Addictologie
Risques et paris sportifs : la campagne de SPF ne s'est-elle pas trompée de cible ?
Santé Publique France lance sa première campagne de prévention des risques associés aux paris sportifs. Elle sensibilise notamment le public aux techniques marketing, abusives, des opérateurs de jeux. Mais ne serait-il pas plus efficace de légiférer sur ces techniques ? Le professeur Amine Benyamina, chef de service d’addictologie à l’hôpital Paul Brousse, est scandalisé par cette campagne.
- Halfpoint/istock
Alors que la coupe du monde de football débute dans quelques semaines, Santé Publique France (SPF) se saisit de l'occasion pour lancer la première campagne de prévention des risques associés aux paris sportifs. Une pratique addictive qui peut avoir de graves conséquences et qui s'est considérablement développée en France ces dernières années, avec des montants misés multipliés par près de 3 en 5 ans. L'objectif de la campagne est justement d'enrayer cet essor en débanalisant et déconstruisant les idées reçues sur les paris sportifs.
Sur la base du message « Parier ce n'est pas rien », l'agence sanitaire diffuse des mini-spots vidéos et audio sous forme d'émission débat. Des experts, un journaliste sportif et un addictologue expliquent « dans un format dynamique et spontané » précise SPF, les mécanismes et conséquences de l'addiction aux paris sportifs. Ils dénoncent aussi les redoutables techniques marketing des opérateurs de jeux pour pousser à parier toujours plus, notamment les jeunes (18-35 ans) qui représentent déjà 72% des parieurs. Partant de ce constat, on peut alors se demander si les actions du Gouvernement ne devraient pas en fait être destinées à encadrer les pratiques de ces opérateurs de jeux. Le professeur Amine Benyamina, chef de service d’addictologie à l’hôpital Paul Brousse, nous a répondu et la réponse est sans appel.
La spirale de l'addiction, un objectif des marketeurs
Sur 100 parieurs sportifs, une quinzaine risque de basculer dans une pratique problématique. Les conséquences impliquent la santé mais aussi la situation sociale : surendettement, problèmes familiaux, isolement social, voire suicide dans les cas les plus graves.
Parmi l'ensemble des jeux pathologiques, les paris sportifs ont un côté particulièrement addictif en raison de l'illusion d'expertise, c'est à dire de la tendance des joueurs à voir ces paris comme un jeu d'habileté et non de hasard. Laurent Karila, addictologue à l'AP-HP ayant participé au projet de la campagne, explique la spirale stéréotypée des joueurs excessifs « il y a le gain, la perte, l'espoir de se refaire, le désespoir ». Et l'idée des marketeurs est de les faire entrer dans ce cycle.
« Tout est fait pour que ces gamins puissent glisser et se perdre »
La campagne compte aussi sensibiliser les joueurs actuels ou futurs sur les techniques marketing des opérateurs de jeux pour mieux y résister. Celles-ci sont très bien rodées et visent particulièrement un public sensible : les jeunes. Le journaliste sportif, Mohamed Bouhafsi, qui prend part au débat explique « tout est fait pour que ces gamins puissent glisser et se perdre ».
Parmi les techniques : les applications offrent de belles sommes d'argent pour débuter les paris ou relancent les joueurs avec insistance lorsqu'ils n'ont pas parié depuis plusieurs jours, ce qui peut contribuer à l'entrée dans la spirale de l'addiction.
Autre fait révoltant, ce sont les populations les plus précaires qui sont souvent visées par les publicités. Elles représentent une cible facile et intéressée par les paris, dans l'espoir de gros gains et d'une vie meilleure. Mohamed Bouhafsi dénonce ainsi dans l'émission débat, ces fausses promesses, et insiste « le jeu ne permet pas de s'en sortir ».
« Un vrai scandale » pour le président de la Fédération Française d'Addictologie
La campagne dénonce donc dans le fond les pratiques marketing abusives des opérateurs de jeux et leur rôle dans l'addiction aux paris sportifs. On peut alors se demander s'il ne serait pas plus utile de légiférer sur ces dites pratiques pour les contrôler voir les interdire. Interrogé à ce sujet le professeur Amine Benyamina, président de la Fédération Française d'Addictologie, déclare en effet que cette campagne est « un vrai scandale ». Pour lui, c'est simplement une manière d'ouvrir le parapluie mais absolument rien d'efficace n'est fait pour limiter les pratiques des opérateurs, qu'il qualifie pour certains de « quasi voyous ».
Il y a certes l'ANJ, l'Autorité Nationale des Jeux qui émet des recommandations de bonnes pratiques, mais il n'y a « en réalité aucune contrainte ni rien concernant le jeu » nous explique-t-il, de la poudre aux yeux en fait, un peu comme cette campagne... Les associations dans lesquelles il est investi ont réclamé auprès de parlementaires une sorte de loi Evin pour les paris sportifs, c'est-à-dire l'interdiction d'en faire la publicité, mais pour le moment absolument « rien de rien » n'est fait s'offusque le spécialiste.