Blue brain project
Cerveau : des chercheurs parviennent à simuler son fonctionnement
Après de longues années de recherche, les scientifiques du Blue Brain Project sont parvenus à simuler la fonction d'un fragment de cerveau de rat. Une avancée majeure en neurosciences.
C’est une quête qui occupe plusieurs dizaines de chercheurs dans le monde depuis une bonne dizaine d’années : décortiquer le fonctionnement du cerveau et être capable de le simuler par informatique. Emmenée par le Henry Markram, professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, l’équipe internationale du Blue Brain Project (BBP) vient d'y parvenir. Des résultats attendus de longue date par la communauté scientifique, dont de nombreux membres n’avaient pas hésité à émettre de sérieux doute sur la faisabilité du projet, dès ses débuts.
A l'époque, le BBP avait été présenté comme un moyen sans précédent pour accélérer les recherches en neurosciences, avec en toile de fond, l’espoir d’ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques pour les maladies cérébrales. Un objectif depuis redéployé à plus grande échelle dans le Human Brain Project, titanesque projet européen au financement record.
30 000 neurones, 37 000 synapse
La longueur de l’article scientifique, publié ce 8 octobre dans la prestigieuse revue Cell, est à la hauteur de cette attente : 38 pages pour décrire dans les moindres détails la reconstruction « in silico », c’est à dire grâce à des programmes informatiques, d’un tiers de millimètre cube de cerveau de rat. Un volume qui peut semble bien dérisoire, mais qui recèle en réalité plus de 30 000 neurones, reliés par environ 37 000 points de contacts, les synapses. Ce sont elles qui permettent la propagation des influx nerveux entres les neurones et donc l’activité cérébrale.
Ingénieurs, physiciens, biologistes, il aura fallu la collaboration de 82 chercheurs, répartis dans 13 institutions de recherche pour parvenir à ce qui apparaît pour certains comme un graal scientifique...
Rétroconception
Comme le raconte Henry Markram dans une vidéo, les scientifiques ont d’abord travaillé par « reverse engineering » ou rétroconception. Comme ces amateurs de mécaniques précieuses qui démontent un moteur pièce par pièce pour mieux en saisir toute la complexité. Ici il a fallu disséquer l’architecture du néocortex de rat, comprendre l'organisation et la fonction de chaque neurone, pour ensuite tenter de reproduire ce que la nature a créé, grâce à un super-ordinateur.
Idan Segev, un des principaux auteurs de l'étude, n'hésite pas à comparer la démarche au travail de pionnier de l’anatomiste espagnol Ramon y Cajal. «Ramon y Cajal a commencé à dessiner chaque type de neurone du cerveau à la main. Il a même dessiné des flèches pour décrire comment, à son avis, l’information circulait d’un neurone au suivant, explique le scientifique dans un communiqué. Aujourd’hui, nous faisons ce que Ramon y Cajal ferait avec les outils d’aujourd’hui: élaborer une représentation numérique des neurones et des synapses, et simuler le courant d’informations entre les neurones avec un superordinateur. De plus, la numérisation du tissu permet de sauvegarder les données, qui pourront être réutilisées par les générations futures.»
Pour évaluer la robustesse des modèles mathématiques qu'ils ont ainsi développés, les scientifiques ont comparé les signaux produits par le tissu cérébral artificiel, généré par ordinateur, à ceux produits dans un cerveau de rat bien réel, en réponse à une stimulation tactile. Et les résultats sont très satisfaisants d'après les chercheurs : « les réponses des différents types de neurones dans la reconstitution numérique était très semblables à celles précédemment observées en laboratoire ».
Prudence de mise
Soulagés d'avoir enfin pu apporter de premières réponses aux questions posées au début de leur projet, les scientifiques affichent cependant une prudence, qui ne leur était guère coutumière jusqu'ici. «La reconstitution est une première étape, elle n’est pas complète et ne constitue pas encore une réplique numérique parfaite du tissu biologique», a ainsi insisté Henry Markram. Il espère que cette découverte, maintenant qu'elle est publiée et donc accessible au plus grand nombre, permettra à d'autres scientifiques d'avancer sur des questions que l'expérimentation classique ne suffit pas à résoudre.
Pour le reste, et notamment les répercutions dans le domaine des voies thérapeutiques, il faudra encore être patient. C'est maintenant entre les mains des nombreux artisans du Human Brain Project que se trouvent les applications humaines de ces recherches. Si une succession de problèmes de gouvernance, a fait craindre un temps que le projet ne périclite, il semble que le Human Brain Project soit aujourd'hui remis sur les rails : « L’entreprise consistant à reconstituer et à simuler le cerveau est une oeuvre collaborative, et le travail vient de commencer. Le Human Brain Project représente le genre de collaboration adéquat », a ainsi déclaré Sean Hill, autre artisan de ces travaux.