Elections et débat national
Santé et Présidentielle : les propositions du Rassemblement National
La campagne présidentielle a commencé et, après la crise de l’hôpital et la pandémie Covid-19, ce doit aussi être un temps d’échange sur les projets de la Santé. Nous avons interrogé les candidats et des représentants de la société civile pour avoir leurs propositions. Aujourd’hui, l’interview du Dr Patrick Barriot, anesthésiste-réanimateur, référent santé de Marine Le Pen.
- Niyazz/istock
Le Dr Patrick Barriot est anesthésiste-réanimateur et ancien médecin-pompier. Il est référent santé de Marine Le Pen. Voici l'interview relue qu'il nous a accordé :
Fréquence Médicale : En France, on a un système de santé dont on nous a longtemps dit qu'il était le meilleur du monde. Qu'est ce qui, selon vous, marche et qu’est-ce qui ne marche pas actuellement ?
Vaste sujet ! Notre système de santé, il n’est pas moribond, mais il est dans un triste état, et dans tous les cas, il est incapable de faire face aux défis qui se posent à nous en termes de santé publique. On est face, d'une part, au défi des maladies chroniques qui touchent plus de 20 millions de compatriotes, avec le problème associé du vieillissement, car les deux sont liés, bien sûr : plus les gens sont âgés, plus ils ont de probabilité d'avoir une ou plusieurs maladies chroniques et donc des comorbidités. Et le deuxième défi à relever vient de la pandémie, c'est-à-dire les déprogrammations, très nombreuses, qu'il y a eu : ce sont des millions d'hospitalisations annulées. Et donc, avec comme conséquence, des ruptures dans l'accès aux soins de ces maladies chroniques.
Donc il va y avoir un rattrapage très important à faire, une reprogrammation après les déprogrammations ! Et notre système de santé n'est vraiment pas en état de faire face à ces défis. Les deux grands secteurs de notre système de soins nécessitent une restructuration et un soutien urgent : le secteur des soins hospitaliers et le secteur des soins ambulatoires. Ces deux secteurs sont vraiment en état d'extrême faiblesse et il faut apporter des solutions urgentes.
Est-ce que c'est une simple réorganisation, une évolution du système actuel, ou est ce qu'il faut une refonte beaucoup plus profonde ?
Non, au niveau du secteur hospitalier, c'est plus qu'une simple réorganisation. Parce qu'on a construit ces dernières années, au fil des différentes lois, un véritable millefeuille bureaucratique qui ne permet pas d'offrir à tout patient, en tout point des territoires, un accès aux soins et une permanence des soins. En particulier au niveau hospitalier, on a vraiment un système bureaucratique, avec un carcan administratif, qui a abouti à une diminution de la qualité des soins, voire même une mise en jeu de la vie des patients. C’est désormais une gestion totalement comptable, avec des indicateurs uniquement comptables et pas du tout des indicateurs de qualité. On ne regarde pas, avant toute évaluation, les besoins de soins, mais on recherche à tout prix des économies.
Donc, on veut une refonte totale, en particulier de la gouvernance hospitalière, avec une gouvernance bicéphale, qui soit une gouvernance médicale associée à un directeur administratif, un gestionnaire, mais les deux étant liés par un projet. Et Marine Le Pen souhaite la disparition pure et simple des ARS. Donc, vraiment là, c'est une révolution, c'est-à-dire re-médicaliser la gouvernance. Et puis, par la suppression associée des ARS, abandonner un échelon régional de gouvernance, pour aller vers un échelon infra-régional, voire même départemental, de la gouvernance : il faut revenir, soit au niveau du département, soit au niveau de l'intercommunalité et des bassins de vie, mais en mettant l'hôpital sous la tutelle du préfet. Le préfet sera, bien entendu, entouré d'un conseil qui regroupera les acteurs de santé, les acteurs du monde médico-social et social, les associations d'usagers, les élus locaux bien entendu, donc une véritable démocratie sanitaire. Mais au plus près du bassin de vie.
Justement, dans beaucoup de territoires, la médecine libérale, et en particulier la médecine générale, est un peu en péril avec des déserts médicaux et des malades qui ont de plus en plus de mal à trouver un médecin de famille. Est-ce que vous avez quelques pistes pour améliorer ce grave problème ?
