Chirurgies, chimiothérapies...
L'antibiorésistance menace les soins hospitaliers
Si rien n'est fait pour lutter contre les résistances bactériennes aux antibiotiques, les opérations chirurgicales les plus courantes ne pourront plus être pratiquées.
La résistance bactérienne aux antibiotiques les plus prescrits augmente à une vitesse alarmante, à l'echelle internationale. L’inefficacité de certains traitements est déjà une réalité en France. Mais dans les prochaines années, les conséquences de l’antibiorésistance pourraient être désastreuses en particulier pour les patients opérés ou traités par chimiothérapie, alertent des spécialistes dans une étude parue ce vendredi dans le journal scientifique The Lancet : Infectious Diseases.
Ces travaux menés par l’ONG américaine CDDEP (Center for Disease Dynamics, Economics and Policy) suggèrent que chaque année aux Etats-Unis, plus de la moitié des infections post-opératoires, et plus d’un quart après une chimiothérapie, sont causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques de référence.
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont compilé et analysé une trentaine d’études réalisées entre 1968 et 2011. Celles-ci examinent l’efficacité de la prophylaxie antibiotique dans la prévention des infections pour les 10 opérations chirurgicales les plus fréquentes (remplacement de la hanche, césarienne, biopsie de la prostate...) et la chimiothérapie anti-cancéreuse. Ils ont ensuite calculé, selon différents scénarios, le nombre d’infections et de décès supplémentaires si les traitements devenaient de moins en moins efficaces.
Futur inquiétant
Et les résultats de ces modélisations sont loin d’être rassurants. Dans le cas où l’efficacité des antibiotiques diminuerait de 30 %, le nombre d’infections supplémentaires frôlerait les 120 000, entraînant 6 300 décès. Mais un scénario plus sombre est également évoqué par les chercheurs : une diminution d’efficacité de 70 % doublerait le nombre de cas et de morts supplémentaires chaque année.
Ainsi, si la résistance des bactéries s’accroît, ces interventions seront de plus en plus risquées, voire quasi impossibles. Or, dans notre médecine moderne, les antibiotiques sont tout simplement indispensables. En chirurgie, quels que soient la technique et l’environnement, on trouve des bactéries pathogènes dans plus de 90 % des incisions lors de leur fermeture. L’infection est donc la complication post-opératoire la plus fréquente en l'absence de prophylaxie bactérienne. Pour les patients immunodéprimés par une chimiothérapie, ces médicaments sont leur bouclier de défense. Impossible donc de faire sans.
Selon le Pr Céline Pulcini, infectiologue au CHU de Nancy, ces modélisations sont pertinentes pour la France bien que les taux de résistances bactériennes dans l'Hexagone soient à ce jour plus faibles qu'aux Etats-Unis . « En revanche, si la résistance bactérienne augmente, nous nous retrouverons dans ces scénarios, notamment pour les chirurgies du tube digestif et des voies urinaires, puisque actuellement la résistance en France pose surtout un problème pour les bactéries du tube digestif », précise-t-elle à Pourquoidocteur après avoir assisté à la présentation des résultats à Uppsala en Suède.
Lutte acharnée
La spécialiste explique par ailleurs que ces travaux permettent de faire prendre conscience au grand public de l’ampleur et des enjeux de l’antibiorésistance. « Beaucoup de gens ne savent pas que des antibiotiques sont prescrits aux patients avant la plupart des opérations, pour réduire le risque d'infection post-opératoire. Tout l’intérêt de cette étude est de bien faire comprendre que l’augmentation de la résistance bactérienne aura un impact sur des pratiques médicales au sens large, et pas uniquement sur les maladies infectieuses comme la pneumonie ou les infections urinaires. Si aujourd’hui, nous pouvons faire de la chirurgie, traiter des patients contre le cancer ou réaliser des greffes d’organes, c’est grâce aux antibiotiques », souligne-t-elle.
Ainsi, si l’on souhaite continuer à bénéficier des progrès de la médecine, redoubler d’efforts pour lutter contre l’antibiorésistance ne sera pas de trop (voir encadré). « Non seulement nous avons besoin de collecter des données récentes pour définir les nouvelles recommandations, mais nous avons également besoin de nouvelles stratégies pour prévenir et contrôler l’antibiorésistance à une échelle nationale et internationale », conclut le Dr Ramanan Laxminarayan, principal auteurs de ces travaux.
Réduire de 25 % la consommation des Français
En Europe, les Français sont parmi les plus gros consommateurs d’antibiotiques. Trop prescrits en ville comme à l’hôpital, ces médicaments ne sont parfois plus efficaces. Et l’apparition de résistances bactériennes est loin d’être sans conséquence. Chaque année, près de 160 000 patients contractent une infection par une bactérie multirésistante et 12 500 en meurent selon une étude de l’Institut de veille sanitaire.
Pour préserver l’efficacité des antibiotiques, le plan d’alerte sur les antibiotiques 2011-2016 a fixé comme objectif de réduire de 25 % la consommation d’antibiotiques. Et pour y arriver, un rapport remis fin septembre à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, émet des propositions concrètes.
Les auteurs proposent par exemple de limiter la prescription initiale à 7 jours. Ils insistent également sur la nécessité d’attaquer de front tous les secteurs qui concourent à l’antibiorésistance. Car, le phénomène ne se cantonne plus aux établissements de santé ou les cabinets de médecins, les élevages et l’environnement sont aussi des acteurs clés.