Reportage
Handicapés : se former pour accompagner sexuellement
ENQUETE - L'accompagnement sexuel n'a toujours pas de cadre légal en France. Les personnes handicapées doivent donc bien souvent faire appel à des travailleurs du sexe non formés. Lasse de cette situation, une association organise ses propres formations.
Handicap, sexe et argent. Trois mots explosifs qu’on évite soigneusement de prononcer dans une même phrase. Rares sont les questions qui cristallisent tous ces sujets tabous, l’accompagnement sexuel des personnes handicapées est de celle-là. « On oublie trop souvent que la sexualité est pourtant, avant toute chose, quelque chose de fun et simple », sourit Jill Nuss, secrétaire de l’association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (APPAS). La jeune femme de 30 ans, ancienne escort girl devenue accompagnatrice sexuelle, a créé l’association en 2013, avec son époux, Marcel Nuss, sexagénaire lourdement handicapé. Depuis le mois de mars, l'APPAS propose des stages dont l'objectif est de former hommes et femmes, venant de tous horizons, à cette activité pratiquée en grande partie par des travailleurs du sexe.
La seconde session de cette formation s'est déroulée fin juin dans un hôtel familial de Merkwiller-Pechelbronn, en Alsace, une commune à quelques kilomètres de l’Allemagne. C’est Jill Nuss qui s’est occupée de sélectionner les sept stagiaires de 28 à 60 ans, dont un couple sont venus de toute la France. Cette foi-ci, l’audience est majoritairement féminine et ne compte que deux hommes. Et contrairement à la première formation, aucun n’est travailleur du sexe. « Ils ont tous ce point commun d’être suffisamment à l’aise dans leur vie et leur intimité, dans leur rapport avec leur corps et celui des autres pour pouvoir se lancer dans cette activité », affirme Jill Nuss, avant d’ajouter que « tous les accompagnants qui ont rejoint l’association sont bisexuels ». Une orientation sexuelle qui n’est en rien un critère de sélection, mais un pur hasard, souligne la jeune femme.
Répondre à la misère sexuelle
Plusieurs participants ont en commun la pratique du trantrisme. Une pratique ancestrale de massage, originaire d’Inde, censée éveiller le plaisir pouvant aller même jusqu’à l’orgasme en reliant esprit et corps. Une pratique qui sous-entend là aussi une sexualité épanouie sans jugement de l’autre. Une qualité qui semble indispensable à l’accompagnement sexuel.
Certes, tous les participants assis autour de la table en U semblent suffisamment à l’aise dans leur tête et dans leur corps pour travailler dans l’intimité d’inconnus, mais qu’est ce qui les motivent vraiment à devenir accompagnant sexuel ? Une question essentielle pour Akim Boudaoud, psychologue-sexologue et intervenant. « Vous devez savoir ce qui vous pousse à faire ce travail, sinon vous ne serez pas authentique et vrai avec l’autre », insiste-t-il plusieurs fois avant de lancer un tour de table.
Le premier à prendre la parole s’appelle Luc. Concepteur de 55 ans et père de 5 enfants, il a déjà été confronté au monde du handicap. Pendant deux ans, il a travaillé comme éducateur spécialisé en centre médicosocial avec des personnes polyhandicapées. « Pour moi, ce que propose l’APPAS est évident et répond à beaucoup de problèmes que j’ai pu rencontrer avec les personnes handicapées, raconte-t-il. Elle propose une solution qui pourrait leur éviter la camisole chimique castratrice et leur permettrait de vivre leur sexualité refoulée car interdite par les centres ».
