Néphrologie
Rein et lupus : révolution thérapeutique en vue
La néphropathie est une complication qui grève sérieusement le pronostic du lupus mais elle peut désormais bénéficier de nouveaux traitements. Ceux-ci vont permettre en particulier de réduire la corticothérapie et sa iatrogénicité.
- Panuwat Dangsungnoen/istock
Dans le lupus érythémateux disséminé, l’atteinte rénale est un élément majeur du pronostic et le traitement a fait beaucoup de progrès au cours de ces 30 dernières années
Nous avons interviewé le Pr Alexandre Karras, néphrologue, à l’hôpital européen George Pompidou, à Paris, et spécialiste de la néphropathie lupique.
Quels sont les enjeux de la néphropathie lupique en 2022 ?
Le lupus est une maladie auto immune rare, mais néanmoins parmi les plus fréquentes des maladies rares et un médecin peut donc la rencontrer dans sa carrière. On dit classiquement qu’elle concernerait près d’une personne sur 1000 en France, mais c'est très variable selon les endroits. L’incidence peut être beaucoup plus élevé, notamment aux Antilles, mais en France métropolitaine l’incidence est entre 1 sur 5000 et 1 sur 1000.
La néphropathie est une complication fréquente et probablement une des plus sévères dans le lupus. C'est près d’une patiente sur trois qui va développer une néphropathie au cours d’un lupus et c'est souvent inaugural, dans les deux premières années de la prise en charge du lupus
La néphropathie est très importante au cours du lupus car elle va modifier la prise en charge. C'est souvent une des atteintes qui va conditionner le type de traitement qui va être initié. Mais c'est aussi quelque chose d'extrêmement péjoratif, tant sur le pronostic vital, que sur le pronostic fonctionnel. Sur le plan du pronostic vital, globalement, la mortalité va être de plus en plus importante au fur et à mesure des années qui vont suivre le diagnostic de lupus : de l'ordre de 5% à 10 ans. Ça paraît peu, mais il n'empêche qu’il s'agit de femmes jeunes dans la majorité des cas, entre 20 et 30 ans, et cette mortalité devient importante cumulée sur l’ensemble de la vie. Sur le plan du pronostic fonctionnel, l’atteinte rénale peut être responsable d’une insuffisance rénale modérée ou sévère, allant jusqu'à la dialyse. Actuellement, à peu près 10% des jeunes femmes lupiques vont avoir besoin d’une dialyse au bout de dix ans et encore plus en cumul sur la vie entière.
Mais même avec une maladie rénale moins grave, une insuffisance rénale modérée, la protéinurie peut avoir des conséquences importantes chez ces populations, notamment par le biais des conséquences obstétricales. Ce sont des jeunes femmes qui ont envie de d'avoir des enfants et dont finalement le projet de grossesse va être modifié par la maladie rénale ou par les traitements qui sont imposés par la maladie rénale.
Donc une maladie qui touche des femmes jeunes et qu’il va falloir surveiller pendant longtemps. Quels sont vos recommandations concernant la surveillance de l’atteinte rénale ? Peut-on se contenter de la protéinurie ou faut-il d’autres examens ?
En fait, la surveillance est assez simple une fois le lupus bien caractérisé. On a besoin d’une surveillance au moins annuelle, voire tous les six mois, comprenant la protéinurie, le sédiment urinaire ou l’ECBU, la fonction rénale avec la créatinine et une estimation du DFG. La néphropathie lupique est souvent une maladie relativement floride, qui apparaît d'ailleurs souvent au cours de poussées extra-rénales, et il suffit donc de bien suivre et d'examiner les patientes pour savoir quand le lupus est en train de se réveiller. Et quand il se réveille, il faut savoir analyser les urines et la créatinine, et si on a la moindre inquiétude, il faut aller à la biopsie rénale.
Ce qui change dans les recommandations de prise en charge, et qui est très important, c'est de référer auprès du néphrologue et aller assez facilement la biopsie rénale en cas de doute. On a parfois une discordance assez forte entre, des signes urinaires qui peuvent être assez modestes avec protéinurie de faible débit à 0,5 gramme ou un gramme par 24 heures et une maladie rénale qui peut être déjà très active sur le plan histologique et il faut avoir la biopsie facile dans ce contexte-là.
Parmi les autres recommandations, depuis quelques années, on a abandonné le dosage de la protéinurie des 24 heures. On est maintenant passé des choses plus faciles : un dosage de la protéinurie sur créatinine urinaire, sur un échantillon urinaire du matin. Ce ratio permet de simplifier un petit peu les examens, et de ne pas avoir ce recueil des urines sur 24 heures pour des jeunes femmes actives sur le plan professionnel ou familial.
Le traitement de la néphropathie lupique a fait beaucoup de progrès au cours de ces dernières années. Quelles sont les actualités de sa prise en charge ?