Déjà, les déserts médicaux, ce n'est pas seulement la Creuse ou le fin fond de l'Ardèche ! Et on a vu que l'Ile-de-France est le premier des déserts médicaux, que le Centre-Val de Loire, en particulier le Loiret, est un désert médical. Mais, mais les Epad sont aussi des déserts médicaux où on n’a pas assez de médecins coordinateurs et pas d'infirmières la nuit. L'Éducation nationale est un désert médical puisqu'on a une infirmière pour 1700 élèves et que 30% des postes de médecins de l'Éducation Nationale ne sont pas pourvus. Et l'hôpital public est le premier des déserts médicaux. Et c'est Frédéric Valletoux, le président de la Fédération Hospitalière de France, qui a dit que 30% des postes de praticiens hospitaliers ne sont pas pourvus et, je crois, qu’entre 5 et 10% des postes infirmiers sont vacants.
Donc, effectivement pour revenir à votre question, il y a un problème de déserts médicaux. Alors on parle beaucoup du Numerus clausus. C'est bien beau de dire qu’on augmente le nombre des médecins en formation, mais pour former des médecins, il faut une université, il faut une faculté. Or, on demande aux universités et aux facultés de former plus de gens à moyens constants. Mais c'est très compliqué à moyens constants, parce que, former plus de médecins, ça suppose des stages, des encadrements qu'on n'a pas nécessairement. Alors, il y a des situations où c'est très clair. Si on prend par exemple le Centre-Val de Loire, quand vous voyez que pour une région comme le Centre-Val de Loire, vous n'avez qu'une seule faculté de médecine à Tours, c'est clair que ce n'est pas suffisant. Et dans cette région, il faudrait vraiment doubler le nombre de médecins et donc ouvrir une faculté à Orléans par exemple. Or, il a fallu attendre que le maire d'Orléans décide d'ouvrir une succursale de la faculté de Zagreb dans sa ville pour que le premier ministre accoure en disant : « on va ouvrir une deuxième Fac ». OK, très bien, il le faut. Mais les médecins, ils n’arriveront que dans 10 ou 12 ans, alors que le problème est vraiment très urgent.
Alors comment essayer de trouver une solution à ce problème ? Marine Le Pen est totalement opposée aux mesures coercitives. Donc pour elle, pas d'obligation d'installation, pas de conventionnement sélectif. Ce que propose Marine Le Pen, c'est de moduler le tarif de la consultation en fonction des zones et donc de réévaluer fortement le tarif de la consultation dans ces zones sous-dotées. C'est un des moyens incitatifs, et non coercitifs, que nous proposons. Il y en a d'autres, en particulier essayer de retenir les gens dans leur région d'origine en les aidant au cours de leurs études. Il y a d'autres moyens, mais elle exclut tout moyen coercitif.
L'hôpital a été mis au centre de lutte contre la Covid et cela a mis en exergue un hospitalo-centrisme très français. Que proposez-vous pour améliorer le fonctionnement entre la ville et l'hôpital ?
Là, on est dans le problème de la gestion de la crise Covid au niveau de l'hôpital et surtout au niveau de l'hôpital public. C'est compliqué parce qu’il est clair qu'il y avait déjà une pénurie de lits. En 20 ans, on a fermé plus de 100 000 lits : on est passé en gros de 500 000 lits, à moins de 400 000. Je ne sais plus exactement le chiffre, mais bref, on a fermé. Alors c'est vrai qu'il y a eu le virage ambulatoire. C'est vrai qu'il y a l'hospitalisation à domicile. Mais cela a été fait de façon un peu hâtive par endroits et on s'est rendu compte, à l'occasion de la pandémie, qu'on n’avait peut-être pas assez de lits, en particulier, pas assez de lits de réanimation. Surtout, pendant la crise, on a continué à fermer des lits : je crois 5700 en 2020, et de l'ordre de 18 000 pendant le quinquennat.
Donc, il y a eu un problème de gestion des lits, en particulier des lits de réanimation : au début de la crise, on avait 5000 à 5200 lits de réanimation, et avec les lits éphémères, on est passé à 5800. Or, le dernier rapport de l'IGAS vient de souligner qu’il fallait au moins 500 lits de réanimation de plus, voir 1000. Dernièrement, Olivier Véran a annoncé la création de 1000 lits de réa, c’est-à-dire une augmentation à peu près de 20% de la capacité de lits de réa. Mais en fait, d'une part, ce n'est pas vraiment budgété. Et puis, qui dit 1000 lits de réa, dit plus de personnel soignant. Or, on sait très bien qu'on n'a pas ce personnel, puisqu'un des problèmes essentiels c'est surtout le personnel, les infirmières, les aides-soignants, les réanimateurs pour permettre à ces lits de fonctionner. Or, dans beaucoup d'hôpitaux, on a vu pendant la crise qu'on avait des fois entre 10 et 20% des lits qui étaient fermés faute de personnel. Donc, le problème majeur de l'hôpital public actuellement est un problème de pénurie de personnel et de fermetures de lits par pénurie de personnel.
