dose quotidienne d’allopurinol à l’uricémie-cible et en fonction de l’âge, de l’état rénal et de la tolérance.
L’allopurinol doit donc être débuté à la dose de 100 mg par jour, qui est ensuite progressivement augmentée de 100 mg (ou 50 mg chez le sujet âgé ou en cas d’insuffisance rénale) toutes les deux à quatre semaines. La dose est celle qui permet d’atteindre l’objectif de 360 μmol/l d’uricémie. Si la fonction rénale est normale, la dose peut monter jusqu’à 300 mg/jour, voire exceptionnellement plus.
Une uricémie-cible inférieure à 300 μmol/l est sans doute plus judicieuse en cas de tophus, pour en permettre la dissolution plus rapide, mais il n’y a pas d’étude scientifique permettant de valider cette option.
Deux à 5 % des malades souffrant de goutte ont des réactions de la peau (intolérance cutanée) à l’allopurinol. Cette intolérance se signale par une éruption avec des boutons rouges qui grattent sur la peau (éruption prurigineuse érythémato-papuleuse ou eczémateuse). Cette réaction d’intolérance de la peau survient habituellement quelques semaines après le début du médicament et impose l’arrêt définitif de l’allopurinol, car une nouvelle prise (réintroduction) exposerait à la survenue d’un syndrome d’hypersensibilité allergique (DRESS), rare mais grave.
En cas d’échec ou d’allergie à l’allopurinol, on peut recourir au fébuxostat, qui est un nouveau traitement hypo-uricémiant de la classe des inhibiteurs de la xanthine oxydase. Le febuxostat fait baisser l’acide urique avec un mécanisme différent de celui de l’allopurinol et avec une action qui semble plus puissante. Les principaux effets secondaires sont digestifs et musculaires, mais il existe aussi de rares intolérances de la peau, différentes de celles de l’allopurinol. Ce médicament ne doit pas être donné en association à la théophylline, à la 6-mercaptopurine et à l’azathioprine.
Pour les uricosuriques, des précautions sont à prendre avant de les prescrire : il faut vérifier que l’acide urique dans les urines (l’uricosurie) est normale.
D'autres molécules sont en cours de test : l'uricase est une enzyme qui dégrade l'acide urique. Sa forme stabilisée est le pégloticase. Elle diminue significativement l'uricémie ainsi que la taille des tophus, avec également une augmentation du risque d'accès goutteux en début de traitement.
Le traitement hospitalier de l'hyperuricémie majeure (dans le cadre de chimiothérapie) peut recourir à l'uricozyme.
Quel est l’objectif du traitement hypo-uricémiant ?
Le traitement hypo-uricémiant a pour objectif-cible un taux d’uricémie inférieur à 60 mg/l (ou 360 µmol/l), voire en dessous de 50 mg/l (300 µmol/l) pour les gouttes avec tophus.
Ce chiffre sert de guide à l’augmentation de la dose journalière du médicament : il représente une valeur-cible comme il en existe aussi dans le traitement de l’hypertension artérielle, de l’hypercholestérolémie ou du diabète (glycémie).
Que faire en cas de crises de goutte en début de traitement ?
Au début du traitement hypo-uricémiant de la goutte, la diminution rapide du taux d’acide urique dans le sang et les tissus du corps peut provoquer, paradoxalement, l’apparition de crises de goutte car elle entraîne une mobilisation des microcristaux à partir des dépôts ou des tophus articulaires.
Ces crises témoignent de l’efficacité du traitement et ne doivent donc pas faire interrompre le traitement hypo-uricémiant, sous peine de rechutes. Il faut, en revanche, anticiper ce risque par un traitement de prévention des crises à base de colchicine.
Comme le traitement hypo-uricémiant est généralement débuté dans les suites d’une crise, il faut attendre au moins 2 semaines avant de débuter le traitement hypo-uricémiant, et il faut poursuivre la colchicine, à la dose de 1 mg par jour, pendant les 6 premiers mois de traitement hypo-uricémiant, parfois au-delà.
Quel est le traitement de la goutte chez l’insuffisant rénal ?
Les AINS et la colchicine, qui sont les traitements de première ligne lors des crises de goutte, sont généralement contre-indiqués ou à haut risque d’effets secondaires au cours de l’insuffisance rénale.
En cas de crise aiguë, les corticoïdes en infiltration ou par voie générale sont actuellement l’alternative la plus largement acceptée en cas d’insuffisance rénale chronique et chez les malades dialysés, de même que chez les patients transplantés, sous réserve du risque infectieux secondaire à l’immunosuppression liée au traitement anti-rejet du greffon.
L’utilisation de l’allopurinol dans le traitement hypo-uricémiant, bien que pilier central du traitement de fond chez les patients souffrant de goutte, n’est pas anodine chez l’insuffisant rénal, et n’est pas recommandée.
Les premiers résultats portant sur les inhibiteurs non puriniques de la xanthine oxydase (fébuxostat) sont encourageants et représentent une alternative intéressante.
Quelle est l’évolution de la goutte ?
La goutte aiguë survient dans un contexte d’acide urique élevée dans le sang, qui peut être augmentée par une alimentation riche en purines, la consommation d’alcool, la prise de certains médicaments, une intervention chirurgicale, une crise cardiaque ou un traumatisme.
