Homosexuelles, célibataires
PMA : deux rapports préconisent l'ouverture à toutes les femmes
Deux rapports publics préconisent l’extension de la PMA aux femmes homosexuelles et célibataires. Les médecins, confrontés au quotidien à ces situations, dénoncent une loi jusqu'ici hypocrite.
La PMA (procréation médicalement assistée) va-t-elle être autorisée pour toutes les femmes, homosexuelles comme célibataires ? Deux rapports émanant des plus hautes instances publiques le préconisent et jettent un pavé dans la mare, alors que le gouvernement ne cesse d’enterrer cet épineux dossier.
Deux populations discriminées
Le premier, publié ce mercredi, est issu du Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes (HCEfh) ; le second a été présenté par le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, auditionné devant une commission sénatoriale le même jour. Les deux instances estiment qu’en l’état, la loi discrimine deux populations de femmes qui n’ont pas accès à la PMA, à savoir, les couples d’homosexuelles et les femmes seules.
« Nous avons attendu d’être dans un climat plus serein après les manifestations liées au mariage pour tous pour examiner objectivement l’accès à ce droit en France pour les femmes », indique Danielle Bousquet, présidente du HCEfh. Le raisonnement du Haut Conseil est simple : à travers l’adoption, la France reconnaît déjà le droit à la parentalité des personnes célibataires et homosexuelles. « Or, nous sommes le seul pays où nous disposons d’un droit sans la poursuite légale de ce droit ».
« Je leur dis comment avoir un bébé sans mari »
Le résultat de cette restriction est bien connu : chaque année, des milliers de femmes se rendent à l’étranger pour bénéficier d’une PMA, dans des centres belges et espagnols notamment. Elles rentrent ensuite en France, où des gynécologues-obstétriciens les suivent tout au long de leur grossesse. Du coup, de nombreux praticiens jugent la législation très hypocrite.
« Au final, la loi n’interdit pas du tout la PMA à ces femmes, elle ne fait que la déplacer ! souligne ainsi François Olivennes, gynécologue-obstétricien au sein du centre parisien de FIV Eylau La Muette. Seules celles qui en ont les moyens financiers peuvent bénéficier d’une PMA, ce qui est foncièrement injuste ». Pour ce spécialiste des traitements contre l’infertilité, il existe « un fossé entre le monde de la procréation et celui des décideurs politiques, qui sont pour la plupart des hommes d’un âge élevé ».
Comme beaucoup d’autres praticiens, François Olivennes reçoit en consultation des femmes seules ou en couple qui souhaitent avoir accès à la PMA. « Elles me demandent comment avoir un bébé sans mari. Alors, je leur indique comment faire ». Selon une enquête de l’Académie de médecine évoquée dans le rapport du HCEfh, 61 % des 270 praticiens interrogés ont pris part à un projet de PMA à l’étranger – en fournissant à ces femmes des renseignements sur les centres étrangers, ou encore en prescrivant des traitements de stimulation ovarienne.
Mais ces praticiens prennent des risques juridiques. Le fait de participer, d’une manière ou d’une autre, à un tel projet est passible de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende. « J’ai fait médecine pour aider les gens, alors qu’on vienne m’emprisonner ! défie François Olivennes. Il est hors de question que je renvoie une femme qui me demande conseil en lui disant de se débrouiller toute seule ».
François Olivennes, gynécologue-obstétricien à Paris : « Ces femmes sont livrées à elles-mêmes. J’en ai rencontré plusieurs qui ont pratiqué des inséminations chez elles, avec les moyens du bord. »
« Quand l’IVG était illégale… »
En fait, ce que demandent ces médecins, ainsi que le Défenseur des droits et le HCEfh, c’est une concordance entre la réalité de la PMA et la législation afin de sortir de la clandestinité ces femmes qui ont un projet parental. « Cela me rappelle l’époque où l’IVG était illégale, et où 250 000 femmes se rendaient à l’étranger pour bénéficier d’une intervention parce que la France restait campée sur ses grands principes », déplore Israël Nisand.
Pour ce gynécologue-obstétricien au CHU de Strasbourg, la législation française évoluera immanquablement. « Cela viendra, ce n’est qu’une histoire de temps. Les jeunes que je rencontre souvent au cours de mes interventions se moquent de nos débats. Ils ne comprennent vraiment pas pourquoi nous nous posons tant de questions ». Pas sûr, pourtant, que les députés rouvrent ce dossier, alors que la prochaine révision de la loi bioéthique n’aura lieu qu’en 2021.
Des enfants aussi heureux que les autres ?
Et l’enfant, dans tout cela ? Le débat sur la PMA renvoie aux interrogations sur l’avenir des enfants issus de familles monoparentales ou homoparentales. En France, rares sont les études conséquentes permettant d’obtenir un suivi objectif de ces enfants. Mais aux Etats-Unis, au Canada, en Australie ou encore en Europe du Nord, les travaux menés sur ces familles regroupent des cohortes importantes, étudiées sur le long terme.
« Ces travaux indiquent qu’il n’existe pas de différence significative vis-à-vis des autres enfants, explique Benoit Schneider, directeur-adjoint du laboratoire Interpsy de l’Université de Lorraine, qui a longuement travaillé sur ces thématiques. En réalité, la question de la filiation ne porte pas tant sur les situations familiales particulières que sur le discours de vérité tenu aux enfants ».
Pour ce professeur en psychologie de l'éducation, la situation de ces familles est comparable à celle des adoptions ou des familles recomposées. « Il fut un temps où l’adoption était une filiation de second ordre que les parents taisaient. Or, on sait très bien que dans ces familles hétérosexuelles, la difficulté de développement la plus grande pour les enfants n’était pas tant la filiation adoptive que le fait de cacher cette histoire. »
« Homophobie déguisée »
Selon les professionnels de santé interrogés, ouvrir la PMA aux couples d’homosexuelles ou aux femmes célibataires pourrait, par exemple, s’accompagner d’un suivi pédopsychiatrique. « On pourrait faire les choses intelligemment… Au lieu de quoi, la France se terre dans une position idiote », déplore François Olivennes. « Ceux qui se préoccupent de l’avenir des enfants issus de couples homosexuels s’interrogent-ils sur l’avenir des enfants d’hétérosexuels nés au cours d’une nuit d’ivresse ? lance pour sa part Israël Nisand. Je vois tant de couples dont on se dit que le bien-être futur de l’enfant est incertain. En réalité, ce jugement sur le projet parental des homosexuels relève toujours d’une forme d’homophobie déguisée ».
Le Comité Consultatif National d’Ethique, lui, n’a pas encore tranché. Il rendra son rapport à la fin de l’année. Un rapport « global », fait savoir son service de communication, qui embrassera les thématiques liées aux dernières avancées techniques, telles que la greffe d’utérus et la congélation d’ovocytes, toujours interdites en France pour des motifs dits de convenance – comprendre, en dehors du cadre thérapeutique. Son avis, dont la date de rendu ne cesse de se décaler, est très attendu.