Hausse de l'espérance de vie

Comment vivre plus longtemps, en bonne santé

  • Par Léa Surugue
  • West Coast Surfer / Moo/REX/SIPA
  • 05 Déc 2015
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    ENQUÊTE - Vivre jusqu'à 120 ou 130 ans... une perspective qui n'est aujourd'hui pas impossible. Si cet allongement exponentiel de la vie nous fascine, il va bouleverser nos sociétés à l'horizon des prochaines décennies.

    Un matin, il y a huit ans, Monique Léonard a poussé les lourdes portes en bois de l’lnstitut de Jaeger. Ce luxueux établissement, situé dans le XVIe arrondissement de Paris, est aussi connu sous le nom d’Institut de médecine et de physiologie de la longévité.

    Il accueille des adultes soucieux de bénéficier d’un accompagnement, pour vivre plus longtemps en bonne santé. Une demande qui se fait de plus en plus fréquente au sein d’une population européenne vieillissante, et dont l’espérance de vie s’accroit de trois mois chaque année.

    La soixantaine passée, Monique Léonard a rencontré le Dr Christophe de Jaeger alors qu’elle traversait une époque difficile. Entre un divorce douloureux et des pressions importantes au travail, cette ancienne enseignante à l’université de Toulon ressentait un mal être aussi bien physique que psychologique.

    Monique s’est alors mise en quête de solutions pour se sentir mieux. Elle souhaitait retrouver la sensation d’un corps jeune et en bonne santé, sans pour autant vouloir allonger son espérance de vie de manière considérable.

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    Monique Léonard, patiente à l'institut de Jaeger: «Beaucoup de choses bougeaient dans ma vie à ce moment. C'était une période de turbulences. J'éprouvais le besoin de me remettre entre des mains en lesquelles j'avais confiance pour améliorer mon état général. Je ne pensais pas forcément à la longévité ...»

    Cette demande, le Dr de Jaeger l’a bien comprise. Gériatre spécialisé en biologie du vieillissement, il propose une prise en charge bien particulière, qui fait du mode de vie la clé pour accroitre la longévité des personnes (voir reportage).

    Une approche basée sur des méthodes de prévention et de correction de défauts biologiques, qui a donné son nom à un nouveau courant de pensée, le longévisme. Il préconise un rôle nouveau pour le médecin, qui n’est plus considéré comme un guérisseur, mais comme un accompagnateur des individus sains. « J’ai la faiblesse de penser que c’est bien d’accompagner les gens dans leur santé. », souligne le Dr de Jaeger.

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    Christophe de Jaeger, médecin gériatre et chercheur : «C'est bien d'accompagner les gens dans leur santé, l'espérance de vie en bonne santé diminue depuis au moins sept ans. C'est un vrai problème, mais personne n'en parle ...»

    Le fantasme de l’immortalité

    D’autres courants vont bien plus loin, jusqu’à rêver d’immortalité. Le plus connu, le transhumansime, s’intéresse à la longévité, avec des ambitions très poussées, parfois dignes d’un film de science fiction. Les plus extrêmes s'imaginent même pouvoir vivre 500 ans, voir 1000 ans.

    Mouvement intellectuel né aux Etats-Unis, porté en France par l’association Technoprog, le transhumanisme nourrit l’espoir de voir les nanotechnologies, les biotechnologies et les sciences cognitives (NBIC) révolutionner l’existence humaine, et conduire à un allongement exponentiel de la vie.

    Contrairement au longévisme, ce sont donc les technologies du futur qui sont au cœur de la pensée transhumaniste. Il suffit de discuter avec Didier Coeurnelle, porte-parole de Technoprog, pour s’en apercevoir.

    « La médecine traditionnelle et les médicaments ne permettront pas à eux seuls de dépasser les limites biologiques et le record du monde de longévité, détenu par la Française Jeanne Calment, morte à 122 ans. Seules les technologies peuvent aller au delà», note –t-il.

    Un point de vue que partage le Dr Laurent Alexandre, proche du courant transhumaniste et médecin urologue fondateur de la société de séquençage d’ADN, DNAvision. Celle-ci a pour but de séquencer et interpréter le génome des individus, pour le compte d’hôpitaux et de centres de recherches. Une analyse qui vise à identifier de potentielles mutations génétiques à l’origine de maladies.

    Cependant, pour le Dr Alexandre, les ambitions transhumanistes se heurtent aujourd’hui à un problème majeur : les technologies capables de révolutionner l’espérance de vie ne sont pas encore arrivées à maturité.

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    Laurent Alexandre, président de DNAvision : «Maximiser son espérance de vie c'est le lifestyle, mais ça aboutit à une vraie limite biologique, qu'on ne peut casser que par les technologies NBIC, qui ne sont pas à maturité...»

     

    Cela ne l'empêche pas de penser que l’être humain qui vivra 1000 ans est déjà né. « Quelqu’un qui nait aujourd’hui n’aura que 85 ans en 2100. Et en 2100, la technologie sera inimaginable. Donc, quelqu’un qui nait aujourd’hui peut sans trop de difficultés arriver jusqu’en 2150 » souligne t-il. Mais cette « immortalité » n’est en aucun cas pour demain.

    Perspectives scientifiques balbutiantes

    La science s’intéresse aussi de près à la problématique du vieillissement et de la longévité. Au cours de la dernière décennie, de nombreux chercheurs, notamment en France, ont mis en évidence des mécanismes biologiques et cellulaires, capables de retarder le vieillissement ou de rajeunir le corps, dans une perspective d’allongement de la vie (voir encadré).

