Gériatrie
Prise en charge des chutes : elle peut nettement progresser » selon le Pr François Puisieux, Lille
Le repérage des patients âgés à risque de chute est du ressort en premier lieu du médecin généraliste selon les gériatres, qui peuvent ensuite intervenir aux côtés des médecins traitants sur les cas les plus complexes.
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A l'occasion d'un symposium dédié aux chutes lors de la Journée Annuelle des Jeunes Gériatres, le professeur François Puisieux, chef du pôle de gérontologie au CHU de Lille, déclarait qu'il y avait beaucoup à faire pour que les médecins généralistes s'impliquent plus dans les chutes de la personne âgée.
Pourquoi ce constat ? Comment mieux dépister et prendre en charge les chutes en médecine générale. Cet expert nous livre des pistes concrètes, « qui ne prennent qu'une ou deux minutes » pour améliorer les pratiques dans ce domaine où la place du médecin généraliste est centrale.
Lors de la Journée Annuelle des Jeunes Gériatres, vous avez déclaré « il y a beaucoup à faire pour que les médecins généralistes s'impliquent plus dans les chutes ». Pourquoi ce constat et de quelle manière devraient-ils, selon vous, s'impliquer davantage ?
Parmi les médecins, les premiers concernés au quotidien sont les médecins généralistes. Malheureusement la chute du sujet âgé n'est pas un problème qu'ils considèrent comme prioritaire, et de ce point de vue, on peut nettement progresser j'en suis convaincu.
Pour moi le rôle du médecin généraliste c'est au moins : le repérage du sujet à risque, avec une stratification du risque entre ceux à faible risque pour qui les recommandations sont celles du bien vieillir, et les sujets à haut risque pour lesquels il faut déterminer leurs facteurs de risque et leurs facteurs de gravité en cas de chute. Pour moi tout ça, c'est le domaine du médecin généraliste.
Vous évoquez le repérage du sujet à risque de chute par les médecins généralistes. En quoi ce repérage au cabinet est-il important ?
La chute est sous-déclarée par les personnes âgées. On sait très bien que pour les personnes âgées les chutes sont taboues, comme d'autres sujets d’ailleurs. On se voit comme une personne debout et le fait d'être à terre, tomber, ne pas savoir se relever c'est un peu dégradant.
Donc un premier devoir pour le généraliste, est de repérer le problème chez les personnes âgées en les interrogeant systématiquement sur les chutes qui seraient survenues. Et ça déjà c'est quelque chose, je pense, qui n'est pas habituel dans la pratique des médecins généralistes.
De quelle manière concrète devraient, selon vous, les médecins généralistes rendre ce dépistage plus systématique ?
La proposition que fait la Haute Autorité de Santé aux médecins généralistes, est de poser la question, une fois par an, à tous leurs patients âgés « êtes-vous tombé cette année ? ». Et si oui : « combien de fois ? ».
A cette question il faut ajouter un petit test d'équilibre. On ne dispose pas de test parfait, mais celui qui est habituellement proposé est le Timed Up and Go test. Et finalement faire cela, ça prend une ou deux minutes et cela suffit à évaluer le risque de chutes chez un individu âgé.
Vous insistez aussi sur la prise en compte des facteurs de risque de chutes, lesquels dépister en priorité en médecine générale ?
Il y a quelques facteurs de risque qui jouent un rôle majeur on le sait chez le sujet âgé. Le médecin généraliste peut les rechercher, une fois par an peut être. C'est vrai, chez tous les sujets âgés mais encore plus si la personne a déjà chuté et/ou est repérée comme à risque de chute.
Parmi les principaux facteurs de risque de chute il y a l'usage des psychotropes : la survenue d'une chute est l'occasion de se poser la question de la pertinence de cette prescription, de la pertinence de la poursuivre. Après il y a la recherche classique de l'hypotension orthostatique chez le sujet chuteur et le sujet hypertendu traité. Là aussi c'est une recommandation qui est faite à tous les médecins, mais qui est peu suivie en pratique. Cela devrait être un réflexe. Il y a aussi la dénutrition et l'inactivité physique. De plus, il faut regarder la façon dont la personne se chausse, parfois elle est très, très mal chaussée. Il faut aussi s'intéresser aux capacités visuelles de l'individu : beaucoup de sujets âgés ne voient pas régulièrement leur ophtalmologue, contrairement à ce qu'on pourrait penser.
Vous disiez que le repérage du risque de chute est assez rapide, pensez-vous réellement que les généralistes ont le temps en consultation de l'effectuer ? Et si oui, pourquoi pensez-vous que ce n'est pas fait aussi souvent que nécessaire ?
C'est toujours difficile pour moi qui suis hospitalier de parler à la place des médecins généralistes. Néanmoins, je suis persuadé qu'ils ont le temps de faire ce repérage. Quand on considère la fréquence des consultations des plus de 80 ans chez leur médecin généraliste, c'est presque dix consultations par an, donc ce ne sont pas des gens qu'ils ne voient pas, ils les voient souvent au contraire.
