Médecine interne
Lupus et observance du traitement : comment lutter contre le découragement
À l’occasion de la Journée Mondiale sur le Lupus, nous avons voulu revenir sur le problème de l’observance au cours de cette maladie et en particulier celle de l’hydroxychloroquine, avec le Dr Laurent Chiche, médecin interniste, à l’hôpital européen, à Paris.
- CarmenMurillo/istock
L’observance est un problème particulièrement important dans le lupus. Le mauvais suivi d’un traitement est parfois en lien avec sa mauvaise réputation comme dans le cas de l’hydroxychloroquine, molécule remarquablement bien tolérée et qui est pourtant devenue le traitement pivot du lupus.
À l’occasion de la Journée Mondiale sur le Lupus, Fréquence Médicale a interviewé le Dr Laurent Chiche, médecin interniste, à l’hôpital européen, à Paris, spécialiste du lupus et de l’éducation thérapeutique dans cette maladie, sur les moyens d’améliorer l’observance du traitement sur le long cours dans la maladie lupique.
Le lupus est une maladie chronique et les malades font souvent état d'une certaine lassitude dans le suivi du traitement. Quel est votre commentaire ?
Dans le lupus, comme dans d'autres maladies chroniques, mais tout particulièrement pour cette maladie auto-immune, l’observance n’est pas très bonne sur le long cours : à un moment donné de leur suivi, plus de la moitié des patients vont « lâcher l'affaire », pour le dire simplement, sur un ou plusieurs de leurs traitements de fond. Face à ce constat, il y a plusieurs attitudes possibles. Nous n’avons rien inventé de spécifique au lupus, mais nous avons fait un travail avec les associations pour aboutir à ce que l'on a appelé « l'ordonnance idéale » et qui est disponible sur Internet. L’objectif est d’essayer de dire aux patients que l'ordonnance d’un traitement contre le lupus n'est pas immuable et que, chaque année ou à chaque consultation, elle doit être à renégocier, si on peut dire, avec son médecin spécialiste.
Je ne vais pas citer toutes les possibilités, mais par exemple, la prise au long cours d’une corticothérapie n'est désormais pas justifiée, contrairement à ce que l’on pensait auparavant. Donc c'est un médicament qui doit « sauter » systématiquement quand il n'est pas justifié par des antécédents d'ulcère, par exemple. Le calcium peut être d'origine alimentaire et il n'a pas besoin d'être en supplémentation chez tous les patients… Et si on procède comme cela, pour des traitements à dix cachets par jour, on passe souvent à cinq, puis à trois comprimés par jour. Et surtout, le corticoïde, c'est le médicament que l'on doit rediscuter à un moment donné parce qu’il y a désormais d'autres traitements qui prennent le relais. Idéalement, la corticothérapie orale doit donc rester un traitement des poussées et pas un traitement de fond sur le long cours. La médecine interne a progressé sur cet aspect depuis seulement quelques années. Donc il faut reconnaître qu'on peut alléger une ordonnance et pour qu'elle se rapproche de l'ordonnance idéale.
Alors on peut alléger l'ordonnance, par contre, il y a un traitement pivot qui est l'hydroxychloroquine et qui a mauvaise réputation, ce qui fait qu’il est parfois mal suivi. Qu'est-ce que vous pouvez dire pour contrecarrer ces fausses rumeurs ?
L’hydroxychloroquine, c'est un vieux médicament, parmi les plus anciens, mais c'est désormais devenu le traitement pivot de toutes les formes de lupus, si bien qu'il y a un consensus international pour dire que tout patient lupique devrait, si possible, en bénéficier. Mais, effectivement, on parle souvent du négatif et pas du positif et je vais donner quelques points pour revaloriser l’image de l’hydroxychloroquine.
Le premier point, c’est que c’est un traitement qui est extrêmement bien toléré sur le long terme. On a donc des prises prolongées et, certes, il y a toujours des effets secondaires, comme avec tous les traitements. Il y a, par exemple, des troubles digestifs au début du traitement, qui peuvent d'ailleurs passer après quelques semaines, ou des colorations cutanées chez certains patients qui amènent à baisser les doses, voire à interrompre l’hydroxychloroquine. Mais, en dehors de ces effets secondaires qui sont plutôt rares et faciles à gérer, on a une tolérance qui n'a pas d'équivalent dans le domaine de l'immunomodulation.
Deuxième point, c’est un traitement qui va éviter le recours aux corticoïdes à fortes doses, corticoïdes dont on connaît la toxicité, notamment au niveau cardiaque, osseux ou métabolique. C’est aussi un traitement qui va également limiter le recours aux immunosuppresseurs. Donc, l’hydroxychloroquine reste la pierre angulaire du traitement. Mais il faut rappeler que c'est un traitement qui met un peu de temps avant d'être efficace, et c'est le premier message à rappeler pour les patients comme pour les médecins : on n'attend pas un effet thérapeutique avant trois ou quatre mois de prise en continu, ce qui est tout à fait différent de la corticothérapie. Donc on parfois des patients à qui on doit expliquer qu'on n’attend pas d’effet de l’hydroxychloroquine dans la semaine de l'initiation et qu’il ne faut pas se décourager. L'effet à court terme sera obtenu uniquement avec de la cortisone dont, par contre, il va falloir se débarrasser par la suite.