    Chercheur à l’Inserm, Ivan Matic, voulait comprendre « pourquoi on vieillit », alors que seul 25 à 30 % de la longévité dépend des facteurs génétiques des individus. Ses travaux se sont attachés à comprendre comment l’environnement pouvait être modulé pour augmenter l’espérance de vie. Il a notamment montré l’intérêt, chez des primates, d’imposer des restrictions caloriques pour augmenter l’espérance de vie.

    L’équipe de Jean-Marc Le Maitre, à l’Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier, s’est illustrée en 2011, en reprogrammant des cellules de personnes centenaires en cellules souches pluripotentes, vierges de toutes marques de vieillissement. Autre biologiste célèbre, Miroslav Radman a quant à lui montré le rôle des protéines codant les gènes, dans le processus du vieillissement.  

    Problème : ces recherches ne sont pas encore exploitables au niveau thérapeutique. Il reste du chemin à faire avant que la médecine ne puisse inverser le vieillissement des individus.

    Un combat philosophique

    Longévisme et transhumanisme ne se différencient pas simplement sur le plan des techniques, mais aussi sur le plan de la réflexion éthique. Premier cheval de bataille des transhumanistes : persuader les individus que la vieillesse est un ennemi à vaincre.

    « Pendant toute l’histoire de l’humanité, quasiment personne n’a été confronté au mécanisme de vieillissement car les hommes mourraient précocement à cause de conditions de vie difficiles. Si l’on veut être provocateur on pourrait dire que c’est vieillir qui n’est pas naturel. Il est donc nécessaire d’aller à l’encontre de la nature pour vivre plus longtemps », souligne Didier Coeurnelle.

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    Didier Coeurnelle, porte-parole de l'association Technoprog: « Si l’on veut être provocateur on pourrait dire que c’est vieillir qui n’est pas naturel. Il est donc nécessaire d’aller à l’encontre de la nature pour vivre plus longtemps »

    Pour les détracteurs du transhumanisme, à force de vouloir ralentir leur vieillissement, les individus passent à côté de l’essentiel. « C’est vraiment une vision restreinte de la vie humaine qu’ont les transhumanistes. Ils réduisent la vie au simple nombre des années ou à la bonne santé alors qu’on sait que le goût de la vie c’est la qualité des liens et des relations, qu’on ne peut augmenter artificiellement», souligne Pierre-Henri Tavoillot, philosophe.

    La fascination pour l’immortalité a toujours existé. Que l’on mette ses espoirs dans les technologies ou que l’on préfère agir sur son mode de vie, l’allongement de la vie pose un certain nombre de défis, et notamment celle du coût social et économique.

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    Pierre-Henri Tavoillot, philosophe : « Il y a un moment où le transhumanisme devient un peu délirant avec une focalisation sur le seul désir d'être immortel. Rien ne dit que la vie éternelle ne sera meilleure. C'est une vision restreinte de la vie, réduite au nombre des années. Ce qui fait la qualité de la vie, c'est la qualité des liens »

     

    Lire la suite de notre enquête : 

    L'Institut de Jaeger agit sur l'âge biologique

    Vivre longtemps, mais à quel prix ? 

    Contrairement aux Etats-Unis, la France n’a pas une grande tradition de recherche sur le vieillissement. Pourtant, depuis une dizaine d’années, un bon nombre de ses chercheurs se sont illustrés dans le domaine, se penchant sur les mécanismes biologiques et cellulaires à l’origine de la dégradation du corps.

    Le Dr Emile Beaulieu a travaillé, en 1963 sur la DHEA, une hormone secrétée par les glandes surrénales. Il a mis en évidence certaines de ses propriétés antivieillissement, notamment chez la femme ménopausée, grâce à une étude sur des femmes de plus de 70 ans. Sans être une « cure de jouvence », comme elle a parfois été décrite, la DHEA améliorerait la densité osseuse de ses femmes et leur libido. Elle n’est pas considérée comme un médicament, mais n’est pourtant accessible qu’en pharmacie, sur ordonnance.

    S’inspirant des travaux du chercheur japonais Shinya Yamanaka, Jean-Marc Lemaitre et son équipe de l’Inserm ont réussi en 2011 à reprogrammer des cellules sénescentes et des cellules de centenaires humaines en cellules souches pluripotentes, grâce à un cocktail modifié de six gènes. Ils ont alors montré que ce processus conduisait à la réversibilité du processus du vieillissement cellulaire. Après la reprogrammation, les cellules obtenues ne présentaient plus aucune marque de vieillissement, et étaient capable de réformer tout types cellulaires de l’organisme, avec une capacité de prolifération et une longévité accrue. Un pas majeur pour la médecine régénérative.

    Les travaux d'Ivan Matic étudient comment l’environnement peut être modulé pour augmenter l’espérance de vie. Plusieurs expériences chez des primates ont par exemple montré que des restrictions caloriques pouvaient augmenter la durée de vie, mais réduisaient la fertilité des animaux. Il a aussi montré que, chez des piverts, certaines manipulations de la flore intestinale peuvent agir sur la longévité.

    Miroslav Radman estime que le vieillissement s'explique par un dégât oxydatif causé aux protéines qui codent les gènes. Cette oxydation augmente avec l’âge. Pour lui, le mécanisme du vieillissement n’est donc pas lié directement à un raccourcissement des télomères, les séquences d'ADN non codantes situées aux extrémités des chromosomes, comme le soutiennent de nombreux scientifiques. Il  pense que le processus du vieillissement peut être réversible, en créant des « traitements anticorrosion », qui protégeraient les cellules de l’oxydation.

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