L’autre problème majeur qu'a révélé la crise, c'est le défaut, voire l'absence totale de complémentarité entre le secteur public et le secteur privé. Si on en croit Lamine Gharbi, le président de la Fédération de l'Hospitalisation Privée, ils avaient de l'ordre de 2000 lits de réa et ils auraient pu monter à 4 000 pendant la crise. Le problème, c'est qu’on leur a demandé d’arrêter toutes leurs activités et qu'il y a eu très peu de reports de malades Covid de l’hôpital public vers l'hospitalisation privée. Il y a certains spécialistes de ces questions qui disent qu'il y a eu un véritable « Yalta de la santé » entre le secteur public et secteur privé. Et c'est vrai, on parle tout le temps de la complémentarité public privé. Et là, elle n'a pas joué, c'est clair ! Et c'est pour ça aussi que parmi les propositions de Marine Le Pen, avec la suppression des ARS, avec la tutelle du préfet, il y aura auprès du préfet un comité de coordination permanent public-privé, c'est absolument nécessaire. Le système de santé doit fonctionner sur ses deux pieds : le public et le privé !
En France, on dit toujours que la prévention n'est pas assez prise en compte. Est-ce que c'est vrai, d'après vous ? Et si on doit améliorer la prévention, qu'est-ce que vous proposez ?
C'est vrai que le système de santé est essentiellement curatif et qu'il faut passer à un système également préventif. Je viens, par exemple, d'avoir une longue discussion avec les chirurgiens-dentistes, et il est très révélateur que tout le système des soins dentaires est orienté vers la prothèse dentaire, c'est-à-dire sur la carie constituée et pas du tout sur la prévention de la carie ! Bon, c'est un exemple typique de ce que l’on ne fait pas assez de prévention.
Donc, il faut absolument améliorer tout l'aspect prévention. Alors, de quelle manière ? C'est bien sûr le dépistage, mais c’est aussi l'éducation thérapeutique, or il y a vraiment un problème d'éducation thérapeutique dans notre pays. Peut-être n’est-elle pas financée ou par manque de temps. Mais, il faut vraiment tout faire pour développer cet aspect de prévention et d'éducation thérapeutique, par exemple, avec les infirmiers de pratique avancée. C'est typiquement un domaine où on peut avoir, si les médecins libéraux n'ont pas suffisamment de temps pour faire de l'éducation thérapeutique, des infirmiers de pratique avancée qui peuvent être un ajout important et permettre de gagner du temps médical, et surtout d'améliorer la prévention. Mais il faut vraiment parler en besoin de soins, en besoins de santé, et arrêter de parler d'économie et d'indicateurs comptables.
Est-ce que vous voulez rajouter un message ?
Oui, je voudrais rajouter 2 choses.
Premièrement, sur le plan de la souveraineté sanitaire et en particulier sur le plan des stocks de médicaments à intérêt thérapeutique majeur. Je crois que la France est passée de la première à la quatrième place en Europe comme producteur de médicaments. Donc on est totalement dépendant, en particulier du monde asiatique, sur les principes actifs. Il faut absolument relocaliser la production pharmaceutique. Et il faut aussi avoir une souveraineté sur les stocks de médicaments à intérêt thérapeutique majeur, en particulier en oncologie ou dans d'autres domaines critiques. Et pour ça, il faudrait avoir des lignes de production pilotées de façon publique. Or, on a une seule production de médicaments publics en France, c'est la Pharmacie Centrale des Armées, qui produit en particulier le iodure de potassium, pour le risque radiologique. Mais il faudrait avoir plusieurs, plusieurs lignes de production sous pilotage public pour les médicaments à intérêt thérapeutique majeur.
Et la deuxième chose que je voudrais ajouter, c'est vraiment le besoin de faire un gros effort en matière de recherche, développement et innovation en santé. Alors, il y a certes la création de l'Agence de l'Innovation en Santé avec un budget de 7 ou 8 milliards. Mais il faut vraiment faire un effort au niveau des Instituts Hospitalo-Universitaires pour avoir une meilleure attractivité vis-à-vis des investisseurs privés. Donc Marine Le Pen compte faire beaucoup, d'une part pour valoriser la fonction de chercheur, aussi bien sur la recherche clinique que fondamentale, mais aussi sur le rôle essentiel des Instituts Hospitalo-Universitaires, qui doivent vraiment être une pépinière d'innovations.