Euthanasie, IVG
Médecins "pro-life" : rencontre avec une minorité silencieuse
ENQUETE - Alors que débute au Parlement l'examen de la proposition de loi sur la fin de vie, les médecins "pro-life" se sont confiés. Pas tous catholiques, ils défendent leurs convictions avec des états d'âme.
« Après réflexion, je ne préfère pas répondre à votre interview. A la veille de la décision de la CEDH (1) sur l’affaire Vincent Lambert, je crains que le moment ne soit pas bien choisi. Depuis 2 ans, en tant que conseil médical des parents, j’ai été mis sous l’étiquette : "catholique, intégriste, extrême droite". C’est de la calomnie. Je ne souhaite plus apporter du grain à moudre à mes détracteurs », a confié à Pourquoidocteur le Pr Xavier Ducrocq.
Avec ce premier refus, notre enquête sur les médecins "pro-life" commence bien mal. Après l’exposition médiatique, ces praticiens, auraient-ils choisi le silence ? Pas vraiment. Le Pr Ducrocq continue, par exemple, de participer aux "Marches pour la vie". La dernière organisée à Paris en janvier 2015 a rassemblé des milliers de manifestants. Tous scandaient les mêmes slogans : « Je suis Vincent Lambert », « Mort sur ordonnance : médecine en déshérence », ou encore « J'ai été un embryon ».
Ces manifestations ne rassemblent pourtant pas tous les professionnels défenseurs de la vie. Les "praticiens-militants", en colère contre ces évolutions de la société, sont en réalité très minoritaires. La grande majorité des "pro-vie" arrive, en effet, à concilier la foi et l'exercice médical.
« Tu ne tueras point » : une même devise pour 3 codes
Alors que débute ce lundi au Parlement l’examen de la proposition de loi Claeys- Leonetti sur la fin de vie, le Dr Eric Kariger, l'ex-médecin de Vincent Lambert favorable à l'arrêt des traitements, explique que pour lui, concilier sa foi catholique et son métier n'est pas difficile. D’ailleurs, il confie que les médecins « intégristes », comme il les qualifie, sont très isolés dans le monde médical. « De nombreux praticiens juifs, musulmans, et même athées partagent le credo : "Tu ne tueras point". Cet engagement je l’ai pris aussi en prêtant serment d’Hippocrate », rappelle le tout nouveau directeur médical d’un groupe de maisons de retraite.
Ecoutez le Dr Eric Kariger, ex-médecin de Vincent Lambert : « Le Code civil, de déontologie et la Bible sont d'une cohérence totale. Ils sont en phase sur le principe du respect de la personne dans son autonomie. Celui-ci s'arrête lorsqu'il... »
Mais malgré l’apparente facilité avec laquelle il semble exercer, le Dr Kariger n’est pas insensible aux évolutions de la législation et donc de la médecine. Euthanasie, IVG, recherche sur les embryons, sont des sujets qui peuvent perturber ses convictions religieuses.
Pour réfléchir à ces thématiques, il est membre depuis près de 20 ans du Centre catholique des médecins français (CCMF) présidé par le Dr Bertrand Galichon. Lui est médecin aux urgences de l'Hôpital Lariboisière (Paris). Pour lui, son groupe permet aux médecins catholiques d’ajuster leur engagement professionnel avec la vie spirituelle.
Il accueille pour cela 200 médecins croyants et pratiquants. Un chiffre satisfaisant ? Pas vraiment, pour le Dr Galichon qui parle avec nostalgie d’un temps où ce groupe comptait des milliers de médecins. « On ne fait pas trop de battage, il y a des choses à revoir je l’avoue ». Jusqu’à participer aux Marche pour la vie ? Non, car l’homme se dit d'une réflexion de l'Eglise « plurielle et diverse. Je ne me reconnais pas dans ce mouvement très identifié. » Sans en dire plus, il concède cependant partager les mobiles de ces manifestations.
L’IVG et l’euthanasie non négociables
Sur l’avortement par exemple, le CCMF n’hésite pas à s’afficher ouvertement contre. Le Dr Galichon rappelle néanmoins, qu’après discussion avec la patiente, le médecin, qui souhaite appliquer sa clause de conscience, se doit de rediriger la femme concernée vers un gynécologue qui prendra en charge l’intervention. Cet urgentiste précise qu’il est personnellement contre l’avortement, « aussi en tant que médecin. » Il cite à nouveau le "Tu ne tueras point" du serment d’Hippocrate...