Pour d’autres, comme Sophie, Parisienne de 28 ans, le handicap n’est pas familier. « On a tous un ami d’amis ou quelqu’un dans la famille, mais ce sont des réalités lointaines », explique la plus jeune des stagiaires. Mais le débat public autour de l’assistanat sexuel a réveillé en elle des questions, voire même une volonté de faire bouger les choses. « La sexualité est essentielle dans la vie d’un individu et constitue un potentiel d’accomplissement personnel et de bien-être, affirme la jolie brune. Et ce qui m’a décidé à m’inscrire à cette formation, c’est principalement l’engagement politique. Avoir des causes pour lesquelles combattre et faire signer des pétitions, ce n’est pas suffisant. J’ai envie d’agir ». De son propre aveu, Sophie aurait pu embrasser n’importe quel autre cause. N’ayant pas envie de se reconvertir dans le médico-social, l’accompagnement sexuel représente pour elle une alternative pour se sentir utile « face à un réel besoin ».
De fait, tous ont envie de lutter contre cette discrimination sociale, mais peu ont réussi à en parler autour d’eux. « Je choisis les personnes avec qui j'en parle », confie une participante. « Autour de moi, tout le monde ne comprendrait pas », regrette un autre. La peur du jugement est commune à tous les stagiaires. Leur inquiétude est aussi nourrie par le fait qu’ils ne savent pas encore s’ils seront prêts le jour où une demande se présentera. « Pour le moment, je sais que je veux et je m’en sens capable, mais peut-être que je me surestime », s'interroge Nadine, petite femme d’une cinquantaine d’années perchée sur des talons colorés.
Les limites sont au cœur de l’accompagnement. Si certains ne s’en imposent aucune et indiquent qu’ils y réfléchiront le moment venu, pour d’autres, comme Emilie, masseuse tantrique en Allemagne, elles seront posées par sa relation de couple. « Pour mon mari, il est important que je reste dans les limites du massage et qu’il n’y ait pas de masturbation, de fellation ou de pénétration », explique-t-elle.
Pour l’association, il est important que chaque accompagnant fixent, avec le bénéficiaire, les conditions de sa pratique. Lors d’un premier entretien, chacun devra informer l’autre de ses envies et de ses limites. « On s’occupe de la santé sexuelle des personnes handicapées parce que handicap et sexualité sont compatibles, mais personne n’est obligée d’aller jusqu’au rapport sexuel », affirme Akim Boudaoud. « Et puis je suis là 24 heures sur 24 si vous avez des questions, des doutes, des peurs », rassure Jill, qui a senti que son témoignage était important pour ces participants, qui ne deviendront pourtant pas tous des accompagnants.
En effet, à l'issue de ces formations théoriques, seuls certains stagiaires rejoindront la vingtaine d’assistants appartenant au réseau de l’association. C’est le cas de Fabrice Flageul, praticien en relation psychocorporelle et masseur tantrique, qui a suivi le premier stage de l’APPAS en mars dernier. Contacté il y a peu de temps par une femme handicapée, le Lyonnais de 50 ans devrait pour la première fois mettre en pratique ce qu'il a appris. Pour tous les deux, ce rendez-vous est une nouveauté. « La jeune femme a déjà rencontré plusieurs accompagnantes, explique Fabrice Flageul. Pour elle, ce rendez-vous est l’occasion de partager pour la première fois un moment de sensualité avec un homme ».
Du son côté, le masseur tantrique reconnaît qu'une certaine pression commence à se faire sentir. « C’est vrai que je n’y vais pas détaché comme pour un massage tantrique pour un client que je ne connais pas. Là, j’ai conscience qu’il ne faut pas faire n’importe quoi sur le plan relationnel. L’accompagnement peut déclencher un certain lien affectif qu’il faut savoir gérer, il faut donc en parler avec la personne. Cela demande beaucoup plus d’investissement », explique-t-il. L'échange est primordial lors de ces rencontres. La communication entre accompagnants aussi, selon Fabrice Flageul. « On est en contact permanent avec les autres, mais aussi avec Jill et Marcel Nuss. On n'est pas lâché comme ça dans la nature. »
En octobre prochain, l’association proposera à l’ensemble de ces stagiaires un module d’approfondissement concernant l’accompagnement des couples et des personnes déficientes intellectuelles ou psychiques. Un handicap particulier où les mots pour exprimer ses envies ou ses besoins sont souvent absents ou mal employés. Les comportements sont parfois déplacés voire violents. Une approche particulière est donc necessaire.