Ma crainte est que lors des dix consultations ce soient les mêmes questions qui soient posées et les mêmes gestes qui soient réalisés. Bien sûr les patients âgés ont souvent des plaintes récurrentes, peut être que l'un va toujours parler de sa douleur du genou et un autre toujours de sa constipation. Mais je pense qu’à l’occasion d’une des dix consultations, car cela ne prend que quelques minutes, un temps pourrait être consacré à l'évaluation du risque de chute.
Au-delà du repérage des sujets à risque, quels conseils simples à adresser aux médecins généralistes face à un de leur patient qui chute ?
Lorsque survient une chute, avec des conséquences qui peuvent être plus ou moins sérieuses, mon conseil est de ne pas s'arrêter à la conclusion faussement rassurante : « il y a eu plus de peur que de mal » pour reprendre une expression classique. Il ne faut pas minimiser le problème mais en mesurer les conséquences, qui ne se résument pas aux conséquences traumatiques ; les seules à être habituellement recherchées.
Il faut rechercher les conséquences sur la vie quotidienne des gens. Un des conseils que je donne pour une personne âgée qui a fait une chute, est toujours de reprendre contact avec elle huit jours après : a-t-elle repris sa vie normale ? Sort elle comme avant ? Au contraire, a-t-elle réduit ses sorties ou ne sort-elle plus du tout ? A-t-elle peur de retomber ?
Une manière donc d'évaluer la gravité de la chute. Quels sont autres principaux facteurs de gravité d'une chute à repérer en médecine générale ?
Les facteurs de gravité en cas de chute sont au nombre de trois : il y a la fragilité osseuse avec la question du déficit en vitamine D et de l'ostéoporose. On sait qu'aujourd'hui, le diagnostic de l'ostéoporose est trop rarement fait. En France le chiffre des patients qui ont fait une fracture typiquement ostéoporotique et qui sont traités par anti-ostéoporotiques, c'est 15%. Si au moins quand une personne âgée est tombée on se posait la question de ses antécédents fracturaires et dans ce cas du diagnostic de l'ostéoporose, déjà on ferait un bon en avant significatif.
Le deuxième facteur de gravité ce sont les traitements anticoagulants et antiagrégrants. La survenue d’une chute est l'occasion pour le médecin généraliste de revoir ces traitements, sans conclure qu'il faut les arrêter nécessairement. Aujourd'hui ce sont certainement les traitements antiagrégants qui sont trop prescrits chez la personne âgée. On a beaucoup de gens qui sont sous une association, ils ont un traitement antiagrégant, par exemple parce qu'ils ont un antécédent coronarien et ils sont sous anticoagulant parce qu'ils ont une fibrillation atriale. Aujourd'hui les recommandations disent qu'à un an d'un événement coronaire, on a aucune raison d'associer les deux, il ne faut laisser en pratique que l'anticoagulant.
Et puis le dernier élément c'est la capacité qu'on a à se relever du sol. Là aussi il faut que le médecin traitant s'enquière de cette capacité. Et quand la personne ne sait pas se relever du sol, il faut que dans la prescription de la kiné, soit demander de travailler le relevé. Et si la personne vit seule, il faut proposer la téléalarme.
Vous avez déclaré à la Journée Annuelle des Jeunes Gériatres « les gériatres sont des experts, ils ne peuvent pas voir tous les patients qui chutent ». Pouvez-vous nous préciser les situations pour lesquelles le recours à un gériatre vous semble nécessaire ?
Je crois en effet qu'il ne faut pas que l’expertise gériatrique soit du premier recours. Clairement, on ne peut pas recevoir toutes les personnes âgées qui chutent ou sont à risque de chute en consultation de la chute, la gériatrie n’en a pas du tout les moyens.
Il faut adresser à ces consultations multidisciplinaires les personnes qui font des chutes répétées ou qui ont fait des chutes graves quand l'action première du médecin généraliste ne porte pas ses fruits, c'est-à-dire quand le patient continue de chuter ou a restreint son activité avec un risque de perte d’autonomie, ou bien les patients qui font des chutes répétées ou graves et pour lesquels le médecin généraliste ne retrouve pas de facteurs explicatifs.
Pour terminer, je rebondis une nouvelle fois sur un élément évoqué à la Journée Annuelle des Jeunes Gériatres : les difficultés d'implémentation, c'est-à-dire les difficultés pour l'acceptation et la mise en place par les sujets âgés des mesures préconisées. En quoi, selon vous, le rôle du médecin généraliste est-il primordial pour cette étape ?
Je pense que la parole portée par le médecin généraliste est plus forte que celle d'un expert qui va intervenir ponctuellement. Je suis convaincu que celui dans lequel le patient âgé a fortement investi sa confiance, c'est son médecin généraliste.
Donc si le médecin généraliste a envoyé la personne âgée à un médecin spécialiste, en l’occurrence à un gériatre, on sait très bien que nos préconisations vont être mieux reçues, surtout si ensuite le médecin généraliste dit « mais bien sûr il a raison et d'ailleurs je vous l'avais déjà dit. Nous allons voir ensemble comment diminuer votre somnifère progressivement etc.. ». Donc il faut aller dans le même sens, c'est ça qui va emporter la conviction des patients.