Statines, anticoagulants

Crédulité en médecine : les spécialistes répondent aux accusations du Pr Even

Alors que le Pr Even attaque violemment plusieurs classes thérapeutiques, les spécialistes pointent les dangers de ces allégations pour les patients.  

  • Par Anne-Laure Lebrun
  • Anne-Laure Lebrun/Pourquoidocteur
  • 09 Sep 2015
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    « Anathème et procès haineux » pour la Société Française de Cardiologie (SFC), « Propos délirants, infondés et contradictoires » pour d’autres, les spécialistes interrogés par Pourquoidocteur ne cachent pas leur colère et mépris à l’égard du livre à paraître du Pr Philippe Even.

    Dans un communiqué à l’attention des patients cardiaques, la SFC alerte du danger que représente Corruptions et crédulité en Médecine. Stop aux statines et autres dangers (1) . « Il serait désastreux pour les patients français que ceux-ci interrompent leur traitement sur la base des affabulations d’une personne retirée de l’activité médicale depuis 20 ans, et énoncées sans arguments recevables ni compétence scientifique spécifique dans le domaine », écrit sans détour la société savante.

    De fait, c’est bien là où le bât blesse. Les attaques de l’ancien pneumologue contre les statines, les nouveaux antiplaquettaires (AAP) et anticoagulants oraux s'opposent aux études scientifiques et la pratique médicale.

    Les statines, encore et toujours

    Auteur attentionné, Philippe Even n’hésite pas à faciliter la lecture de son livre. Page 264, il résume les chapitres 2 à 8 en une phrase : « Le cholestérol est innocent et pour les statines inutiles et sans risques ». L’accumulation du cholestérol dans les artères ne serait donc pas responsable des accidents cardiovasculaires (AVC), d’infarctus et autres pathologies coronaires. Inutile donc, selon le pneumologue, de prescrire des statines pour réduire le taux de cholestérol des patients.

    Pourtant, la littérature scientifique internationale est unanime sur leur efficacité. Comme le rappelle la Haute Autorité de Santé, « toutes les statines confondues, le traitement permet de réduire de 10 % le risque de mortalité toutes causes, sans que l’on puisse montrer de différence entre les molécules, et de diminuer le risque d’événements cardiovasculaires de 15 à 23 % selon le type d’événement. »

    L'effet Even sur les patients

    En 2013, Philippe Even frappait déjà sur les statines et défendait le cholestérol dans son livre La vérité sur le cholestérol. Son livre a fait l’effet d’une bombe.

    A l’heure actuelle, plus de 6 millions de patients prennent des statines, et en moyenne, 5 % interrompent leur traitement chaque année. Une proportion qui a significativement augmenté après la sortie du livre de Philippe Even. En effet, selon une étude publiée en octobre 2013 par cinq professionnels des maladies cardiaques, huit mois après la sortie de ce livre, 8 % des patients ont interrompu leur traitement.

    « Et cette augmentation du nombre d’arrêts varie selon la sévérité de la pathologie cardiovasculaire, précise Nicholas Moore, chef du département Pharmacologie au CHU de Bordeaux qui a participé à l’étude. Chez les personnes à risque faible de maladies cardiovasculaires, on a observé 15 % d’arrêts contre 10 % en moyenne l’année précédente, et pour les cas les plus graves, on est passé de 3 à 5 % d’arrêts. »

    Cela signifie que, parmi les patients à haut risque, plus de 7 000 personnes supplémentaires ont interrompu leur traitement après la publication du livre de Philippe Even. Près de 60 000 patients supplémentaires à moyen risque ont également pris la décision d’arrêter le statines. Globalement, plus de 100 000 patients ont écouté les conseils de Philippe Even. « Ce livre a donc eu un impact sur les patients et pourrait avoir des conséquences », conclut le chercheur.

    Les cardiologues à l’origine de ces travaux travaillent maintenant à évaluer le nombre d’effets indésirables, comme la survenue d’infarctus, suite à ces arrêts de traitement. Les résultats seront disponibles d’ici un an.


    Les nouveaux anticoagulants sont inutiles

    Fait nouveau, Philippe Even s’en prend aux anticoagulants oraux directs ou AOD (antérieurement appelés nouveaux anticoagulants oraux » ou NACO). Arrivés sur le marché à partir de 2008, ces médicaments (Pradaxa, Xarelto et Eliquis) ont permis de proposer aux patients une alternative aux antivitamines K (AVK) utilisés depuis les années 1960 pour prévenir et traiter les pathologies thrombo-emboliques.

