Onco-Dermato
Mélanome stade T1 : le seuil de 0,8 mm serait un nouveau critère pronostique
Chez les patients atteints de mélanomes ≤1,0 mm, un seuil de 0,8 mm de l’épaisseur de Breslow différencie nettement le risque de mortalité liée au mélanome. Cette donnée populationnelle confirme la pertinence d’abaisser le seuil T1 de 1,0 mm à 0,8 mm.
- Albina Gavrilovic/istock
Les mélanomes de faible épaisseur, définis par une épaisseur de Breslow ≤1,0 mm (stades T1), constituent la majorité des mélanomes diagnostiqués dans le monde. Leur pronostic est globalement favorable, avec des taux de survie à 10 et 20 ans autour de 95 %, mais ces lésions demeurent responsables d’environ 25 % des décès dus au mélanome. Jusqu’à l’édition 8 de la classification de l’AJCC (American Joint Committee on Cancer), la limite de 1,0 mm définissait la finesse tumorale. Or, des données cliniques et populationnelles antérieures ont suggéré l’importance d’un seuil inférieur, autour de 0,7-0,8 mm, pour distinguer les groupes à bas et haut risque.
Une vaste étude de cohorte réalisée à partir des registres australiens (n=144 447) confirme clairement qu’à partir de 0,8 mm, le risque de décès lié au mélanome augmente significativement. Les taux de mortalité à 20 ans sont ainsi de 6,0 % pour les tumeurs <0,8 mm contre 12,0 % pour celles de 0,8 à 1,0 mm. Les analyses multivariées montrent qu’un seuil de 0,8 mm multiplie par près de 3 le risque spécifique de mortalité mélanique, tandis que le risque de décès non lié au mélanome demeure inchangé, quel que soit l’épaisseur. Ces résultats sont publiés dans The JAMA Dermatology.
Une analyse par sous-groupe d’épaisseur croissante
L’analyse compétitive des risques (mortalité liée ou non au mélanome) a été combinée à des modèles de cause-spécifique afin d’obtenir une vision complète de la dynamique du risque. L’étude confirme l’absence de plateau à long terme pour les mélanomes fins : même au-delà de 20 ans, la mortalité mélanique continue de croître. Les différences de risque entre sous-groupes d’épaisseur (par tranches de 0,1 mm de 0,1 à 1,0 mm) s’accentuent nettement à partir de 0,7 mm, avec une véritable rupture du risque dès 0,8 mm. Les analyses antérieures, notamment suédoises et australiennes, suggéraient déjà cette inflexion du risque entre 0,7 et 0,8 mm, mais la présente étude, basée sur un échantillon national très large, consolide cette notion.
Par ailleurs, l’incidence des décès non liés au mélanome reste stable et nettement supérieure à celle liée au mélanome pour la majorité des patients, sauf chez les sujets très jeunes (moins de 26 ans) où la mortalité mélanique dépasse celle due à d’autres causes. Ces données nuancent la perception du « faible risque » lié aux mélanomes fins, en montrant qu’une proportion non négligeable de patients demeure exposée à un risque cumulatif qui ne s’estompe pas sur le long terme.
Une analyse des registres nationaux australiens
Les données proviennent des registres de tous les États et Territoires australiens, couvrant la période 1982-2014. L’approche populationnelle et la très large taille de l’échantillon confèrent une forte représentativité aux résultats, évitant les biais de sélection propres aux cohortes institutionnelles. Le suivi médian de 15 ans garantit une robustesse temporelle. Le modèle inclut une analyse en risques compétitifs, recommandée pour évaluer les facteurs pronostiques dans des contextes de multiples causes de décès. Toutefois, cette étude de registre souffre de certaines limites, notamment l’absence d’informations sur l’ulcération tumorale, le statut ganglionnaire sentinelle ou les traitements spécifiques, qui auraient affiné l’analyse pronostique.
Malgré ces limites, ces résultats suggèrent vivement de réviser la classification AJCC des mélanomes de faible épaisseur, en abaissant le seuil T1 de 1,0 mm à 0,8 mm, afin d’identifier plus tôt les patients à haut risque. À terme, ces données justifient d’envisager un suivi plus prolongé et/ou des stratégies thérapeutiques différenciées pour les mélanomes compris entre 0,8 et 1,0 mm. Les recherches futures devraient intégrer des données cliniques complémentaires, l’analyse de facteurs pathologiques (ulcération, mitoses) et l’évaluation de stratégies de dépistage ciblées, afin d’optimiser la prise en charge des patients présentant des mélanomes fins aux frontières du risque élevé.