Onco-Sein
Cancer du sein : le risque affiné par le suivi de la densité des seins
Une analyse de plus de 1,7 million de femmes montre que l’augmentation ou la persistance d’une forte densité mammaire s’accompagne d’un sur-risque notable de cancer du sein. Suivre la trajectoire densitométrique des seins au fil du temps améliorerait la stratification du risque.
- cbsva/istock
La densité mammaire constitue un facteur de risque établi de cancer du sein et est habituellement évaluée en pratique clinique selon la classification BI-RADS. Cependant, l’interprétation ponctuelle de la densité par différents radiologues soulève des questions de reproductibilité. En outre, la densité mammaire tend à diminuer avec l’âge, ce qui complique l’appréciation du risque dans le cas d’un seul examen isolé. Pour explorer l’impact des variations dans le temps de la densité mammaire, une vaste étude rétrospective coréenne a inclus plus de 1,7 million de femmes âgées de ≥40 ans, ayant eu au moins quatre dépistages mammographiques bisannuels (sur huit ans). Une modélisation des trajectoires a permis d’identifier cinq profils distincts d’évolution de la densité mammaire.
Les résultats, publiés dans The BMJ, montrent que le risque ultérieur de cancer du sein dépendrait fortement du type de trajectoire : comparées au groupe 1 (densité faible et stable), les femmes du groupe 2 (densité initialement faible, mais augmentant au cours du suivi) ont un risque multiplié par 1,60 (IC à 95 % : 1,49–1,72). Les groupes 3 à 5, avec une densité plus élevée dès le départ et une légère diminution dans le temps, affichent des hazard ratios ajustés respectifs de 1,86 (1,74–1,98), 2,49 (2,33–2,65) et 3,07 (2,87–3,28). Ce sur-risque s’observe quelles que soient l’âge, la ménopause ou l’indice de masse corporelle.
La densité reste un facteur de risque quel que soit le statut hormonal ou pondéral
Les analyses par sous-groupes soulignent la robustesse des conclusions, indépendamment des changements hormonaux ou pondéraux. Même chez les femmes plus âgées, la tendance à maintenir ou augmenter la densité mammaire élevée expose à un risque accru. La confirmation via plusieurs analyses de sensibilité (incluant des patientes ayant un suivi d’au moins deux ou trois dépistages) valide la cohérence des trajectoires identifiées. Cette étude met également en évidence que la forte densité mammaire coïncide souvent avec d’autres facteurs de risque classiques (ex. antécédents familiaux, nulliparité, utilisation d’un traitement hormonal).
Sur le plan des inconvénients potentiel de ce suivi, on peut évoquer la possible erreur de classification liée à l’évaluation visuelle de la densité (BI-RADS), réputée modérément reproductible. Cette limite est toutefois minimisée par la prise en compte de mesures répétées au fil des dépistages. Au niveau individuel, aucun effet indésirable direct n’est associé à la mesure de la densité elle-même, en dehors des contraintes habituelles d’examens mammographiques répétés.
Un changement des pratiques en incorporant le suivi de la densité mammaire
Les données proviennent du programme national coréen de dépistage du cancer du sein, couplé à la base d’assurance maladie. Le critère principal était l’apparition d’un cancer du sein diagnostiqué jusqu’au 31 décembre 2021. Les femmes incluses ont donc bénéficié de quatre mammographies successives sur huit ans. Cette stricte sélection (quatre cycles complets) peut introduire un biais de survie ou de sélection (femmes plus enclines à suivre régulièrement le dépistage). Toutefois, la cohérence des résultats dans les analyses de sensibilité et la taille considérable de l’échantillon (plus de 1,7 million de sujets) confèrent une puissance statistique exceptionnelle et renforcent la représentativité des conclusions.
En pratique, ces résultats suggèrent plusieurs changements potentiels, en insistant sur la trajectoire de densité qui pourrait aider à mieux identifier les femmes à haut risque, notamment celles dont la densité augmente dans le temps ou reste élevée. Selon les auteurs, au lieu d’un seul score statique, il serait intéressant d’intégrer une dynamique de densité mammaire (modélisation répétée) pour améliorer la prédiction du risque et optimiser la surveillance. Un groupe de femmes dont la densité était plus faible au départ, mais dont la trajectoire montrait une progression de la densité, courait un risque accru de cancer du sein, au fil du temps, suggérant l'importance d'identifier les femmes avec une augmentation de la densité mammaire. La validation de ces approches dans d’autres populations (occidentales, multiethniques) reste cruciale, de même que l’analyse de potentiels facteurs modifiables (contrôle du poids, hormonothérapie) susceptibles d’influer sur la densité mammaire et donc sur le risque de cancer.
En conclusion, l’évolution de la densité mammaire semble être un paramètre déterminant dans la stratification du risque de cancer du sein. Les femmes qui ont une densité mammaire stable et élevée ou en augmentation devraient recevoir un suivi renforcé, alors qu’une diminution progressive de la densité des seins serait associée à un risque plus modeste. Cette notion de trajectoire densitométrique ouvre de nouvelles voies pour un dépistage plus ciblé et plus efficace dans la pratique clinique moderne.