Pneumologie
Pneumopathies d’inhalation : préférer une antibiothérapie ciblée
Il n’y aurait pas d'intérêt à une antibiothérapie extensive contre les anaérobies dans les pneumopathies d'inhalation communautaires. Le risque de développer une colite pseudomembraneuse à Clostridium Difficile limite encore plus l’indication d’une antibiothérapie élargie dans ces pneumopathies. D’après un entretien avec Damien BASILLE.
Une étude, dont les résultats sont parus en mars 2024 dans CHEST, a cherché à savoir si la couverture systématique par une antibiothérapie élargie des pneumopathies suspectes d’être inhalation avait un intérêt et si elle présentait un risque de colite pseudomembraneuse. Il s’agit d’une étude rétrospective canadienne, sur base de données, pour laquelle les auteurs ont inclus plus de 3000 patients, pris en charge pour une pneumopathie communautaire suspecte d’être d’inhalation. Les patients ont été séparés en deux bras. Le premier bras incluait 2683 patient qui ont reçu une antibiothérapie ciblée ou limitée, basée sur les recommandations, avec une céphalosporines de troisième génération ou de la lévofloxacine. Le second bras incluait 1316 patient qui ont bénéficié d’une antibiothérapie à spectre étendu, sur les anaérobies, comprenant de l’amoxicilline-acide clavulanique, de la moxifloxacine et éventuellement de la clindamycine et du métronidazole. Les auteurs ont comparé les deux prises en charge, sachant que les deux groupes de patients étaient équilibrés en termes d’âge (80 ans en moyenne), et en scores de sévérité. Parmi les patients inclus, 25% étaient institutionnalisés, 16% étaient atteints de démence et tous ont eu une pneumopathie sévère, pour laquelle 12% des sujets ont fait un séjour en unité de soins intensifs. Le critère principal d’évaluation étai la mortalité toutes causes confondues et le critère secondaire était l’apparition d’une colite pseudomembraneuse à Clostridium Difficile.
Pneumopathies d’inhalation : de l’hétérogénéité pour la définition
Le docteur Damien BASILLE, pneumologue au Centre Hospitalier Universitaire d’Amiens, rappelle que les pneumopathies d’inhalation ne sont pas associées à un plus fort risque de mortalité que les autres pneumopathies communautaires. Des études récentes ont montré une très faible prévalence (0,5%) de pathogènes anaérobies documentés attribués aux pneumopathies d’inhalation. Il souligne également que les recommandations américaines de 2019 ne recommandaient pas de traiter les germes anaérobies dans le cas d’une pneumopathie d’inhalation. Damien BASILLE relève que les résultats de ce travail ont montré une mortalité similaire dans les deux groupes mais moins de colites pseudomembraneuses dans le groupe ayant reçu une antibiothérapie ciblée (1% de différence en nombre absolu). Il précise que les antibiothérapies proposées étaient hétérogènes. Dans le groupe ayant reçu une antibiothérapie ciblée, il s’agissait de céphalosporine de troisième génération dans 97% des cas, et dans le groupe ayant reçu une antibiothérapie à spectre étendu, 50% des patients ont reçu une céphalosporine de troisième génération associée à du métronidazole et 50% ont reçu de la moxifloxacine (pour laquelle une alerte a été mise en place en France, par l’ANSM, afin de limiter son utilisation comme antipneumococcique seulement). Damien BASILLE explique que la définition des pneumopathies d’inhalation est fondée sur des codes qui n’ont pas été validés, san critères fixes et basées sur des facteurs de risque qui sont très nombreux, ce qui peut constituer un biais.
Des biais mais une certitude sur le faible intérêt de couvrir systématiquement les anaérobies
Damien BASILLE estime que la méthodologie de cette étude est bien construite mais qu’elle présente des limites, qui sont dans un premier temps, inhérentes à la définition des pneumopathies inhalation, qui n’est pas claire. De plus, les auteurs ne donnent pas d’informations concernant les agents pathogènes mis en évidence et le diagnostic de colite pseudomembraneuse s’est limité aux cas hospitaliers, alors qu’un grand nombre de patients sortait précocement et qu’il y a sans doute eu des cas de colite à Clostridium Difficile non identifiés. Damien BASILLE relève également que la durée de l’antibiothérapie n’a pas été la même dans les deux groupes avec une moyenne de 5 jours pour les traitements ciblés et de 7 jours pour les antibiothérapies étendues. Il est donc licite de poser la question d’une plus grande fragilité des patients ayant reçu l’antibiothérapie étendue, qu’ils auraient reçu par voie intra-veineuse. Enfin, les auteurs n’ont pas tenu compte des patients qui ont bénéficié d’un changement d’antibiothérapie, car ils n’ont observé le traitement que sur les 48 premières heures.
En conclusion, malgré quelques limites, les résultats montrent qu’il n’y pas d’intérêt à proposer une antibiothérapie élargie dans les pneumopathies d’inhalation car elle n’a pas d’impact sur la mortalité et provoque un surrisque de colite pseudo-membraneuse. Une pierre de plus pour limiter les prescriptions très larges d’anti-anaérobies…