La néphropathie lupique a été pendant plusieurs années, voire même plusieurs décennies, le parent pauvre dans la prise en charge des maladies auto-immunes. Alors qu’on a vu arriver beaucoup de nouvelles molécules dans la polyarthrite rhumatoïde et d'autres maladies inflammatoires, on est longtemps resté sur des traitements assez classiques dans le lupus, traitements qui ont été testés et démontrés efficaces dans les années 80, comme les corticoïdes, le cyclophosphamide. Et puis dans les années 90-2000, on a montré que l'on pouvait faire aussi bien avec le mycophénolate mofétil qu'avec un agent cytotoxique tel que le cyclophosphamide. Mais il n'empêche qu'on n'a pas vu arriver toutes les biothérapies qu'on vu arriver dans d'autres pathologies rhumatismales et on était un peu sur notre faim. Les quelques essais qui ont été réalisés au départ étaient plutôt négatifs, donc on était assez déçu jusqu'à la publication sur les deux dernières années d'un certain nombre de d'études qui sont assez prometteuses, même si aujourd'hui on a des AMM européennes, mais pas encore les médicaments à disposition.
Alors parmi les trois grandes classes médicamenteuses qui semblent avoir un certain effet sur la néphropathie lupique, la première, c’est le belimumab, un anticorps monoclonal anti-BAFF (ou BLyS), une cytokine impliquée dans la survie des lymphocytes B. C’est un médicament injectable, intraveineux ou sous-cutané, qui est déjà utilisé dans le lupus non-rénal et qui semble avoir une efficacité certaine sur les signes cutanéo-articulaires. Et, il y a maintenant plus d'un an, une grosse étude a évalué ce médicament dans la néphropathie lupique et il semble que l’on améliore son pronostic, en augmentant le pourcentage de réponse au traitement, en sus d'un traitement qui comporte déjà une corticothérapie et du mycophénolate mofétil.
La deuxième grande classe médicamenteuse qui semble également avoir le vent en poupe, ce sont les anticalcineurines et le néphrologue que je suis connait bien les anticalcineurines, la ciclosporine et le tacrolimus, qui sont des médicaments que l’on utilise en transplantation depuis très longtemps. On avait déjà quelques éléments pour dire que ce sont des médicaments que l’on pouvait utiliser dans la néphropathie lupique, et on a désormais quelques études, notamment avec une nouvelle molécule qui s'appelle la voclosporine, qui semble également extrêmement efficace sur la réduction de la protéinurie et probablement de la mise en rémission de la néphropathie lupique. On va l’avoir à disposition dans les années qui viennent. On n'en est malheureusement pas encore au stade de la prescription de ce médicament, mais cela va probablement aussi modifier le pronostic.
La troisième grande catégorie de médicaments, ce sont les biothérapies qu'on appelle des déplétrices de lymphocytes B. On disposait déjà du rituximab, et on a désormais l’obinutuzumab, un petit cousin du rituximab, et qui semble être beaucoup plus efficace, induisant une dépression lymphocytaire B plus importante. D'après un essai de phase deux publié il y a quelques mois, l’obinutuzumab semble extrêmement efficace, en combinaison toujours avec le mycophénolate mofétil.
Donc, trois nouvelles armes potentielles qu'on va pouvoir utiliser, combinéés avec le traitement actuel. Reste à voir la place de chacune de ces molécules dans l'arsenal thérapeutique dont on va disposer. Ce qui est sûr, aujourd'hui, c'est que la tendance globale dans la néphropathie lupique, c'est de diminuer les corticoïdes. C'est vrai dans beaucoup de pathologies auto-immunes, et c'est probablement le fait de réduire la dose totale des corticoïdes, notamment au départ. On sait aujourd'hui que les corticoïdes sont générateurs de beaucoup de morbidité, non pas seulement sur le plan métabolique, mais sur le plan infectieux, sur le plan cardiovasculaire. Et la tendance aujourd'hui justement par l'introduction de ces nouvelles molécules, c'est de pouvoir réduire la corticothérapie et sa iatrogénicité qui joue un rôle non négligeable dans le pronostic de cette maladie.
Et quelle est votre message final ?
Je pense qu'il faut garder en tête que la néphropathie lupique reste une pathologie extrêmement sévère et difficile à prendre en charge. Encore aujourd'hui, les protocoles dont on dispose ne permettent d’obtenir une rémission que dans moins de 50% des cas. On a besoin de nouvelles armes thérapeutiques et l'arrivée de ces molécules va probablement modifier la prise en charge de cette pathologie. Reste aujourd'hui à déterminer comment est-ce que l'on va individualiser le traitement proposé à chacune de ces patientes avec un traitement qui permette de diminuer l'activité de la maladie, mais aussi la iatrogénicité du traitement.