Entretien avec le Pr Steven Laureys
Affaire Vincent Lambert : 3 experts pour statuer sur son état pauci-relationnel
Trois experts ont été désignés par le Conseil d'Etat pour mener une nouvelle expertise médicale sur Vincent Lambert. Une tâche difficile à mener car l'état pauci-relationnel reste encore plein d'énigmes.
C'est une nouvelle étape dans l'affaire dite « Vincent Lambert ». Le Conseil d'Etat a désigné mercredi les trois experts chargés de se pencher sur l'état de santé de cet homme de 38 ans, tétraplégique en état de conscience minimale "plus" depuis cinq ans, dont la famille se déchire sur son maintien en vie.
Pour rappel, le Conseil d'Etat avait décidé le 14 février d'attendre les résultats de cette nouvelle expertise médicale pour se prononcer, "avant l'été" sur l'arrêt ou pas des traitements.
Pour la mener, la haute juridiction a nommé comme experts trois neurologues de renom : Marie-Germaine Bousser (Hôpital Lariboisière, Paris), Lionel Naccache (La Pitié-Salpêtrière, Paris), Jacques Luauté (CHU de Lyon).
Ces trois professeurs ont deux mois pour rendre leur expertise. Ils devront décrire l'état clinique actuel de Vincent Lambert, se prononcer sur le caractère irréversible des lésions cérébrales dont il souffre et sur le pronostic clinique. Mais aussi déterminer s'il est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage et apprécier l'existence éventuelle de signes manifestant une volonté d'interruption ou au contraire de prolongation du traitement qui le maintient en vie.
Plusieurs questions autour d'un patient en état pauci-relationnel, une forme de réveil de coma décrite seulement en 2002 « et autour de laquelle de nombreux mystères persistent », comme l'explique à pourquoidocteur le Pr Steven Laureys. Ce célèbre neurologue du Coma Science Group (Liège) est le dernier a avoir mené une expertise médicale complète sur Vincent. Lambert au sein de son centre d'excellence en neurosciences.
Une nouvelle expertise médicale est-elle utile ?
Pr Steven Laureys : Tout d'abord, je pense que ce n'est pas ici l'endroit pour donner mon opinion sur un cas précis. Par contre, je crois que dans ces affaires de patients plongés dans un état de conscience minimale, incapables de communiquer, il faut établir un diagnostic fiable et faire un pronostic si possible le plus proche de la vérité. On ne peut pas pour ces cas de patients très complexes construire sur du sable et prendre des décisions de cette importance si l'état du patient n'est pas bien documenté. Enfin, les connaissances en médecine changent et évoluent régulièrement, une nouvelle expertise médicale a toujours le mérite d'apaiser le débat.
Faut-il différencier l'état de conscience minimale de l'état végétatif ?
Pr Steven Laureys : Oui, il s'agit de deux états bien distincts depuis maintenant plus de dix ans. Pour résumer, lorsqu'un patient survit à un coma, il va d'abord évoluer vers un état d'éveil non-répondant, plus communément appelé état végétatif. Dans ce cas, le malade ouvre les yeux et bouge. Mais tous ces mouvements sont considérés comme des réflexes par les neurologues. Toutefois, parmi ces patients, certains vont évoluer vers l'état de conscience minimale (ou pauci-relationnel) qui ne permet pas d'établir de communication.
Par contre, on sait aujourd'hui que ces patients ont par moment des moments de conscience. C'est-à-dire qu'ils peuvent suivre des yeux un mouvement, ou même répondre de manière fiable à une commande (ex: serrez-moi la main). Ici, on parle alors d'état de conscience minimale "plus".
Cependant, il reste encore aujourd'hui très difficile, voir quasi-impossible, de communiquer avec ces patients. Il est donc extrêmement compliqué de savoir ce qu'ils pensent. A cause de cette non-communication, il est très difficile de prendre une décision sur leur fin de vie.
Ces patients ressentent-ils la douleur par exemple ?
Pr Steven Laureys : Oui, les études réalisées en neuro-imagerie fonctionnelle ont clairement montré que les patients en état de conscience minimale ont une activation cérébrale comparable à la vôtre et à la mienne. Il est donc fort probable qu'ils perçoivent la douleur comme tout un chacun. De ce fait, la prise en charge de ces patients doit être adaptée et différente de celle des patients en état végétatif. On va par exemple leur donner des antidouleurs (antalgiques). Ces patients ont aussi plus de chance de récupérer que ceux en en état d'éveil non-répondant.
En parlant de récupération, une guérison est-elle possible ?
Pr Steven Laureys : Honnêtement, nous ne voyons pas beaucoup de miracles en récupération chez ces patients pauci-relationnels. Cependant, l'espoir est tout de même plus important que chez ceux en état végétatif. Car pour eux par contre, au bout d'un an sans améliorations, on sait d'ores et déjà qu'ils ne vont plus récupérer.
Alors que s'agissant des patients en état de conscience minimale, parfois, même après un an, certains malades peuvent évoluer positivement. Evidemment, ils faut bien rappeler que nous parlons de patients qui vont garder des séquelles importantes car ils ont pour certains des lésions au niveau du cerveau gravissimes. Ainsi, vous comprenez bien que lorsqu'on parle de rééducation, il s'agit d'un processus très long et semé d'embûches.
Certains patients récupèrent-ils mieux que d'autres ?
Pr Steven Laureys : Avec les pauci-relationnels, c'est vraiment à chaque patient sa récupération. Néanmoins, nous voyons plus de récupération chez les patients victimes d'un traumatisme crânien, comparé à ceux qui sont dans cet état après un arrêt cardiaque par exemple.
En fait, en réeducation, dès que l'on a une réponse à une commande, on va essayer de travailler ce mouvement et tenter d'établir une communication avec la malade. Par ailleurs, bien souvent, ce chemin est très long, et les progrès fluctuent dans le temps. On peut avoir une réponse un jour et le lendemain plus rien.
En outre, ces patients sont très sensibles aux infections ou aux médicaments qui les endorment encore davantage. A cause de ces désagréments, il nous arrive régulièrement de perdre les progrès constatés lors de la rééducation. Ou alors d'avoir beaucoup de mal à les retrouver.
De nouveaux outils pourraient-ils nous aider à établir une communication ?
Pr Steven Laureys : Avec la prise en charge de la douleur, l'espoir d'une communication est la tâche la plus difficile à laquelle nous nous attelons tous les jours. Car si nous arrivons à communiquer avec ces patients, il sera possible de connaître leur volonté. A savoir s'ils veulent rester en vie ou pas.
Dans cette bataille, les nouvelle technologies nous aident énormément. Même si c'est rare, l'IRM fonctionnelle nous permet parfois de communiquer avec ces patients. L'électro-encéphalographie (EEG) peut aussi donner une voix à certains de ces patients, et mieux nous orienter pour comprendre les capacités intellectuelles, cognitives, résiduelles du patient. C'est tout l'enjeu dans ce débat. Car la priorité ici, c'est la qualité de vie du patient