    Développés pour faire aussi bien que les précédents, les AOD sont aujourd’hui de plus en plus prescrits. Une tendance qui ne plaît pas du tout au Pr Even. Pour ce dernier, il n’y aucune justification à remplacer les AVK par les AOD car « ils ne sont pas plus efficaces que les AVK, ils sont à l’origine de bien plus d’hémorragies et qu’il n’y a aucun antidote en cas d’hémorragies ». Un point de vue loin d’être partagé par le Pr Ismail Elalamy, chef du service d’hématologie clinique à l’hôpital Tenon (Paris).

    « Aujourd’hui, la démonstration et la preuve de l’intérêt thérapeutique des AOD ne sont pas à mettre en doute compte tenu de la qualité des études, affirme le spécialiste des hémorragies et thromboses. Dans la fibrillation atriale (un trouble du rythme cardiaque, ndlr), on s’est rendu compte que les AOD protégeaient aussi bien, voire mieux que les AVK, des accidents vasculaires cérébraux et des embolies systémiques, et réduisent de plus de 50 % les hémorragies intracrâniennes, complication angoissante et la plus redoutée des anticoagulants, par rapport aux AVK. »

    En outre, l’absence d’antidote n’est plus vraie aujourd’hui. « Des études ont montré qu’on avait la possibilité de manière spécifique de neutraliser le dabigatran. Par une seule perfusion, en 30 secondes, on fait disparaître l’effet du médicament », relève le Pr Elalamy. A l'heure actuelle, ce produit n'est pas disponible est encore soumis à des études. Une demande d'autoisation de mise sur le marché devrait être déposé très prochainement. 


    Rien de mieux que l’aspirine

    Quant aux nouveaux antiagrégants plaquettaires (AAP), ce ne serait qu’une histoire de gros sous et « une gigantesque arnaque ». Selon l’auteur, seule l’aspirine, le premier des AAP, est utile. Les nouveaux AAP comme le clopidogrel, le prasugrel et le ticagrelor n’ont aucun intérêt dans la prévention de la formation d’un caillot sanguin. « L’aspirine réduit de 30 % le risque de survenue et de récidive d’accidents coronaires, c’est bien, mais c’est loin d’être d'une efficacité totale, relève le Pr Ludovic Drouet, du service d’hématologie-angiologie de l’hôpital Lariboisière (Paris). C’est pourquoi de nouveaux AAP ont été développés et combinés à l’aspirine ou prescrits seuls ».

    Par ailleurs, quand le Pr Even affirme « qu’il n’y aucun intérêt de remplacer le clopidogrel générique par le prasugrel, beaucoup plus cher », le Pr Ludovic Drouet rappelle que tous les patients ne répondent pas au clopidogrel, et que « le prasugrel et le ticagrelor ont l’énorme avantage d’être plus constamment efficaces ».

    Le Pr Even présidait un Institut lié à l'industrie pharmaceutique

    Dans ce nouveau livre, Philippe Even n’épargne pas ses confrères cardiologues. Accusés d’être à la botte de l’industrie pharmaceutique, les grands noms de la cardiologie française sont même insultés et traités de « putains académiques ».

    Pourtant, l’ancien pneumologue, doyen de l’université de Necker, qui vient tout juste de démissionner de la présidence de l'Institut du même nom, est loin d’être blanc comme neige. Cette démission fait suite à une enquête de nos confrères de l’Agence de presse médicale (APM), qui révélait ses liens d’intérêts financiers avec les industriels du médicament.

    Les journalistes de l’APM auraient découvert par hasard sur le site transparence.sante.gouv.fr des contrats liant l'Institut à plusieurs firmes pharmaceutiques. Le Pr Even s’est alors défendu d’être le gestionnaire de l'Institut et de n’avoir aucun lien financier personnel avec ces dernières.

    Dans son courrier expliquant sa démission, l’ancien pneumologue indique qu’il quitte la présidence de la fondation « pour ne pas nuire aux possibilités de contractualisation des équipes de chercheurs avec l'industrie pharmaceutique », tout en précisant que la fondation gère 250 contrats, dont 190 ont été passés avec des fondations privées et 62 avec l'industrie pharmaceutique. L’un d’eux a d’ailleurs été passé avec les laboratoires Servier à hauteur de 960 euros, a-t-il précisé.



    (1) Editions du Cherche Midi

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