Deux études de l'Inserm
Benzodiazépines : le mésusage associé à un risque de démence
Le lien entre benzodiazépines et démence est confirmé dans de nouvelles études françaises. Inquiétant lorsqu'on sait que la consommation de ces psychotropes est repartie à la hausse en 2012.
« Trop prescrits et pendant trop longtemps en dépit de leurs effets secondaires. » Malgré ces risques connus, la consommation de benzodiazépines est repartie à la hausse en 2012, s'alarmait il y a quelques jours l’Agence de sécurité du médicament (ANSM). Selon son nouvel état des lieux publié mercredi, 11,5 millions de Français, c'est à dire 1 sur 6, a consommé au moins une fois au cours de l’année 2012 ce type de médicaments psychotropes prescrits pour le traitement de l’anxiété, des troubles sévères du sommeil, de l’épilepsie ou des contractures musculaires douloureuses. Pourtant, contrairement à ce que leur usage courant pourrait laisser penser, les benzodiazépines sont loin d’être des médicaments anodins. C'est d'ailleurs ce que confirme ce samedi deux études exclusives rapportées par l'Agence presse médicale (APM).
Un risque de démence associé au seul mésusage pour la 1ère étude
En effet, proportionnellement aux doses consommées, ces molécules exposent à un risque de dépendance, à des effets indésirables neuropsychiatrique, comme des troubles de la mémoire ou du comportement, et à une altération de l’état de conscience. Sur ce dernier point justement, « une association positive entre benzodiazépines et démence a été retrouvée dans deux nouvelles études françaises dont les résultats sont soumis à publication », a appris vendredi l'APM auprès des chercheurs qui ont coordonné ces travaux.
« Notre analyse des données de l'assurance maladie du Québec conforte notre soupçon. Il existe bien un lien, même si la causalité n'est pas démontrée, entre la prise de benzodiazépines et le risque de démence », a ainsi indiqué à l'Agence le Pr Bernard Bégaud, directeur de l'Inserm U657 à l'université de Bordeaux.
Dans cette étude, les chercheurs ont comparé des patients atteints de démence et d'autres indemnes de cette maladie. Le tout en examinant avec précision les benzodiazépines d'instauration ancienne, les doses administrées, les durées de traitement et le type de molécule. « Les résultats suggèrent que le risque de démence est associé seulement au mésusage de ces médicaments, à des durées de traitement au-delà de ce qui est recommandé. On l'avait déjà pressenti », observe le pharmacologue bordelais.
Aller chercher au-delà du mésusage ?
Par ailleurs, d'autres résultats, issus de la cohorte dite des Trois cités, ont montré eux aussi une association positive entre la consommation de benzodiazépine et un risque de démence. « Cette cohorte des 3C qui a été lancée en 1999 auprès de plus de 9 000 personnes âgées de 65 ans au moins à l'inclusion, non démentes confirme de précédentes données (...), sans pouvoir conclure sur le lien de causalité », a rajouté auprès de l'APM le Pr Christophe Tzourio, lui aussi de l'Inserm U897 à l'université de Bordeaux
Mais malgré leur prudence, les chercheurs avancent néanmoins des chiffres troublants concernant cette 2ème étude : « Sur un suivi de 10-11 ans, nous avons plus de 800 cas de démence, diagnostiqués de manière standardisée puisque c'est l'un des principaux sujets de cette cohorte. En revanche, les données de cette analyse ne permettent pas d'établir que le risque de démence est associé à un effet-dose ou à un mésusage des benzodiazépines, même si on voit bien ce mésusage. »
Une étude sans biais protopathique
En outre, les chercheurs précisent que leurs nouveaux travaux prennent en compte notamment le « biais protopathique », c'est-à-dire si les benzodiazépines sont prescrites car la maladie d'Alzheimer est déjà là et entraîne des dépressions et des insomnies, ou si ce sont elles qui induisent l'entrée dans la maladie d'Alzheimer. Alors, pour ces scientifiques, les doutes sur le lien supposé entre psychotropes et démence s'estompent de plus en plus.
Les deux chercheurs rappellent ainsi que la majorité de l'ensemble des études menées sur ce sujet, par des équipes différentes, avec des méthodologies différentes et sur des populations différentes, ont les mêmes conclusions « peu ou prou. » « Il est rare d'avoir une suspicion étayée par autant de données ! », souligne le Pr Bernard Bégaud.
Eviter les benzodiazépines pour les personnes âgées
En conclusion, le Pr Christophe Tzourio confie à l'Agence presse médicale : « Pour les autorités de santé, il faut répéter un message sanitaire très simple, avec un peu plus d'emphase, en direction des généralistes, principaux prescripteurs, mais aussi de la population générale: éviter les benzodiazépines pour les personnes âgées ! »
Enfin, pour ce dernier, il faut aussi éviter le catastrophisme. Pour cette raison, le chercheur rejette l'idée d'une interdiction de médicaments utiles s'ils sont bien prescrits. Les deux scientifiques appellent donc à une vraie campagne d'information sur ces médicaments.