Pour ces raisons, Bertrand Galichon regrette donc « l’évolution de la société française qui comptabilise aujourd’hui plus de 200 000 avortements par an alors que les méthodes de contraception ont considérablement évalué. » Sa crainte, « le glissement vers des avortements non justifiés, que certaines femmes utilisent comme un moyen de contraception ».
Au-delà de sa conception de la vie, ichaque IVG est un drame, selon lui, surtout pour la femme qui avorte. Il déplore donc « les mesures incitatives » promises par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, pour rendre l’acte gratuit du début à la fin. « Ca déresponsabilise et c’est grave. D’ailleurs, de nombreux médecins pensent comme moi. Le corps médical est toujours très gêné par le fait de supprimer une vie. Et c’est pareil pour l’euthanasie. La grande majorité des praticiens y sont opposés », ajoute-t-il.
Consensus autour de valeurs issues d'un humanisme chrétien ?
Une version confirmée par le second médecin conseil des parents de Vincent Lambert. Contrairement au Dr Kariger, lui était pour la poursuite des traitements (hydratation, nutrition) et donc le maintien en vie de ce patient en état de conscience minimale "plus". Ce spécialiste de la prise en charge des personnes dans le coma n'est autre que le Dr Bernard Jeanblanc, médecin-chef de l'Unité de vie spécialisée (UVS), de la maison de santé Béthel, un établissement privé installé à Oberhausbergen (Bas-Rhin).
Là-bas, ce médecin accueille des patients à la conscience altérée, qui se retrouvent « trop souvent dans des structures peu adaptées, comme des unités de soins palliatifs. Ils ne sont pourtant pas du tout en fin de vie », insiste-t-il, en faisant un parallèle avec le cas de Vincent Lambert.
Ce médecin est, en revanche, très loin de l’image qu’on a dressé de lui. Etes-vous un catholique intégriste ? « Pas du tout, je suis protestant et non-pratiquant, mais avec des valeurs chrétiennes. Par rapport à l’avortement et le mariage pour tous je ne rejoins pas du tout les idées de la Marche pour la vie. Pour moi, s’opposer à l’euthanasie c’est plus de l’humanisme », plaide-t-il en toute décontraction. Il faut dire que les critiques glissent sur cet homme confronté au quotidien à des patients à l'état incurable.
Ecoutez le Dr Bernard Jeanblanc : « Il y a le problème de la transgression de l'interdit que je ne ferai pas. Par contre, je ne suis pas contre une certaine sédation. Mais pas celle de la loi Claeys- Leonetti qui pour moi est euthanasique. »
Et l’éthique dans tout ça ?
Pour certains, le Dr Jeanblanc apparaît comme « un pro-life avec qui l'on peut facilement dialoguer ». C'est ce que pense notamment le Pr Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique Ile-de-France à l’AP-HP (2), qui a créé un groupe de travail pour débattre de la nouvelle proposition de loi sur la fin de vie.
Un groupe avec des membres aux origines diverses dont font justement partie le Dr Jeanblanc, mais aussi le Dr Kariger. Et pour ceux qui pensent déjà que les débats risquent de tourner au pugilat, Emmanuel Hirsch tient à rassurer. « Un espace éthique ce n'est pas un comité d'éthique. C'est un lieu où les gens sont dans une écoute. Nous ne sommes pas des décideurs, au Parlement. Le but, c'est de se mettre autour d'une table, dans une concertation nourrie et argumentée, pour aller plus loin. Ici, les interventions ne sont pas uniquement dans l'opinion et la réaction immédiate. »
Questionné sur l'ensemble du mouvement des praticiens "pro-life", le professeur d'éthique médicale appelle « à sortir des caricatures, à être plus nuancé ».
Ecoutez le Pr Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique médicale : « Quand je suis allé visiter la maison Betehl où travaille le Dr Jeanblanc j'ai été frappé. Elle est totalement laïque, il n'y a pas le moindre signe religieux. Mais il y a des valeurs...»
Sur le terrain, le Pr Hirsch indique que s'il a observé que beaucoup de médecins, même avec des convictions profondes, agissaient au cas par cas lorsque la vie est en jeu. « Même si les médecins sont souvent défenseurs de la vie, il y a toujours des euthanasies clandestines. Même les pro-life décident d'arrêter ou de limiter les traitements de maintien en vie s'ils jugent que cette solution est la plus adaptée au patient. » « Dans l'exercice de leur profession, aucun médecin ne peut être monolithique. C'est l'intimité qui s'installe avec certains malades et leur famille qui empêche cela », conclut-il.
(1) Cour européenne des droits de l'homme
(2) Assistance Publique-Hôpitaux de Paris