Neurologie

Sclérose en plaques : un cerveau virtuel pour explorer l’atteinte cognitive

Parmi les multiples atteintes de la sclérose en plaques (SEP), l’atteinte cognitive est la plus difficile à systématiser à une structure nerveuse précise. Il apparaît qu’elle procède d’une défaillance de réseau liée à l’atteinte de multiples faisceaux d’axones, reliant les aires corticales et les noyaux gris profonds, plutôt qu’un seul faisceau particulier. Dans une étude parue cette année (Martí-Juan et al., 2023), des chercheurs du groupe MAGNIMS ont utilisé une simulation de cerveau, mise au point par le Human Brain Project et calibrée pour chaque patient afin de relier la distribution des lésions à des perturbations en IRM fonctionnelle et à des évaluations neuropsychologiques.

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  • 30 Oct 2023
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    La SEP est une maladie auto-immune chronique du système nerveux central, dont le diagnostique et le suivi s’appuient sur l’IRM. Malgré des progrès diagnostiques et thérapeutiques, le lien entre la distribution des lésions, appelé « dommage structurel », et les modifications de « connectivité fonctionnelle » entre les régions cérébrales observées en IRM fonctionnelle est encore mal compris. L’hypothèse actuelle est que les modifications de connectivité fonctionnelle sont un mécanisme de compensation des dommages structuraux à l’échelle du réseau, grâce à des redondances de circuits. Cette compensation serait effective jusqu’à ce que les dommages structurels surpassent toute redondance, provoquant un « effondrement de réseau » et une aggravation clinique rapide. Les modifications de connectivité fonctionnelle pourraient également être inappropriées et en fait aggraver les symptômes.

    Récemment, les travaux de neurosciences computationnelles ont conçu des approches de modélisation computationnelle du cerveau. « Le cerveau virtuel » (en anglais : «The Virtual Brain ») est issu du Human Brain Project (Sanz-Leon et al., 2015) et permet de simuler l’activité cérébrale (EEG, MEG, IRM fonctionnelle,…) à partir d’un connectivité structurelle, telle qu’elle peut être extraite de tractographies. Le modèle peut donc être calibré sur la connectivité structurelle de chaque patient, aboutissant à un modèle personnalisé, aussi appelé « jumeau numérique ». Dans cette étude, le cerveau virtuel est utilisé pour simuler la connectivité fonctionnelle attendue par les dommages structurels et est confronté au handicap et à la cognition.

    Méthodes

    Les IRM de 697 patients (513 patients atteints de sep et 208 contrôles sains) provenaient de 7 centres du consortium européen MAGNIMS et incluaient des acquisitions en T1, FLAIR, diffusion et IRM fonctionnelle au repos. Les images brutes de chaque séquence furent traitées par un pipeline incluant des étapes de segmentation et parcellisation en des régions cérébrales (atlas de Desikan–Killiany), de segmentation des lésions, de tractographie et d’extraction d’une matrice de connectivité fonctionnelle. Le handicap fut mesuré par l’EDSS et la cognition par le symbol digit modalities test (SDMT), qui évalue la vitesse de traitement de l’information.

    Le cerveau virtuel est un modèle hiérarchique. Il couple des modèles d’activité locale, reposant sur des équations différentielles, selon la connectivité structurelle du patient pour simuler l’activité globale. Deux paramètres macroscopiques sont estimés : la force de couplage et la vitesse de conduction entre les différentes régions. Les chercheurs peuvent choisir la configuration de modèle pour chaque niveau (local ou macroscopique) ainsi que leurs paramètres. Ici, ils ont repris une configuration de modèle préalablement utilisée pour étudier la maladie d’Alzheimer. Les modèles ont été optimisés pour prédire la connectivité fonctionnelle empirique. Des métriques dérivées de l’analyse de réseau ont pu être extraites. L’entropie est une mesure d’information quantifiant la diversité des corrélations entre les différentes régions. L’intégration est une mesure de la connectivité globale entre les régions, à l’inverse de leur ségrégation éventuelle en modules. L’efficience mesure la distance moyenne en nombre d’étapes pour aller d’une région à une autre. La moyenne des corrélations au sein des matrices de connectivité structurelle et fonctionnelle furent aussi évaluées

    Résultats

    Les paramètres des modèles (couplage et vitesse de conduction) furent comparés par rapport aux contrôles sains et entre les patients atteints de SEP stratifiés par l’EDSS (≤ 3 ou > 3) ou par le SDMT (< 40 ou ≥ 40 ; les scores bas étant plus sévères). Une des configuration de modèle évaluée montrait une augmentation significative du couplage entre les contrôles sains et les patients à SDTM bas et entre les patients à SDTM bas et haut. Mais il ne s’agissait pas de la configuration avec la meilleure calibration.

