Pneumologie
Aspirine versus HBPM en préventif : de bons signaux mais des dosages imprécis
Une étude a montré la non-infériorité de l'aspirine comparée à une héparine de bas poids moléculaire en prévention de la mortalité après fracture des extrémités opérées ou fracture du bassin sans augmentation des embolies pulmonaires. Cependant, un travail sur la précision des dosages est encore nécessaire. D’après un entretien avec Francis COUTURAUD.
Une étude dont les résultats sont parus en février 2023 dans le New England Journal of Medicine, a cherché à démontrer l’efficacité de l’aspirine par voie orale en traitement préventif des évènements thrombotiques chez des sujets traumatisés d’un membre, en la comparant à celle des héparines de bas poids moléculaires. Les auteurs ont également évalué le risque d’accident hémorragique avec ces deux traitements. Il s’agit d’une essai multicentrique, randomisé et de non-infériorité pour lequel les auteurs ont inclus 12 211 patients de 18 ans ou plus, qui ont été victimes d’une fracture d’un membre et opérés ou d’une fracture du bassin non opérée. Les sujets ont été répartis en deux groupes équivalents. Un groupe a reçu de l’enoxoparine à raison de 30 mg deux fois par jour et l’autre groupe a reçu 81 mg d’aspirine deux fois par jour, pendant toute la durée de leur séjour à l’hôpital et à leur sortie, en fonction des protocoles de chaque établissement. Le critère principal de jugement était le décès toutes causes confondues à 90 jours. Les critères secondaires étaient la survenu d’embolie pulmonaire non mortelle, les thromboses veineuses profondes et les accidents hémorragiques.
Des résultats impliquant des commentaires…
Le professeur Francis COUTURAUD, chef du département de médecine interne, médecine vasculaire et pneumologie du Centre Hospitalier Universitaire de Brest, félicite ce travail de grande ampleur puisque plus de 12 000 patients ont été inclus. Il relève toutefois que le schéma thérapeutique est inhabituel puisque la dose d’héparine de bas poids moléculaire utilisée est de 1,5 fois la dose usuelle et la dose d’aspirine est multipliée par deux par rapport à la dose habituelle. Les deux bras ne sont donc pas équivalents, avec un bras « aspirine » plus gonflé. Des incertitudes sur les doses thérapeutiques existent donc, d’autant plus qu’aucune information sur d’éventuels incidents gastriques n’a été donnée. Les résultats concernant la mortalité sont positifs puisqu’il n’y a pas d’infériorité de l’aspirine sur la mortalité spécifique et aucun indice d’excès d’embolie pulmonaire. Toutefois, les thromboses veineuses profondes sont plus fréquentes chez les patients traités par aspirine : 2,5% versus 1,5% avec l’HBPM. Francis COUTURAUD modère ces résultats car la population étudiée est très jeune, avec un BMI moyen de 27, et porteuse de traumatismes des membres inférieurs seulement, ce qui ne représente pas une population à risque de mortalité par complication. Il remet donc en question la pertinence du choix de la mortalité comme critère de jugent principal, car d’autres études ont déjà démontré que les HPBPM n’améliorent pas la mortalité lorsqu’elles sont comparées à un placebo. A la sortie de l’hôpital, les patients ont en moyenne poursuivi leur traitement pendant 21 jours, et les évènements ont été identiques pour les deux groupes. Concernant l’innocuité, 14% d’hémorragies cliniquement significatives ont été relevées, , ce qui constitue un risque élevé mais il n’y a pas de différence entre les deux traitements. Francis COUTURAUD estime cependant que la méthodologie de cette étude est très solide et le travail bien réalisé, ce qui rend ces résultats puissants, même si avant de proposer un schéma avec de l’aspirine en deux prises quotidiennes , la population sélectionnée a besoin d’être très clairement précisée.
Un potentiel à préciser mais qui pourrait modifier les recommandations internationales
Francis COUTURAUD pense que le résultat de ces travaux peuvent avoir le potentiel de faire modifier les recommandation internationales, compte-tenu du signal positif sur l’embolie pulmonaire et l’absence d’impact sur la mortalité. De plus, l’étude a relevé très peu de perdus de vue et tous les patients, qui se trouvaient dans un contexte de fracture, n’ont pas été opérés. Malgré cela, l’analyse des sous-groupes ne montre pas de différence de résultats et ne détecte aucune hétérogénéité, ce qui s’avère plutôt rassurant. Pour Francis COUTURAUD, l’aspect médico-économique est à prendre en compte car le traitement par aspirine est plus accessible et moins coûteux que les HBPM, ce qui est un paramètre on négligeable. Il précise que l’étape suivante devrait être d’évaluer l’efficacité de l’aspirine par rapport aux anticoagulants oraux, afin de positionner ces derniers. Des travaux supplémentaires sont donc à réaliser pour, d’une part, déterminer la place des anticoagulants oraux et d’autre part déterminer avec précision le dosage d’aspirine à utiliser.
En conclusion, la non-infériorité de l’aspirine en traitement préventif des événements thrombotiques chez les sujets traumatisés des membres inférieurs a été démontré mais des incertitudes sur la dose efficace persistent. Et, où positionner les anticoagulants oraux ? Encore du travail de précision à réaliser avent de modifier les recommandations internationales…