Un protocole pour plus de sécurité
Commotions cérébrales : les médecins du rugby ont fait bouger les lignes
L’ex-rugbyman Rory Lamont dénonce le nombre important de commotions cérébrales sur le terrain. Le rugby a pourtant évolué vers plus de sécurité depuis 2012 et les joueurs le ressentent.
- Jonathan Sexton, K.O., après un choc contre Mathieu Bastareaud lors du dernier France-Irlande ( JEFFROY GUY/SIPA)
« J’étais en train de jouer et ma tête a heurté un genou. Je me suis réveillé 15 minutes après dans le camion de pompiers, avec un attirail autour des cervicales. » Bertrand Desortiaux, 23 ans, a subi en 2011 une commotion cérébrale, lors d’un match amateur de rugby. « Je ne me souvenais plus de mon prénom, je ne savais pas où j’étais… » confie-t-il à pourquoidocteur. « Je n’ai pas mis les pieds sur un terrain pendant trois semaines. Et même après, je n’aurais pas repris sans avis médical. Mais j’ai un ami qui a pris un coup et a continué de jouer. Il n’a plus de souvenir des 5 jours après le choc. »
2 commotions par jour de championnat
L’année suivant cet incident, les règles ont évolué. La Fédération française de rugby (FFR) et la Ligue nationale de rugby (LNR) ont instauré un nouveau protocole. Après chaque choc à la tête, 5 minutes sont consacrées à un examen médical. Il impose la sortie d’un joueur dès qu’il présente un des signes de commotion cérébrale – une perte d’équilibre par exemple. Dès qu’il y a perte de connaissance sur le terrain (le fameux « K.O. »), le joueur est immédiatement remplacé.
Ce réel progrès reste insuffisant, clame Rory Lamont dans L’Equipe (lien abonnés) du 18 mars. L’ancien arrière écossais demande des règles d'examen plus strictes dans la prise en charge des commotions et dix minutes au lieu des cinq. Car ces événements ne sont pas rares : la FFR en a dénombré deux par journée de championnat du Top 14 en 2013. Et il n’y a K.O. que dans 15% des cas… ce qui rend d’autant plus important d’accorder du temps au diagnostic. Les conséquences peuvent être sérieuses, comme pour Eduard Coetzee. L'ancien pilier de Biarritz a mis fin à sa carrière en 2011 après avoir subi 3 commotions cérébrales en 5 semaines, dont deux espacées d’une semaine…
Regardez le témoignage d’Eduard Coetzee :
Source : Agence XV/PROVALELes commotions cérébrales ont longtemps été mal évaluées, ce qui explique la gravité du cas de Coetzee. Pourtant, la Fédération s’intéresse depuis longtemps au sujet… mais les données ne sont signalées que depuis une dizaine d’années, selon le Dr Jean-Claude Peyrin, président du Comité médical, contacté par pourquoidocteur.
Dr Jean-Claude Peyrin, président du Comité médical de la FFR : « On tournait à 30 commotions par an grand maximum. On s’aperçoit qu’en fait, il y en avait le double. »
Un protocole qui ne s’applique qu’en match
Le nouveau protocole a cependant amélioré la situation : davantage de commotions sont signalées, et moins de joueurs passent entre les mailles du filet. La FFR veut également impliquer arbitres, entraîneurs et joueurs dans les championnats amateurs. Le Comité Midi-Pyrénées a expérimenté une nouvelle approche : chaque acteur du terrain peut signaler un comportement suspect. Les premiers résultats se révèlent plutôt positifs.
« Le protocole n’est pas une mauvaise chose », souligne Bertrand Desortiaux. « Il évite que des joueurs reprennent alors qu’ils sont incapables de dire comment il s’appelle. » Il garde en mémoire Thierry Dusautoir, qui a poursuivi un match en titubant après un violent choc à la tête. « Aujourd’hui, je ne crois pas que cela arriverait, grâce au protocole. » Des propos modérés par l’ancien rugbyman Laurent Travini, secrétaire général de PROVALE, principal syndicat des joueurs de rugby professionnel. Selon lui, le protocole trouve rapidement ses limites car il ne s’applique qu’au cours des matches.
Laurent Travini, ancien rugbyman et secrétaire général d'un syndicat de joueurs : « En tant que joueur, j’ai souvent vécu des pertes de connaissance à l’entraînement. »
Formation et sécurité pour éviter la commotion
C’est justement à l’entraînement que tout se joue, aux yeux du Dr Peyrin : « une commotion sur deux est due à une erreur technique », affirme-t-il à pourquoidocteur. La formation est le nerf de la guerre pour ce spécialiste : il faut par exemple enseigner comment effectuer un plaquage sans se mettre en danger. Eric Mercadère entraîne des jeunes au club Saint Orens XV, dans la région de Toulouse (Haute-Garonne). Ses priorités : le renforcement musculaire et la sécurité des joueurs. Car avant 15 ans, certains gestes techniques, comme la mêlée, sont interdits. « On prend des joueurs à 15-16 ans qui ne savent pas pousser une mêlée, et un mois après, on le met en championnat », explique-t-il. Sa mission est double : apprendre la technique aux jeunes, tout en assurant leur sécurité à tout prix.
Eric Mercadère, entraîneur au club Saint Orens XV : « La première chose qu’on apprend aux jeunes, c’est la technique pour se protéger. L’important, c’est qu’ils ne se fassent pas mal. »
Malgré tous les efforts que l’on pourra consentir, le rugby reste un sport de contact, conclut Laurent Travini : « Si on interdit le contact, le rugby n’est plus le rugby… J’ai du mal à imaginer comment un règlement pourrait éviter ce qui ne l’est pas. C’est un sport où 30 hommes sont sur un terrain fermé et ils doivent passer une ligne bloquée par 15 hommes. Avant, on se passait la balle et on contournait. Maintenant, comme tout est bien organisé, il faut casser les murailles et cela engendre des contacts… Les situations de commotion sont inévitables de par le sport lui-même. »