    Une moindre connectivité structurelle moyenne était faiblement associée à un EDSS et un SDMT plus sévères. Une moindre entropie était significativement associée à des EDSS et SDMT plus sévères. En comparaison aux contrôles sains, l’entropie était la métrique avec la plus grande différence, diminuant chez les patients. La même tendance fut observée pour l’intégration et l’efficience, sans être statistiquement significative.

    Les corrélations statistiques suggèrent que le couplage entre les régions augmente chez les patients plus sévères. La connectivité fonctionnelle seraient ainsi plus contrainte par la connectivité structurelle chez ces patients, ce qui traduirait un mécanisme compensatoire. Le couplage était significativement associé avec des biomarqueurs structurels en IRM de diffusion (négativement pour la fraction anisotropique et positivement pour la diffusivité radiaire) chez les patients plus sévères. Ceci pourrait suggérer un mécanisme inapproprié.

    Discussion

    Il s’agit de la première étude évaluant un modèle personnalisé de cerveau virtuel dans la SEP. Bien que l’entropie simulée diminuait chez les patients et chez ceux les plus sévères, l’entropie empirique (sur les connectivités fonctionnelles extraites des IRM fonctionnelles) n’était pas associée statistiquement. Il y a deux explications à cela. Le bruit du signal acquis lors de l’IRM fonctionnelle pourrait masquer l’association, alors que la simulation est dénuée de ce bruit d’acquisition. Alternativement, la relation réelle entre la connectivité structurelle et fonctionnelle seraient plus complexe que ce que la simulation du cerveau virtuel peut capturer à partir de la seule connectivité structurelle. Cette préservation de la connectivité fonctionnelle en dépit de dommages structuraux soutient l’idée de mécanismes compensatoires. Toutefois, il faudrait répliquer l’étude sur une cohorte indépendante pour écarter tout biais dans les données.

    Contrairement à ce qui était attendu, la vitesse de conduction globale n’était pas corrélée à l’étendue de la démyélinisation. Les auteurs suggèrent que d’autres configurations de modèles avec des parcellisations plus complexes pourraient mieux capturer cette relation.

    Dans l’ensemble, les associations statistiques étaient faibles entre les échelles cliniques et les paramètres de modèles ou les métriques dérivées de l’analyse de réseau. Il y avait tout de même une corrélation plus importante chez les patients les plus sévères. Les faibles associations peuvent simplement résulter de la relation indirecte entre ces paramètres et le retentissement clinique. Une autre limite est l’exclusion du cervelet dans la parcellisation. Le caractère multicentrique de la cohorte fut un défi technique, puisque les différences d’acquisition d’un centre à l’autre sont susceptibles d’altérer les résultats des algorithmes de post-traitement des images.

    Conclusion

    En sommes, cette étude introduit la modélisation computationnelle d’organe dans la recherche sur la SEP. Elle montre les biomarqueurs potentiels qui peuvent être dérivés des paramètres macroscopiques des modèles ou de l’analyse de réseau. Bien qu’abstraits par rapport aux biomarqueurs dont on a l’habitude en clinique, ils reflètent le fonctionnement cérébral à une échelle macroscopique, qui ne peut être accessible que par simulation. Ceci ouvre des perspectives d’évaluation des patients atteints de SEP via leurs jumeaux numériques.

     

    Références

    Martí-Juan, G., Sastre-Garriga, J., Martinez-Heras, E., Vidal-Jordana, A., Llufriu, S., Groppa, S., Gonzalez-Escamilla, G., Rocca, M.A., Filippi, M., Høgestøl, E.A., Harbo, H.F., Foster, M.A., Toosy, A.T., Schoonheim, M.M., Tewarie, P., Pontillo, G., Petracca, M., Rovira, À., Deco, G., Pareto, D., 2023. Using The Virtual Brain to study the relationship between structural and functional connectivity in patients with multiple sclerosis: a multicenter study. Cereb Cortex 33, 7322–7334. https://doi.org/10.1093/cercor/bhad041

    Sanz-Leon, P., Knock, S.A., Spiegler, A., Jirsa, V.K., 2015. Mathematical framework for large-scale brain network modeling in The Virtual Brain. Neuroimage 111, 385–430. https://doi.org/10.1016/j.neuroimage.2015.01.002

     

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