Médecine interne
Lupus et hydroxychloroquine : un traitement pivot et de nouvelles stratégies
À l'occasion de la journée mondiale du lupus, nous avons voulu revenir sur le traitement de cette maladie, et en particulier l'hydroxychloroquine, avec le Zahir Amoura, médecin interniste, chef de service à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, Centre de Référence National du Lupus
- BartekSzewczyk/istock
L’hydroxychloroquine est un très ancien médicament, remis à la mode lors de la crise récente de la Covid-19, maladie infectieuse où il est sans efficacité. Pourtant, c’est un médicament essentiel de la prise en charge de nombreuses maladies auto-immunes, et tout particulièrement du lupus. À l’occasion de la Journée Mondiale sur le Lupus, Fréquence Médicale a interviewé le Pr Zahir Amoura, médecin interniste, chef de service à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, Centre de Référence National du Lupus, pour un point sur l’intérêt de l’hydroxychloroquine en 2022.
Quelle est l'importance de l’hydroxychloroquine dans le traitement du lupus ?
L'hydroxychloroquine a vécu un vrai renouveau ces dernières années. Pendant très longtemps, c'était une des rares molécules qui avaient l'autorisation de mise sur le marché en France, essentiellement dans les atteintes cutanées et articulaires du lupus, et, en fait, on sait maintenant que c'est le véritable traitement de fond de la maladie lupique.
Donc cela veut dire que tous les malades qui ont un lupus, sauf contre-indication, doivent être mis sous hydroxychloroquine. On sait que la prise régulière de cette molécule diminue globalement l'activité de la maladie pendant des années, et qu’elle diminue par exemple, le risque d'avoir une évolution vers une atteinte rénale. Donc il y a à la fois un effet préventif sur les poussées elles-mêmes, et puis un effet sur l'activité globale de la maladie. Je rappelle que le lupus c'est une maladie chronique, donc un traitement de fond, c'est quelque chose de très important.
C'est un traitement utilisé depuis de nombreuses années et pourtant il a mauvaise réputation, en particulier auprès de beaucoup de malades. A votre avis, qu'est-ce qu'il faut leur dire ? C'est quoi ces complications ?
Le message important, c'est que l'hydroxychloroquine est un médicament qui est globalement très bien toléré. L'introduction de l'hydroxychloroquine dans le lupus, se fait généralement autour de 400 milligrammes. Mais quand on donne ces doses en traitement d'attaque, il peut y avoir des troubles digestifs. Ceux-ci peuvent être gérés facilement, soit en divisant initialement la dose par deux et en commençant de manière progressive, à 200 milligrammes par jour, soit en donnant 200 milligrammes le matin et 200 milligrammes le soir. Il peut y avoir parfois un peu de somnolence induite par l'hydroxychloroquine. C'est pour ça qu'il est préférable de la prendre le soir. Il n'y a pas de vraie contre-indications et même les personnes qui ont une rétinopathie d'une autre cause peuvent recevoir de l'hydroxychloroquine.
Alors la mauvaise réputation qui ressort via différents canaux auprès des malades, est probablement injustifiée, mais elle vient du fait que c'est une molécule avec une toxicité oculaire cumulative. Il y a, en effet, une toxicité rétinienne possible, pas du tout certaine, mais possible quand on prend une dose forte pendant de nombreuses années. Cependant, cette toxicité n’apparaît pas avant 5 ans de traitement. De plus, il est possible de dépister cette complication à un stade infraclinique chez les patients, en réalisant un champ visuel initial, qui est un champ visuel particulier puisque c’est le champ visuel central. En effet, l'hydroxychloroquine si elle s’accumule, le fait uniquement autour de la fovéa. Il faut vraiment bien voir la partie centrale du champ visuel. Il faut aussi faire un autre examen qui mesure l'épaisseur de la rétine et des couches de la rétine et qui s'appelle un OCT. Il faut en faire un dans l'année qui suit la prise en charge uniquement pour vérifier l'état de base. Et puis, comme on sait que ça a un effet cumulatif, on va commencer à refaire ces examens seulement cinq ans après le début. Ce sont les recommandations actuelles et après cinq ans, ces examens vont être faits de manière annuelle, sauf dans des situations où on pense que l'hydroxychloroquine peut s'accumuler de manière importante : les personnes qui ont une insuffisance rénale, mais normalement, on doit adapter la dose, les personnes qui ont une faible surface corporelle, celles qui ont des anomalies du bilan hépatique, des troubles de l'élimination hépatique. Donc, en dehors de ces rares situations, schématiquement, on donne des doses autour de 400 milligrammes, soit 2 comprimés par jour d'hydroxychloroquine pendant très longtemps.
