Journée européenne de la dépression

Suicide : des marqueurs pour mieux identifier les personnes à risque

La 12e Journée Européenne de la Dépression met en évidence un fléau spécifiquement français : le suicide. Pourtant, de nouveaux travaux pourraient permettre de lutter plus efficacement contre cette maladie à part entière.

  • Par Jean-Paul MARRE
  • SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
  • 27 Oct 2015
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    A la différence d’autres pays, la fréquence du suicide en France n’a pas varié depuis le début des années 1990 : environ 11 500 décès par suicide sont décomptés chaque année, soit 4 fois plus que les tués par accidents de la route. De plus, le nombre de tentatives de suicide reste lui aussi invariable et atteindrait environ 220 000 à 240 000 par an. C’est un enjeu d’autant plus important que la France est un des pays européens où le risque de décès par suicide est le plus élevé, et ce malgré les politiques de prévention mise en place au fil des ans.

    Dépression et suicide : des rapports complexes

    Jusqu’à maintenant, on considérait le suicide comme étant toujours secondaire à un certain nombre de maladies psychiatriques, en particulier la dépression, les troubles bipolaires et la schizophrénie, car les suicides y sont particulièrement fréquents. Désormais, on tend à considérer le suicide comme une maladie psychiatrique à part entière, et ceci pour diverses raisons.

    La première, c’est que lorsqu’on regarde les travaux qui portent sur « l’autopsie psychologique » des sujets décédés par suicide, on s’aperçoit que près 70% d’entre eux n’avaient pas de pathologie psychiatrique au moment du passage à l’acte.

    D’autre part, un grand nombre de patients qui souffrent de dépression, de troubles bipolaires ou de schizophrénies ne feront jamais de tentatives de suicide, et ne décèderont pas par suicide.

    Le suicide, une maladie psychiatrique autonome

    Un travail français, qui a fait la une du dernier congrès nord-américain de psychiatrie, l’APA, démontre cette individualisation. A partir de l’analyse d’une très large cohorte de malades souffrant de troubles psychiatriques, Nicolas Hoertel (Issy-les Moulineaux) a validé la singularité du suicide comme entité psychiatrique autonome : « Dans cette étude, on démontre que les tentatives de suicide ne sont pas liées à une maladie mentale donnée, ou un groupe de maladies mentales, mais que ce risque serait médié par un facteur général qui correspondrait à une vulnérabilité globale de développer toutes formes de psychopathologies, autrement dit toutes formes de maladies mentales ».

    Un marqueur de la vulnérabilité au suicide

    A l’heure actuelle, on considère que le suicide est particulièrement associé, d’une part à une altération de la capacité à prendre une décision adaptée, et d’autre part, à une altération des freins cognitifs à mettre en acte une conduite suicidaire.

    Cette altération de la capacité à prendre une décision est mesurable en recherche, et constitue donc un marqueur du risque suicidaire. Un test simple consiste à évaluer une personne sur sa capacité à faire des choix adaptés lors de jeux de cartes associées à des gains ou à des pertes financières. « Les personnes qui avaient tenté de se suicider, et notamment celles qui avaient fait des tentatives de suicide violentes, ces « suicidants » ont une tendance à faire des choix risqués, désavantageux, alors que des personnes normales ou des personnes déprimées mais non suicidaire n’ont pas cette anomalie », explique Fabrice Jollant (Montréal).

    Surtout, des travaux ont montré que les apparentés au premier degré de personnes décédées d’un suicide, qui eux-mêmes n’ont jamais tenté de se suicider, présentent elles-mêmes de très légères anomalies de prise de décision, ce qui correspond sans doute en partie au caractère familial du suicide.

    http://www.nature.com/mp/journal/v20/n6/full/mp201519a.html

    L'intérêt du lithium

    Cette anomalie de la prise de décision des sujets à risque suicidaire aggravé semble corrigeable par différentes prises en charge : psychothérapies, stimulation transcrânienne et/ou par traitements médicamenteux. Parmi ces derniers, le lithium est une molécule particulièrement intéressante. Ses propriétés anti-suicidaires sont connues depuis longtemps, mais la recherche nous montre désormais que les malades souffrant d’un trouble bipolaire et qui sont traités par lithium ont des capacités de prise de décision tout à fait comparables à celles des sujets contrôles, et bien supérieures à des malades bipolaires traités par n’importe quel autre "thymorégulateur". Un effet anti-suicidaire du lithium qui pourrait passer par une diminution de l’inositol dans le cerveau, selon Fabrice Jollant. Cette molécule est connue pour être élevé en cas d’anomalie de la prise de décision, et constitue une des cibles du lithium.

     

    Prioriser les stratégies de prévention

    Des voies de recherche très prometteuses, tant en termes conceptuel, que de biomarqueurs et de traitement du suicide, sont actuellement explorées. Mais en attendant la disponibilité d’un test en clinique, la première chose à faire pour réduire le risque de suicide, est de prioriser les actions préventives sur le seul marqueur validé à ce jour du risque de suicide : le fait d’avoir déjà commis un geste suicidaire. Les suicidants ont, en effet, un risque 32 fois plus élevé que la population générale de décéder par suicide.

    En considérant le suicide comme une maladie à part entière, et pas seulement comme une conséquence éventuelle d’une autre maladie, nous devrions arriver à mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent le risque de décès par suicide et à développer de nouvelles stratégies pour favoriser la prévention.

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