Troisième élément de réponse, concernant la toxicité ophtalmologique de l’hydroxychloroquine, il faut savoir que, en fait, le risque n'existe pas avant cinq ans de prise en continu. C'est pour ça qu'on se permet de contrôler le bilan ophtalmologique de façon annuelle uniquement après les cinq premières années de prise, sauf chez des patients qui avaient déjà une pathologie rétinienne sur laquelle on va être plus régulier dès le début, en respectant les doses. Mais, en pratique clinique, il faut rappeler pourquoi il n'y a jamais de problème ophtalmologique avec l’hydroxychloroquine : c’est parce qu'en fait, avant même qu’une toxicité, qui pourrait être irréversible, apparaisse, l'ophtalmologue s'en apercevra sur les tests ophtalmologiques et cela permettra d'arrêter ou de baisser les doses avant d’avoir une vraie toxicité rétinienne. Donc, un suivi ophtalmologique régulier, selon les recommandations, et bien réalisé comme c’est le cas en France, permet d'éviter virtuellement toute toxicité ophtalmologique de l’hydroxychloroquine.
Quatrième point, pour des traitements où il y a beaucoup de comprimés, prendre deux cachets de 200 milligrammes d’hydroxychloroquine peut être un problème, mais il faut savoir qu’il est possible de les prendre en même temps. Ce n'est pas souvent dit aux patients, qui s'embêtent donc à les prendre matin et soir, et cela augmente les problèmes d'observance. Donc, il faut rappeler que c’est 2 cachets, à prendre n'importe quand dans la journée.
Cinquième message, c'est un traitement et il n’y en a pas beaucoup comme cela, qui est tout à fait bien tolérée pendant la grossesse et l'allaitement. Ce qui est fondamental pour une maladie qui touche souvent les femmes jeunes. C’est aussi un traitement qui diminue probablement le risque de lupus néonatal, c'est-à-dire la toxicité de certains anticorps chez l'enfant dans le ventre de la mère. Donc c'est vraiment un traitement fondamental.
Enfin, un point également très important pour les lupiques qui sont exposées à une surmortalité cardiovasculaire, notamment favorisée par la cortisone : l’hydroxychloroquine limite le risque de thrombose et de dyslipidémie. C'est donc véritablement un médicament pléiotrope qui a au final beaucoup de vertus. Mais, il faut absolument dire aux patients qui prennent de l’hydroxychloroquine que, en cas de tabagisme important, le médicament ne va pas aussi bien marcher. Donc si la prise d’hydroxychloroquine n'est pas accompagnée d'un sevrage tabagique, on peut avoir une inefficacité qui n'est pas due au médicament mais au tabagisme associé.
À noter que pour déceler certains problèmes d'observance, qui est compliquée sur le long cours, on se permet parfois de faire un taux sanguin chez nos patients pour voir si, parfois, ils ont lâché l'affaire et pour les remotiver à le prendre.
Enfin, dernier point, et je le dis parce qu'on se rappelle de la dernière vague de la Covid-19, l’hydroxychloroquine n'est définitivement pas efficace pour prévenir les formes graves de cette maladie, quel que soit le stade de l'infection à SARS-CoV-2, et donc il ne faut pas le prendre pour de mauvaises raisons mais par contre le laisser aux patients lupiques qui en ont absolument besoin.
C'est une maladie chronique compliquée, évolutive, et il faut parfois changer de traitement. Est-ce que les patients sont suffisamment informés dans le cadre de la consultation pour se prémunir de ce que l'on peut lire parfois sur le web ?
Sur le web, il y a beaucoup d'informations et certaines de qualité. Donc la première chose à faire, c'est de signaler à nos patients qu'ils vérifient le type de site internet. Il y a des sites qui sont hébergés maintenant par la filière des maladies auto immunes, qui s'appelle FAI2R, et qui sont extrêmement bien faits. Il y a aussi, bien sûr, les sites des associations de patients qui font un travail de tri car c'est important de ne pas se perdre sur Internet.
Un des apports bénéfiques d’internet, c’est d’aider les malades à préparer leur consultation, c'est-à-dire que tous nos patients vont sur internet avant chaque consultation : des enquêtes l'ont bien montré au niveau international. Donc, plutôt que de diaboliser internet, ce qu'on va conseiller à nos patients, c'est de faire une liste des questions qui se sont posées en voyant des informations sur ces sites qui n'avaient pas été abordées en consultation. Et de préparer cette liste en amont de la consultation pour éviter ce qui peut se passer sinon, c'est-à-dire, avec le stress de la consultation, d'oublier de poser ces fameuses questions.