Le revers de la médaille, c'est que comme c'est devenu un traitement de fonds, les malades lupiques sont exposés pendant plus longtemps qu'avant, beaucoup plus longtemps. Avant, on la donnait uniquement quand il y avait des poussées articulaires. Nos collègues de néphrologie, par exemple, l’initiaient rarement, quand il y avait une atteinte rénale. Maintenant, on le donne à quasiment tout le monde pendant très longtemps et, par exemple, des enfants qui ont un lupus pédiatrique vont être exposés pendant très longtemps à l'hydroxychloroquine. Donc chez ces personnes-là, il va falloir aller à la recherche et au dépistage de la rétinopathie. Et ça, c'est quelque chose de très important dans la prise en charge d'une maladie chronique.
Et pour les autres complications comme les colorations cutanées ?
Il peut y avoir des taches ardoisées car l'hydroxychloroquine a tendance à se lier à l'hémoglobine. Et si on a, par exemple, de l'aspirine associée à dose anti-agrégante, on peut faire des ecchymoses et ces ecchymoses vont contenir de l'hydroxychloroquine. On va avoir ce qu'on appelle des « taches ardoisées » qui sont souvent sur les crêtes tibiales et qui témoignent simplement d'une prise d'hydroxychloroquine. Malheureusement, c'est souvent irréversible. Donc chez les malades qui reçoivent de l'hydroxychloroquine et de l'aspirine en même temps, il faut faire attention, mais c'est un problème esthétique. Ce n'est pas une atteinte d'organe, comme la rétinopathie par exemple.
Donc c’est un traitement extrêmement prolongé et que l'on doit surveiller. Quand on voit apparaître une toxicité, est ce qu'il faut interrompre le traitement ? Et est-ce qu'une fois qu'on l'a interrompu, on peut le reprendre éventuellement ?
La règle, c'est que quand il y a des anomalies sur le champ visuel ou l'OCT, lors du dépistage systématique, on est dans une situation qui est infra-clinique, les malades ne s'en rendent pas compte. À ce stade, il est conseillé de faire un électro-rétinogramme qui va enregistrer réellement l'activité de la rétine. Et si on est dans une situation où le lupus est quiescent, il est recommandé d'arrêter le traitement. Et c'est un problème de fond puisqu’on n'a pas de traitement de remplacement validé. On a des idées bien évidemment, mais quand on arrête l'hydroxychloroquine pour une rétinopathie débutante, souvent on ne va pas le reprendre parce qu'il y a une mauvaise tolérance. Comme molécule de substitution, il est possible de prescrire une autre molécule, la chloroquine ou Nivaquine®, qu'on peut parfois donner à la place, qui est relativement bien tolérée, qui peut être un peu plus toxique pour la rétine.
Et est-ce que l’on peut réduire la dose de l’hydroxychloroquine pour éviter les complications ?
Si on veut réduire la dose d'hydroxychloroquine, on est confronté à une vraie difficulté parce que l’on ne sait pas anticiper les complications du lupus. On ne sait pas de manière claire actuellement, quand on a un lupus qui est parfaitement contrôlé depuis un an par exemple, sans poussée, si on peut se permettre de diminuer la dose. Mais, la dose qui est efficace dans les essais, c'est 6,5 milligrammes par kilo par jour. Or la dose qui est réputée toxique, c'est une dose supérieure à cinq milligrammes par kilo par jour. Il y a donc une espèce de discordance entre les deux et on pourrait peut-être, chez des malades qui ont un lupus en rémission depuis longtemps et qui reçoivent de l'hydroxychloroquine depuis dix ans, par exemple leur proposer de passer un comprimé par jour.
Pour l'instant, il n'y a pas eu d'essais randomisés permettant d'asseoir cette stratégie thérapeutique. C'est quelque chose que nous voudrions essayer de faire. Il y a eu une étude récente qui a été publiée dans la revue Annals of the Rheumatic Diseases où on a comparé deux groupes de malades : un groupe en rémission où l'hydroxychloroquine avait été arrêtée et un groupe où elle a été maintenue. Ce qui a été montré après ajustement, c'est que quand la dose d'hydroxychloroquine était diminuée, il y avait malheureusement un risque majoré de rechute. Donc on est actuellement partagé. On ne sait pas exactement ce qu'il faut faire quand la maladie est calme et si l'on peut se permettre de diminuer la dose de Plaquenil®, ce qui se serait très bien, parce que ça protégerait du risque d'évolution ultérieure vers une rétinopathie.
