Gériatrie
Dénutrition de la personne âgée : comment la dépister simplement ?
Un quart des personnes de plus de 75 ans en ville est à risque de dénutrition et à peu près 5 à 10% sont dénutris au-delà de 75-80 ans.
- Zinkevych/istock
A l'occasion de la semaine nationale de lutte contre la dénutrition, Fréquence Médicale a rencontré le professeur Marc Bonnefoy, gériatre au CHU de Lyon et spécialiste de la question. Il nous donne des clés sur les modalités pratiques du dépistage, en médecine de ville, de cette pathologie « qui tue en silence ».
La dénutrition est-elle une pathologie fréquente ?
Oui. Il y a environ un quart des personnes de plus de 75 ans en ville qui est à risque de dénutrition et à peu près 5 à 10% qui sont dénutris au-delà de 75-80 ans. C'est donc une véritable problématique de santé publique.
Quelles sont les conséquences de la dénutrition chez la personne âgée ?
Les conséquences de la dénutrition chez le sujet âgé sont très importantes et très nombreuses. En premier lieu, cela provoque une perte de masse musculaire et donc de la fonction musculaire avec un risque de perte de mobilité. La dénutrition introduit un cercle vicieux qui va finalement conduire à la dépendance, à terme.
Elle engendre aussi une altération de l'immunité, des troubles de la cicatrisation et augmente le risque de troubles trophiques. Et il faut aussi retenir de la dénutrition qu'elle est souvent associée à d'autres pathologies aiguës ou chroniques et qu'elle en alourdit considérablement le pronostic.
Il y a un an exactement étaient dévoilées les nouvelles recommandations HAS pour un diagnostic plus précoce de la dénutrition chez la personne âgée. Il faut maintenant l'association d'un critère phénotypique et d'un critère étiologique pour poser le diagnostic. Pourquoi les critères ont-ils été modifiés ?
Ils ont évolué pour progresser dans le diagnostic. Ils sont plus proches de la physiopathologie de la dénutrition que les critères des recommandations de 2007 car ils font appel à son étiologie et pas uniquement à la morphologie et ou à la biologie.
Pouvez-vous nous rappeler brièvement ces nouveaux critères ?
Dans les critères phénotypiques, il y a la notion de perte de poids, qui ne change pas par rapport aux précédentes recommandations, l'IMC inférieur à 22 et non plus 21 et, autre nouveauté, la présence d'une sarcopénie confirmée. Parmi les critères étiologiques, il y a un élément nouveau très important : l'évaluation des apports alimentaires. Il y a aussi la présence d'une pathologie aiguë ou chronique ou la présence d'une malabsorption. Ce dernier point concerne cependant assez peu les personnes âgées.
Le dosage de l'albumine n'est donc plus recommandé pour le diagnostic, pourquoi ?
Avant il y a avait quatre critères diagnostique de la dénutrition dont le dosage de l'albumine. Il suffisait d'un critère pour poser le diagnostic. La limite, c'est que souvent les médecins faisaient un dosage d'albumine et puis le diagnostic de dénutrition était posé, ou non. Or l'albumine n'est pas un bon marqueur diagnostique car elle n'est pas totalement spécifique de la dénutrition et n'est pas liée à la masse musculaire. Par contre, c'est un très bon marqueur pronostic de cette pathologie, et son dosage reste recommandé pour diagnostiquer une dénutrition sévère.
La sarcopénie quant à elle est un nouveau critère diagnostique. Peut-on la dépister facilement en cabinet de médecine générale ?
Oui très simplement ! Avec un test de lever de chaise, ça prend 15 secondes. Le patient se lève 5 fois d'une chaise sans s'aider de ses bras, s'il met plus de 15 secondes, c'est une sarcopénie probable. Ensuite pour mettre en évidence la réduction de masse musculaire, qui confirme la sarcopénie, les médecins généralistes peuvent utiliser la mesure de la circonférence du mollet. Les normes ne sont pas tout à fait établies mais inférieur à 33 centimètres chez la femme et 34 chez l'homme, cela confirme à peu près la sarcopénie avec un test de lever chaise positif.
Le dépistage de la sarcopénie du sujet âgé doit-il être systématique en médecine générale ?
Oui je pense que c'est important en particulier l'évaluation de la fonctionnalité. Il faut surtout que le médecin pose des questions à son patient et qu'il le regarde. A-t-il du mal à se lever de sa chaise, marche-t-il lentement, fait-il des chutes ? Tout cela fait partie d'un interrogatoire sommaire qui doit être systématique chez les plus de 70 ans. Et ils devraient tous avoir au moins tous les 6 mois un suivi du test de lever de chaise. Un patient dont le test de lever de chaise devient anormal, c'est vraiment un signal d'alerte, même au-delà de la dénutrition. Cela veut dire qu'une prise en charge est nécessaire pour éviter qu'il perde sa mobilité et devienne dépendant.
L'évaluation des apports alimentaires prend également sa place dans le diagnostic de la dénutrition. En quoi cette évolution est-elle intéressante ?
C'est un élément nouveau très important car le fait d'évaluer les apports c'est capital. Avant, on ne faisait pas un diagnostic de dénutrition avec les apports alimentaires alors que c'est un élément indispensable. Par définition, la dénutrition c'est que vos apports ne couvrent pas vos besoins !
Et même question que pour la sarcopénie : peut-on facilement dépister une baisse des apports alimentaires en cabinet de médecine générale ?
Oui. Pour le dépistage d'une baisse de la prise alimentaire, là aussi il faut poser des questions très simples. Ça fait partie de l'interrogatoire de base : est-ce que la personne prend tous ses repas, notamment celui du soir ? Consomme-t-elle assez de protéines et de calories au cours de ses repas (viande, œufs, laitages) ? C'est à peu près tout ce qu'on peut faire en médecine générale car on ne peut pas faire une enquête alimentaire hyper précise, ça prend trop de temps. Il faut aussi interroger sur l'appétit.
Avec quels messages clé, à destination des médecins généralistes, souhaiteriez conclure ?
En message clé, j'insisterai sur l'importance de repérer une dénutrition chez les sujets âgés parce que c'est extrêmement fréquent. Il faut être très vigilant en cas de pathologie(s) associée(s) ou de situations particulières comme un deuil ou une dépression. Enfin j'insiste aussi sur l'importance, en médecine générale, du suivi régulier du poids et de la masse corporelle de tous les patients âgés.