Etude dans The Lancet
95 % de la population mondiale a des problèmes de santé
L’espérance de vie de la population mondiale progresse. Les maladies chroniques aussi. Seuls 5 % de la population n’ont aucun problème de santé. Et un tiers cumule plusieurs maladies.
Les maladies infectieuses font moins de morts depuis 20 ans. Les invalidités, elles, continuent de progresser. Et pour cause : la population mondiale vit de plus en plus longtemps avec des maladies chroniques. Cet allongement de l’espérance de vie a un coût : seule une personne sur 20 peut se targuer de ne souffrir d’aucun problème de santé. C’est le résultat de la dernière étude sur la Charge mondiale de morbidité, évaluée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Elle rassemble plus de 35 000 sources d’information issues de 188 pays différents. Les résultats, parus ce 8 juin dans The Lancet, concluent à un véritable bouleversement de la santé dans le monde depuis 1990. Pourquoi docteur fait le point en 3 questions.
Quelles sont les maladies les plus présentes en 2013 ?
Huit causes de maladies chroniques touchent plus de 10 % de la population dans le monde. Les caries permanentes sont largement en tête de ce classement, avec 2,4 milliards de personnes touchées. Les céphalées de tension et la perte d’audition liée à l’âge se partagent la 2e et 3e place de ce podium avec respectivement 1,6 et 1,23 milliard de victimes.
Source : The Lancet/Global Health Burden Study
Mais les maladies les plus fréquentes ne sont pas forcément les plus handicapantes. A elles deux, la lombalgie et la dépression sévère font plus de dégâts que diabète, broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et asthme.
Les causes de handicap varient fortement selon l’origine géographique. En Europe centrale, les chutes représentent la deuxième cause d’invalidité. Du côté des Caraïbes, c’est l’anxiété qui domine tandis qu’il s’agit du diabète pour les pays d’Amérique centrale (Mexique, Nicaragua, Panama, Venezuela). Aux Cambodge, Nicaragua et Rwanda les séquelles de la guerre ont causé la plupart des handicaps.
La multi-morbidité de plus en plus fréquente
C’est un des chiffres les plus marquants de l’étude sur le poids des maladies dans le monde. Un tiers de la population mondiale, soit 2 à 3 milliards de personnes, souffrent d’au moins 5 problèmes de santé au même moment. Plus l’âge avance, plus le risque de cumuler les morbidités progresse. « 55,5 % des plus de 80 ans souffrent de 10 séquelles d’une maladie ou plus, souligne le professeur en santé mondiale Rifat Atun (Université Harvard, Etats-Unis) dans un commentaire associé à l’étude. La multi-morbidité a des implications majeures pour les systèmes de santé, car elle entraîne une demande accrue et peut provoquer de plus grands restes à charge. »
Quelles sont les principales évolutions de la santé dans le monde ?
En 23 ans, les principales causes de problèmes de santé ont totalement changé. Comme en 1990, lombalgie, dépression, anémie ferriprive, douleurs cervicales et perte d’audition liée à l’âge dominent le tableau. Mais l’année 2013 acte l’explosion des troubles musculo-squelettiques, mentaux et liés aux substances (alcool, drogues).
Source : The Lancet/Global Health Burden Study
La mortalité marque logiquement le pas. Mais le taux d’invalidité continue de progresser. Les données relatives au diabète le confirment : la mortalité n’augmente que de 9 % tandis que la part de la maladie progresse de 42 %.
Aux yeux de Theo Vos, principal auteur de l’étude, cela « prouve encore une fois l’importance de prêter attention à la perte de santé croissante liée à ces causes majeures de handicap, et de ne pas se concentrer uniquement sur la mortalité. »
A noter toutefois qu’en Afrique subsaharienne, une maladie infectieuse continue de mener la morbidité : le VIH. Les autres reculent dans l’ensemble, même si la dengue fait figure d’exception avec une hausse de 450 % en 23 ans.
Des disparités selon les pays
Selon les pays, les maladies dominantes peuvent changer profondément. C’est particulièrement le cas des troubles psychologiques. Les troubles mentaux touche 15 % des Allemands et 37 % des Qatari. L’écart est encore plus marqué concernant les abus d’alcool (2,9 % en Russie, 0,3 % en Iran) et de drogues (13,5 % au Qatar, 0,6 % en Slovénie). L’étude met aussi en évidence des disparités de genre : dépression et anxiété touchent plus les femmes.
Les systèmes de santé peuvent-ils réagir ?
« Les gens vivent plus longtemps, mais avec plus de maladies et de handicaps, analyse Rifat Atun dans son commentaire. Une transition sans précédent d’un monde de maladies transmissibles à un monde de maladies chroniques et d’invalidités, avec des implications pour le bien-être des personnes dans le monde entier. » Mais selon ce spécialiste de la santé mondiale, les systèmes de santé ne sont pas préparés à ce bouleversement de la santé.
L’accès aux soins doit être la priorité, selon les auteurs de l’étude et l'éditorialiste. L’essor des maladies chroniques est le principal argument. Rifat Atun le confirme : le système de santé doit fonctionner de manière optimale et réactive. Mais surtout, il doit être totalement repensé et se centrer sur la personne. Une évolution qui n’est pas encore apparue.
Part des années de vie en bonne santé perdues à cause de l'invalidité en 1990 et en 2013
(Source : The Lancet)
« Les problèmes de santé évitables, particulièrement les troubles musculo-squelettiques, les troubles mentaux et du comportement, n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritaient, tranche Theo Vos. Résoudre ces problèmes demande un véritable changement de priorité dans le monde ; il ne faut pas seulement maintenir les gens en vie, il faut leur permettre de vivre en bonne santé. »