Alors si on est obligé d'arrêter l'hydroxychloroquine en cas de de complications, par quoi est ce qu'on peut le remplacer ?
Avant tout, on ne fait pas le distinguo pour l'instant entre les formes modérées et les formes sévères de lupus. Bien sûr, les antécédents, c'est quelque chose très important dans la prise en charge d'un lupus, mais on ne sait jamais dans un lupus si la prochaine poussée sera sévère ou « modérée ». Nous n’avons aucun moyen de prédire la gravité et la sévérité d'une poussée. Donc, globalement, on essaye d'appliquer à tous les malades la même attitude quand on est amené à interrompre l'hydroxychloroquine.
L'idée, c'est d'avoir un traitement sur le long cours qui va permettre de contrôler le lupus sans diminuer vraiment les défenses de l'organisme. En effet, avec l'hydroxychloroquine, il n’y a pas de diminution des immunoglobulines et donc pas de risque infectieux, car c'est un immunomodulateur plutôt qu'un immunosuppresseur. Dans cette catégorie d'immunomodulateurs, il y a aussi le méthotrexate, probablement, lorsqu’il est donné à faible dose, 10 à 15 milligrammes par semaine. Ça pourrait être intéressant dans certaines situations. Quand les malades ont des doses de corticoïdes, on a tendance à les laisser assez longtemps à cinq milligrammes par jour, donc on va les laisser encore plus longtemps. Chez ces malades, on peut parfois augmenter la dose à sept milligrammes. Si des malades ont fait des poussées gravissimes par le passé, on n'a pas du tout envie que cela se reproduise. Donc on est dans une situation actuellement, où on n'a pas de de d'attitude absolument définie. Mais un point important, c'est qu'il y a certaines biothérapies, comme le belimumab, qui quand il fonctionne chez les malades, pourrait être efficace sur le long cours. Sur les études qui durent maintenant depuis presque treize ans, il n'y a pas de signal d'alerte en termes de tolérance et on garde le contrôle de la maladie. Donc, si le malade a un traitement multiple, on doit pouvoir maintenir un traitement par le belimumab dans cette situation.
En médecine, beaucoup de spécialités confrontées à des maladies auto-immunes, reviennent sur l'utilisation des corticoïdes dans la mesure où maintenant il y a d’autres moyens thérapeutiques. Est-ce que l'arrivée de traitement plus spécifiques dans le lupus modifie également votre attitude vis-à-vis de la corticothérapie ?
En médecine interne et dans le lupus aussi, on essaye de modifier nos attitudes thérapeutiques vis-à vis des corticoïdes. La première chose à rappeler, et qui est importante, c'est que les corticoïdes sont un bon traitement de certaines poussées. C'est très important parce que quand on veut traiter une poussée, en fait, on se rend compte qu'il faut essayer de ne pas initier des corticoïdes. Pourquoi ? Parce qu'on utilise souvent les corticoïdes comme un thermostat, c'est-à-dire que le malade vous téléphone ou vous indique qu'il a une poussée articulaire, par exemple, classiquement, on lui dit de monter la dose de corticoïdes à quinze milligrammes, voire 20 milligrammes par jour. Et on se rend compte après des années que ce sont des patients qui ont fait des poussées successives, qu'ils ont contrôlé tout seuls ou avec l'accord de leur médecin, et ils ont une dose-cumulée de corticoïdes qui est considérable, avec les effets indésirables de ces corticoïdes. Donc vraiment la première question à se poser quand on prend en charge une poussée c’est : « est-ce que l’on doit mettre ou pas des corticoïdes ? » Et la réponse est qu’il faut essayer de favoriser l'abstention en matière de corticoïdes.
Deux exemples. Un premier, bien connu, c’est que les atteintes cutanées ne répondent pas très bien aux corticoïdes à dose faible, peut-être à dose forte, mais on a des alternatives. L'alternative numéro un, c'est l'hydroxychloroquine qui marche très bien sur la peau. L’alternative numéro deux, c'est par exemple le thalidomide qui est utilisable en France, qui marche très vite sur certaines atteintes, mais qui a aussi une toxicité. Mais on sait les gérer : on diminue les doses, on commence à des doses plus faibles et on diminue rapidement. Et l'alternative numéro trois, c'est aussi le méthotrexate qui a une activité sur l'atteinte cutanée. Donc on peut se retrouver en cas d’atteinte cutanée en poussée dans une situation où on va donner de l'hydroxychloroquine plus un autre traitement, mais pas de corticoïdes. C'est la première chose si on n’initie pas les corticoïdes, on sait que les malades y seront beaucoup moins exposés par la suite.
