Repas en famille
Education : l'alimentation est un facteur de distinction sociale
« A table ! » Voilà un cri qui résonne dans de nombreux foyers après 19 heures. Le repas en famille est un incontournable qui façonne la perception de l’alimentation chez les enfants.
Poulet-frites, poule au pot, couscous ou plateau télé, le repas du soir est un moment traditionnel dans la vie d’une famille. Mais son profil et sa perception par les enfants changent fortement selon la catégorie socio-professionnelle des parents. Une équipe de l’Institut national de recherche en agronomie (Inra) de Versailles-Grignon publie les conclusions d’une enquête sur 119 enfants de 10-12 ans dans la revue Anthropology of Food.
Les écoliers de primaire (CM2) et de collège (6ème) qui ont participé à cette étude habitent tous dans un quartier populaire du nord-est de Paris en cours d’embourgeoisement. Un tiers de la population y est d’origine étrangère. Et leurs habitudes alimentaires sont très différentes. Seul point commun : le repas est très largement simplifié par rapport au modèle de la cantine (entrée-plat-dessert). La plupart du temps, les enfants se contentent d’un plat.
Que mange-t-on ?
Le plat « à la française » (steak-frites, poulet-frites, cordon bleu) se consomme surtout dans les familles populaires françaises, ainsi que dans la petite classe moyenne d’immigration ancienne. Détail amusant : le steak-frites peut aussi être un signe de réussite dans certaines catégories migrantes.
Les auteurs de cette étude citent le cas de l’Afrique subsaharienne, où ce plat est réservé aux restaurants branchés, à une élite urbaine et fortunée.
Dans les familles issues d’immigration récente, les plats proviennent plus souvent du pays d’origine des parents.
Les enfants des milieux favorisés, en revanche, dédaignent ces plats « franchouillards » et leurs préfèrent des menus plus raffinés ou au profil diététique plus optimal. D’ailleurs, ils ne mentionnent presque jamais le steak-frites. Lors d’un débat à ce sujet, ils objectent même ses mauvaises qualités nutritionnelles.
Les sodas sont davantage présents dans les classes populaires. Dans ce domaine, une distinction filles-garçons s’opère. Les jeunes filles ont tendance à les éviter, évoquant u rapport à la minceur, et leur préfèrent éventuellement des jus de fruit. Les jeunes hommes, eux, ne se posent aucune limite. Pour se justifier, ils avancent les notions de plaisir, mais aussi de pratique sportive.
Des repas surtout pris en famille
Dans l’immense majorité des cas, le repas du soir reste fidèle aux valeurs traditionnelles : il est pris à table, en famille, entre 19 et 20 heures. Dans certains cas, les enfants mangent entre eux, lorsque la fratrie est trop nombreuse ou que les parents travaillent en horaires décalés. En revanche, le repas en dehors de la table reste marginal et cantonné aux familles défavorisées.
Ce n’est pas pour autant qu’il colle à l’image du « plateau télé » : le petit écran est davantage consommé par les familles défavorisées. Chez les participants de 6ème, 80 % des foyers mangent devant une télévision allumée. « Les 6ème de milieu populaire revendiquent haut et fort l’importance distinctive du petit écran », ajoutent les auteurs.
Mettre la table, faire la cuisine, faire le ménage ou la vaisselle. Ces tâches ménagères ne revêtent pas le même sens pour tous les foyers. Dans les familles populaires ou migrantes, elles sont davantage synonymes de partage du travail, même si les filles s’investissent davantage que les garçons. Cette différence tend à s’effacer chez les migrants africains ou les familles favorisées. A l’inverse, dans les familles les plus favorisées, qui ont la possibilité d’externaliser ces tâches, l’apprentissage est plus ludique.
Une transmission des valeurs
En fait, la famille joue le rôle de transmetteur « passif » des valeurs de l’alimentation, avec de véritables distinctions en fonction des classes. « Si les goûts se diffusent d’une classe à l’autre, l’élite renouvelle constamment ses critères de distinction pour entretenir sa différence, tandis que les ménages populaires ne ressentent pas l’uniformité et la qualité inférieure de la consommation de masse valorisée par la télévision », expliquent les auteurs.
La façon même de parler de l’alimentation est affectée par l’éducation. A tel point que les jeunes s’approprient le langage de leurs parents. Les enfants issus des couches inférieures parlent en termes de menus, tandis que ceux des classes favorisées évoqueront les aliments – parfois sans parler de leur cuisson – et sans les associer entre eux.
« Les enfants qui font ce type de déclaration ont sans doute conscience des bonnes pratiques familiales relativement aux recommandations nutritionnelles, détaillent les chercheurs. Comme dans d’autres domaines de l’alimentation infantile, les parents dotés d’un capital culturel et socioprofessionnel élevé sont plus sensibles que ceux de milieux populaires, aux normes savantes, qu’ils sont aussi les premiers à mettre en pratique. »