Alors, pour aider nos patients et également pour aider les collègues médecins à aborder aussi certains points qui sont régulièrement oubliés, nous avons mis au point un acronyme qu'on appelle BASIC et qui permet d'aborder systématiquement des points-clés du suivi du lupus au cours de nos consultation, qui sont des points qui peuvent paraître anecdotiques mais qui sont fondamentaux. Le « B », c'est tout ce qui concerne les bébés, la contraception, la fertilité, la préparation d'une grossesse. Ce point-là doit être abordé avec chaque jeune femme qui a un lupus, notamment pour remettre à jour sa contraception et éviter certaines contraceptions qui sont plus ou moins contre-indiquées. Le « A » c'est pour les artères parce qu'il y a traditionnellement une surmortalité cardio-vasculaire chez nos patients, et qu'il faut qu'ils puissent être suivis sur le plan cardiologique, même quand ils sont jeunes et ont moins de 50 ans, vis-à-vis des facteurs de risque, et notamment le tabac. Le « S » c’est pour le soleil et la photoprotection et les soins cutanés qui sont fondamentaux dans cette maladie photosensible. Le « I » est d'actualité, c'est pour les infections, c'est-à-dire la mise à jour du carnet vaccinal, qui est fondamentale, et la conduite à tenir devant une infection : le principal de la surmortalité en France en 2022 pour un lupus traité, c'est lié aux infections ! Et puis le « C », c'est la corticothérapie qui va amener un lot de mesures associées et notamment un régime dont on rappelle à nos patients qu'il faut qu'il porte surtout sur le sucré alors qu'ils ont tendance naturellement à le porter sur le salé, ce qui n'est pas fondamentalement une erreur, mais qui, en fait, n'est pas nécessaire pour la plupart des patients, alors que c'est le sucré qui fait prendre dix kilos lors de l'initiation d'une corticothérapie.
Le langage des médecins peut parfois n’être pas complètement bien compris des malades : est-ce qu'il y a des moyens d'y remédier ?
On a beau essayer de simplifier notre langage pour le débarrasser des termes techniques, ce dont on s'aperçoit, c'est que quand le même vocabulaire est utilisé par des patients-experts, lors d'ateliers d'éducation thérapeutique, qui sont des ateliers en petit nombre, 5 à 10 patients au maximum, on voit la portée éducative beaucoup plus importante puisque le message est véhiculé par un pair qui a expérimenté la maladie.
Donc, cette légitimité des patients, elle mérite d’être utilisée dans des ateliers d'éducation thérapeutique dédiés, qui sont de plus en plus nombreux sur le territoire. Parfois, ils sont dédiés au lupus, parfois, ils regroupent plusieurs maladies auto-immunes, mais dont les problématiques sont très similaires. Et tout ça est bien notifié. Répertorié sur le site internet de la filière FAI2R dans la section éducation thérapeutique. Et donc c'est vraiment quelque chose qu'il faut qu'on communique à nos patients.
Un autre point abordé par les malades, c'est le sentiment d'abandon entre deux consultations spécialisées qui sont souvent assez éloignées.
Pour nos patients les plus équilibrés, on est amené à les voir moins souvent, une fois seulement tous les six mois quand ça va bien. Et on a ce retour de certains patients qui se sentent comme abandonnés entre deux consultations.
Il y a plusieurs façons d'y remédier. Certains médecins communiquent leur email, parfois leur téléphone portable, pour avoir un lien plus direct. Mais même dans cette situation, qui paraît idéale, on a des patients qui hésitent à utiliser ce canal de communication privilégié et se privent de pouvoir poser certaines questions.
Encore une fois, il y a un rôle de l'éducation thérapeutique qui doit aussi aborder ce point : utiliser les différents canaux, y compris les secrétariats en cas de doute. Certains hôpitaux sont un peu en avance et proposent même des applications de liens directs entre le patient et le centre expert.
Et c'est bien sûr là qu'il y a un rôle des associations qu'on ne peut pas ou qu'on ne doit pas remplacer et qui est majeur entre les malades et leur médecin. Mais très souvent, il est nécessaire de renvoyer les patients vers leur spécialiste sans attendre le prochain rendez-vous, même pour des questions qui ne sont pas purement médicalement urgentes mais qui le deviennent au niveau du vécu du patient.
Et quel est votre message final pour les médecins qui s’occupent de patient lupiques ?
Le message, c'est que par expérience, on a des patients intelligents mais qui ont des fois un souci d'autonomie, ce qui fait que l’on va être surpris de voir ce qu'ils vont pouvoir garder pour eux sans faire appel à nous, même, encore une fois, si on leur donne des coordonnées pour être joints. Et donc, le recours adapté au médecin spécialiste, c'est quelque chose qui doit se travailler en éducation thérapeutique, c'est-à-dire un peu à côté des soins standard.
Donc moi je milite, mais comme beaucoup d'autres personnes, pour qu'on ait exactement ce qui s’est fait dans le diabète, c'est-à-dire des patients qui sont informés, qui sont autonomisés, mais qui savent aussi apprendre à demander de l'aide par moments pour des épisodes intercurrents, que ce soit auprès de leur généraliste ou de leur spécialiste. On a énormément de travail pour augmenter la communication avec le patient lupique, y compris au niveau inter-soignant.