Le deuxième exemple de possibilité d’épargne cortisonique, c'est l'atteinte articulaire du lupus. C’est une atteinte qui ne détruit pas, qui ne déforme que rarement : ce n'est pas la polyarthrite rhumatoïde. Si vous contrôlez la douleur, vous avez du temps pour attendre que votre traitement supplémentaire soit efficace. Là aussi, l'hydroxychloroquine est validée dans cette indication. Mais comme tous les malades doivent désormais en avoir, souvent, on est confronté à des malades qui ont une poussée articulaire malgré l'hydroxychloroquine. Dans notre service, nous avons une série de patients, 25 malades, qui avaient une attente articulaire sévère, avec une impotence fonctionnelle importante, définie par un score BILAG-A. Donc des gens qui ont mal et qui ne peuvent pas travailler parfaitement. En leur faisant des perfusions de corticoïdes, des bolus de solumédrol, trois jours de suite, et en démarrant en même temps le méthotrexate, on leur évite de prendre le relais par une corticothérapie per os. Ces malades ont tous été suivis au moins à six mois, et quasiment les trois quarts de ces malades sont en rémission sans avoir eu besoin de prendre des corticoïdes : ils ont une maladie qui est parfaitement contrôlée et ils n'ont pas rechuté. Donc, c'est un moyen simple de traiter rapidement la poussée avec une dose de corticoïdes qui n’est finalement pas très importante, puisqu'on n'initie pas de corticoïdes per os. Et le malade va se retrouver avec du méthotrexate et de l'hydroxychloroquine.
Un autre exemple important, c'est l'atteinte rénale. Maintenant, on sait que les atteintes rénales, si des bolus de corticoïdes sont réalisés initialement, il est possible de prendre le relais avec une corticothérapie beaucoup plus faible 0,5 milligrammes par kilos par exemple. Donc la tendance actuelle, c’est vraiment d'essayer de ne pas initier les corticoïdes et, quand on doit les initier, c’est pour essayer donner une dose faible que l’on va essayer de diminuer rapidement. Et donc nous avons tendance à introduire plus rapidement des immunosuppresseurs et aussi des biothérapies. Beaucoup d'entre elles, que ce soit le belimumab ou que ce soit l'anifrolumab, ont démontré leur effet d’épargne cortisonique. Et c'est essentiel parce que comme la survie des malades s'est considérablement améliorée, sous corticoïdes per os on voit apparaître des complications qu'on n'avait pas, en l'occurrence des complications cardiovasculaires. Mais on sait que ce sont les corticoïdes qui jouent un rôle très délétère, donc il faut éviter les corticoïdes, mais si besoin, il faut les utiliser plutôt en bolus.
Et quel est votre message final pour vos confrères ?
Le message final, c'est deux choses importantes. La première, c'est qu’on réussit désormais, avec des stratégies thérapeutiques utilisant des médicaments anciens, à beaucoup mieux contrôler le lupus dans la durée. La notion de maladie chronique, c'est quelque chose de vraiment important dans le lupus et il faut regarder devant soi, c'est le contrôle de la poussée, et beaucoup plus loin, pour éviter qu'un malade rechute. Et donc traitements classiques, mais stratégies thérapeutiques nouvelles. Mais aussi désormais, nouveaux traitements. On voit arriver beaucoup de biothérapies et, cette année, il y en a deux qui sont validées : il y a l'anifrolumab, qui bloque le récepteur de l'interféron, et le belimumab, qui bloque Blys, et ont démontré leur efficacité. Mais on voit aussi arriver la voclosporine, un inhibiteur de calcineurine de nouvelle génération. On a enfin d’autres molécules qui ont réussi dans les essais thérapeutiques. Donc l'arsenal thérapeutique du lupus est en train de s'enrichir considérablement et on va essayer de réconcilier les deux aspects du traitement : « Comment on met les nouvelles molécules dans les stratégies thérapeutiques actuelles ? » Donc beaucoup d'espoir pour la suite et pour contrôler la maladie longtemps, sans rechuter. C'est le message essentiel dans le lupus.