Les premières crises se résolvent en général au bout de trois à dix jours. Sans traitement approprié, plus de 50 % des personnes ayant subi une crise de goutte aiguë auront une récidive dans l’année qui suit.
Avec le temps, les crises peuvent devenir plus longues et fréquentes et toucher davantage d’articulations, et aboutir à des complications, ce qui impose de prendre la goutte en charge pour prévenir le risque de destruction articulaire.
L’augmentation du taux de l’acide urique du sang et la maladie goutteuse peuvent être associées à d’autres maladies, comme l’hypertension, des calculs rénaux, une obésité et une hyperlipidémie. Tout ceci peut également conduire à une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires.
Peut-on prévenir la goutte ?
La modification des habitudes de vie constitue un aspect-clé de la prévention de la goutte, comme de la récidive des crises aiguës de goutte.
Le risque de développer la goutte est augmenté de 50 % en cas de consommation importante de produits de la mer (poissons et fruits de mer) et par absorption d’un demi de bière par jour. Il est augmenté de 20 % en cas de consommation de 10 g (un verre) d’alcool ou de un verre de spiritueux et par jour. Par contre, la consommation de laitages (lait, yaourt, fromages non gras) est inversement proportionnelle à l’uricémie.
Un régime alimentaire bien suivi permet d’obtenir une réduction d’environ 10 mg (ou 60 mmol/l) d’acide urique dans le sang. L’alimentation doit être équilibrée, mais visera à éliminer en priorité les aliments qui contiennent des purines (produit de dégradation de l'ADN du noyau des cellules animales). Le régime alimentaire doit donc être réduit en protéines animales (moins de 100 grammes par jour), en privilégiant les protéines végétales (légumes secs) et les produits laitiers. Il faut donc réduire :
• Les abats (foie, rognons, tripes, cervelle, tête de veau, langue, etc) ;
• Les sardines, anchois, harengs, œufs de poissons... ;
• Les extraits de viandes (bouillon, jus, gelée) ;
• Les charcuteries, gibier faisandé ;
• Les fromages très fermentés ;
• La mayonnaise, crème, sauces grasses, fritures.
Les abats, charcuteries et viandes de gibier sont remplacés par du jambon blanc, du filet de poulet ou de dinde, du poisson et des viandes peu grasses.
Les desserts sont remplacés par des produits laitiers faibles en matières grasses et des salades de fruits ou des fruits frais (oranges, pamplemousses, abricots…).
Une suppression de la consommation de bière (même sans alcool) et une réduction très nette de la consommation d´alcool et de sodas sont également souhaitables.
Il est très important de pratiquer une activité physique suffisante et régulière (30 minutes au moins 3 fois par semaine) pour contrôler ou réduire un excès de poids (en évitant les sports violents et les sports de contact).
Si le poids est excessif, il conviendra également de limiter les apports nutritionnels quotidiens (environ 2 000 kcal /jour). Cette limitation sera d’autant moins importante que l’activité physique est élevée.
En cas de transpiration (chaleur, activité physique), il faut veiller à boire davantage d'eau ou des jus d'agrumes (citrons ou oranges pressés), mais en évitant les boissons sucrées type sodas, qui augmentent le risque de crise de goutte. Il est possible d’alcaliniser les urines pour éviter le risque de précipitation de l’acide urique en consommant 1/2 litre d’eau de VICHY (sauf en cas d'hypertension artérielle ou d'insuffisance cardiaque).
Chez la femme ménopausée, le traitement hormonal substitutif a été associé à une réduction du risque de goutte.
En cas d’hypertension artérielle, les diurétiques augmentent l’uricémie et le risque de goutte, alors que certaines molécules anti-hypertensives baissent l’uricémie (losartan).
Faut-il traiter systématiquement une hyperuricémie avec des médicaments ?
Seules 10 % des personnes ayant un taux élevé d’acide urique (hyperuricémiques) deviendront goutteuses. Il n’est donc pas nécessaire de traiter une hyperuricémie en l’absence de goutte avérée, de lithiase urinaire ou de facteur de risque associé, en particulier cardiovasculaire.
En France, le traitement hypo-uricémiant est indiqué lorsque les crises de goutte se répètent, lorsqu’il existe une arthropathie goutteuse ou des tophus, ou encore lorsqu’il existe des coliques néphrétiques, ou lorsqu’il existe des maladies associées exposant à un risque cardiovasculaire.
Il est nécessaire de réaliser un bilan cardiovasculaire en cas d’hyperuricémie. La correction d’une obésité est un des objectifs prioritaires du traitement. Cette correction permet de réduire l’hyperuricémie et d’agir sur les facteurs de risque cardiovasculaire associés à la goutte.
La goutte en France
La fréquence de la goutte augmente dans le monde et en France, phénomène qui pourrait être lié aux changements dans les habitudes alimentaires (régime riche en calories, en fructose, en purines et en alcool), l’augmentation de l’âge et la fréquence de l’hypertension artérielle, qui est souvent traitée par un diurétique.
En France, une enquête récente a montré que la fréquence de la goutte était de 0,9 %. La goutte est plus fréquente chez les hommes que chez les femmes.
Les liens de la goutte
Le site de l’association CRISTAL (Club Rhumatologique pour l’Information Sur les arthropathies microcrisTALlines)
Les liens PourquoiDocteur
https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/6896-Goutte-450-000-personnes-touchees
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