Psychiatrie

Seniors, dépression et conduite automobile : un enjeu majeur d’indépendance et de sécurité

Les conducteurs âgés qui une dépression adopteraient plus fréquemment des comportements de conduite à risque, dont des freinages brusques et des trajectoires imprévisibles. Un dépistage régulier et des interventions ciblées pourraient améliorer leur sécurité et préserver leur autonomie.

  • Jelena Stanojkovic/istock
  • 31 Déc 2024
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    D’ici 2050, les personnes de 65 ans et plus représenteront une part importante des conducteurs à l’échelle mondiale. Alors que conduire une voiture favorise l’autonomie et la participation sociale, ce maintien de l’activité chez des conducteurs âgés peut s’accompagner d’un risque accru d’accidents, notamment en cas de problèmes de santé physique ou mentale. La dépression touche environ 13 % des Américains, avec une prévalence plus élevée chez les femmes, et sa fréquence chez les personnes de 65 ans et plus est susceptible d’être sous-estimée.

    Plusieurs études soulignent déjà que la dépression altère certaines fonctions cognitives, telles que l’attention, les fonctions exécutives et la mémoire à court terme, susceptibles d’impacter la conduite automobile. Les résultats d’analyses antérieures faisaient état d’un doublement du risque d’accident chez les conducteurs déprimés, indépendamment de l’âge.

    Dans cette nouvelle étude de cohorte longitudinale sur 395 participants de 65 ans et plus, dont 85 atteints de dépression (major depressive disorder du DSM-V ou EDM), dont les résultats sont publiés sur JAMA Network, les auteurs ont suivi le comportement de conduite « en vie réelle » de ces personnes âgées, sur environ un an, grâce à un dispositif embarqué dans le véhicule. Par rapport aux témoins sans dépression, les sujets de plus d 65 ans avec un épisode dépressif majeur montrent une augmentation marquée des freinages brusques, des virages serrés (« hard cornering »), et une conduite plus « erratique » au fil du temps, illustré par la notion d’entropie (variabilité imprévisible des itinéraires).

    Une population à risque de nombreuses comorbidités

    De manière plus détaillée, ces conducteurs déprimés ont également parcouru en moyenne des distances plus éloignées de leur domicile et ont visité davantage de destinations que les sujets témoins. Concrètement, l’analyse démontre une différence significative dans les événements de freinage brusque (p<0,001) et de virages serrés (p=0,04). Les indicateurs géospatiaux (entropie, rayon d’action) sont aussi plus élevés chez les participants avec EDM, suggérant une plus grande « dispersion » de leurs trajets.

    En outre, la cohorte qui souffre d’un EDM cumule généralement plus de comorbidités (4,08±2,07 vs 2,79±1,67 ; p<0,001) et prend davantage de médicaments, dont des antidépresseurs (0,94±0,81 vs 0,27±0,54 ; p<0,001). Cependant, même en ajustant statistiquement sur la prise d’antidépresseurs ou le nombre total de traitements, le lien entre dépression et comportements à risque au volant persiste.

    En ce qui concerne la tolérance, le recueil des données de conduite ne fait pas état d’événements graves liés à la dépression elle-même ; toutefois, la multiplication des freinages brusques et la conduite en zones plus éloignées peuvent accroître la probabilité de « near miss » (quasi-accidents), voire de collisions effectives à terme.

    Une étude prospective de conduite en vie réelle grâce à un capteur

    Cette étude s’inscrit dans un cadre rigoureux : des seniors de plus de 65 ans, ayant ou non un diagnostic d’épisode dépressif majeur, ont été recrutés et évalués sur plusieurs paramètres cliniques, cognitifs et neurologiques. Un enregistreur placé dans leurs véhicules personnels a permis de collecter, pendant environ 1 an, des indicateurs de conduite en conditions réelles (vitesses, freinages, distance parcourue, lieux visités...). Cette approche offre une représentativité solide, puisqu’elle capture la variabilité quotidienne de la conduite et non pas seulement un test ponctuel en circuit fermé.

    D’un point de vue pratique, ces résultats confirment la nécessité de réaliser un dépistage systématique de la dépression chez les conducteurs âgés, de bien la différencier d'une démence débutante, d'évaluer l'impact d'autres comorbidités et d'évaluer in fine leurs aptitudes à la conduite. Les médecins généralistes, psychiatres et gériatres devraient être sensibilisés à l’impact potentiel de la dépression, et parfois des traitements antidépresseurs, sur les performances au volant. Des interventions ciblées pourraient inclure une rééducation à la conduite, un suivi occupationnel ou un ajustement thérapeutique pour minimiser les effets délétères.

    En définitive, cette étude souligne l’importance d’une prise en charge intégrée de la dépression et de la sécurité routière chez les seniors. Mieux repérer, accompagner et traiter les conducteurs souffrant de dépression pourrait contribuer à réduire le risque d’accidents et, in fine, à promouvoir un vieillissement actif et autonome.

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