Gériatrie
Statines et fonction rénale chez la personne âgée : une neutralité rassurante
Les statines ne semblent ni améliorer ni détériorer la fonction rénale chez les sujets âgés, qu’ils soient porteurs ou non d’une maladie rénale chronique. Leur prescription peut donc se faire sans crainte majeure pour leur fonction rénale.
- Jian Fan/istock
Au carrefour de multiples facteurs de risque, hypertension, diabète, dyslipidémie, obésité abdominale, la coexistence de maladies cardiovasculaires (MCV) et de maladie rénale chronique (MRC) est au cœur du concept émergent de « syndrome cardio-réno-métabolique ». Les statines, initialement conçues pour abaisser le taux de LDL-cholestérol, ont révélé, au fil des ans, des effets pléiotropes potentiellement bénéfiques : stabilisation de la plaque athéromateuse, amélioration de la fonction endothéliale, réduction de l’inflammation, ou encore augmentation de la production de monoxyde d’azote.
Malgré une littérature documentant un éventuel ralentissement du déclin du débit de filtration glomérulaire (DFG) chez certains patients, et malgré les controverses suscitées par des signalements de toxicité rénale notamment avec la rosuvastatine, le bénéfice-risque de ces molécules chez les personnes âgées, pour lesquelles la prévention cardiovasculaire primaire n’est pas systématiquement recommandée, demeure discuté.
Afin de clarifier l’impact des statines sur la fonction rénale dans cette population, une analyse secondaire a été menée à partir de l’essai ASPREE (ASPirin in Reducing Events in the Elderly), incluant plus de 18 000 participants âgés de 65 ans ou plus, exempts de maladie cardiovasculaire au départ. Les chercheurs ont examiné le taux de déclin du débit de filtration glomérulaire estimé (eGFR) et l’évolution du rapport albumine/créatinine urinaire (UACR), selon l’utilisation ou non de statines en prévention primaire, et ce aussi bien chez les participants atteints de MRC qu’en l’absence de MRC. Les résultats principaux montrent qu’aucune corrélation notable n’a été mise en évidence : ni aggravation de la fonction rénale, ni protection significative, y compris pour la rosuvastatine.
Résultat identique quel que soit le sous-groupe
Dans cette cohorte, les porteurs de MRC n’ont pas eu une plus lente progression vers l’insuffisance rénale ; inversement, aucune toxicité rénale liée aux statines n’a été objectivée, que ce soit sur la baisse de l’eGFR ou sur l’augmentation de l’UACR. De même, chez les participants sans MRC initiale, l’incidence de nouveaux cas de MRC est restée similaire, qu’ils soient sous statines ou non. Ces résultats sont restés cohérents après ajustement sur divers facteurs de confusion possibles (âge, diabète, frailty, etc.) via la méthode de pondération par probabilité inverse de traitement (IPTW).
En analyse de sous-groupes, l’absence d’interaction significative entre le statut de diabétique, le sexe, l’âge, ou le pays de résidence (États-Unis vs Australie) et l’impact rénal des statines confirme la robustesse des observations. Par ailleurs, malgré les signalements antérieurs de rosuvastatine associée à des effets néfastes (hématurie, protéinurie et progression vers l’insuffisance rénale terminale à fortes doses), l’étude ASPREE n’a pas décelé de risques supplémentaires dans la population étudiée, possiblement car peu de participants présentaient un stade avancé de MRC (seulement 0,2 % au stade 4/5).
Au plan de la tolérance globale, ces conclusions nuancent l’idée d’un lien direct entre statines et atteinte rénale chez les seniors. En matière de prévention cardiovasculaire, il reste certes d’autres questions (dont la dose optimale et la durée d’exposition) ; cependant, au regard des résultats, il apparaît peu probable que l’on doive restreindre l’usage des statines par crainte d’une détérioration de la fonction rénale.
Une analyse secondaire d’une étude non-randomisée
Ces observations sont issues d’une analyse secondaire d’un large essai contrôlé (ASPREE) mené chez plus de 18 000 sujets âgés de 65 ans ou plus, recrutés en Australie et aux États-Unis, initialement sans maladie cardiovasculaire, ni handicap physique majeur, ni démence diagnostiquée. Les investigateurs ont évalué l’évolution de l’eGFR et de l’UACR sur plusieurs années grâce à des dosages annuels. Contrairement à une étude randomisée dédiée aux statines, il s’agit toutefois d’une évaluation non randomisée de l’utilisation des statines, laissant subsister un biais potentiel d’indication, même si la pondération par IPTW a cherché à en limiter l’ampleur. De plus, la quasi-exclusion de patients présentant une MRC très avancée (stade 4 ou 5) réduit la généralisation à cette sous-population. Enfin, la durée et la posologie exacte du traitement statine n’étaient pas toujours précises.
Selon les auteurs, cette cohorte fournit toutefois un signal rassurant. Pour les cliniciens, la prescription de statines chez les seniors, incluant ceux présentant une MRC modérée, ne semble pas associée à un déclin rénal plus rapide. Si ces molécules ne protègent pas non plus spécifiquement les reins, elles peuvent être utilisées lorsque d’autres indications (prévention cardiovasculaire, hypercholestérolémie, syndrome cardio-réno-métabolique) sont présentes, sans craindre un risque particulier de néphrotoxicité. Dans l’attente des résultats d’essais prospectifs comme STAREE et PREVENTABLE, cette étude conforte l’idée que la décision de mettre en place ou non un traitement par statines chez la personne âgée doit principalement tenir compte des facteurs de risque cardiovasculaire, du rapport bénéfice-risque global et des préférences du patient, plutôt que d’éventuelles craintes d’atteinte rénale. Néanmoins, à ce jour, la fonction rénale ne saurait constituer un frein majeur à l’utilisation de statines chez le senior.