Rhumatologie
Syndrome du défilé des scalènes : une douleur atypique de l’épaule et du bras
Le syndrome de la traversée cervico-thoracique, ou syndrome du défilé des scalènes, doit être évoqué devant des douleurs et des paresthésies atypiques de l’épaule et du bras. L’exploration échodoppler et IRM est la plus contributive, sous réserve d’une bonne réalisation.
- SARINYAPINNGAM/istock
Le « syndrome du défilé des scalènes », ou « syndrome de la traversée cervico-thoracique », est un syndrome rare de compression, plus ou moins permanente, du plexus brachial et des artères et veines sous-clavières dans un canal musculaire, fibreux et osseux. Celui-ci s’étend entre le rachis cervical et le bord externe du grand pectoral.
L’artère sous-clavière et le plexus brachial y passent entre le scalène antérieur, en avant, et les scalènes moyen et postérieur, en arrière, la veine sous-clavière étant située en avant du scalène antérieur. Cet « espace interscalénique » est lui-même cloisonné par le muscle petit scalène, ou un ligament équivalent, séparant l’artère, en avant, et les racines du plexus brachial, en arrière.
Le défilé des scalènes se prolonge par un défilé costo-claviculaire qui est compris entre la clavicule en haut et la 1ere côte en bas, et se termine dans le tunnel sous-pectoral entre la face postérieure du tendon du petit pectoral et la face antérieure du gril costal.
Des mécanismes de fermeture variés
Le défilé des scalènes est plus ou moins ouvert, en fonction des variations anatomiques, du volume des muscles et de la position du bras.
Parmi les variations anatomiques susceptibles de fermer le défilé, on peut retrouver une côte surnuméraire (côte cervicale C7) ou une apophysomégalie de C7, une agénésie de l’arc antérieur de la 1ère côte, une fracture de la 1ère côte ou de la clavicule consolidée en position vicieuse (« cal vicieux »), des exostoses ou des synostoses de la 1ère côte, des anomalies d’insertion du muscle scalène antérieur ou petit scalène (plus fréquemment), des anomalies de trajets des vaisseaux sanguins, voire une tumeur (ostéochondrome…).
En l’absence de variation anatomique, le syndrome du défilé des scalènes peut survenir de façon dynamique chez les jeunes athlètes du fait de la répétition d’un geste sportif qui ferme fonctionnellement le défilé, soit le plus souvent en abduction et rotation externe de l’épaule, comme dans la plupart des sports de lancer (volley-ball, hand-ball, baseball…), la natation ou l’haltérophilie (baisse de la clavicule par hypertrophie du pectoral). Il existe souvent un facteur déclenchant traumatique.
Un diagnostic parfois difficile
Le diagnostic de syndrome du défilé des scalènes doit être évoqué devant une douleur atypique du cou, de l’épaule ou du bras, avec des paresthésies, une sensation de lourdeur ou une faiblesse musculaire du cou de l’épaule et du bras. Cela reste un diagnostic d’exclusion dans les formes sans lésions morphologiques lors des examens complémentaires.
Il existe en théorie trois types de syndromes du défilé des scalènes (SDS) : le SDS neurogène (nSDS), le SDS veineux et le SDS artériel, le type le plus courant étant le SDS neurogène, et chacun ont leurs symptômes prédominants. La difficulté du diagnostic clinique tient cependant à la fréquente intrication des symptômes de compression du plexus brachial avec ceux liés à la compression de l’artère ou de la veine : c’est ce que l’on appelle un SDS mixte.
Les SDS vasculaires purs, peu fréquents (moins de 5% des SDS), peuvent se manifester sous la forme de crampes du bras à l’effort dans les formes artérielles claudicantes (ischémie d’effort), d’une ischémie aiguë par thrombose artérielle du membre supérieur, ou d’une impression de froid ou d’un syndrome de Raynaud. La prolongation du syndrome peut conduire à des troubles trophiques comme des ulcères et des nécroses des extrémités des doigts.
Les formes veineuses pures sont relativement rares sauf chez les adolescents. La compression de la veine sous-clavière dans l'espace costo-claviculaire peut entraîner une obstruction épisodique du drainage veineux du membre supérieur, avec œdème et gonflement (« signe de la bague »), une cyanose, une fatigabilité de l’avant-bras à l’effort. Avec le temps, les lésions et les compressions cumulatives peuvent entraîner des lésions de la veine, avec un risque de thrombose veineuse, appelée « thrombose d'effort » ou « syndrome de Paget-Schroetter », et parfois une circulation veineuse collatérale au thorax.
Les SDS neurologiques purs, se manifestent par des douleurs de type neurogènes, à type de paresthésies et de dysesthésies, dans le territoire C5, C6 et C7 pour les atteintes proximales (plus rares) et C8-T1 pour les atteintes distales (plus fréquentes), souvent associées à des compressions artérielles et veineuses.
Le syndrome plexique haut (C5-C7) est plutôt responsable de douleurs et paresthésies latéro-cervicales irradiant à la partie antérieure du thorax et du crâne (face, mâchoire), tandis que le syndrome plexique bas (C8-T1) est plutôt responsable de douleurs postérieures du cou, de la tête et de l’épaule, avec des paresthésies qui peuvent irradier dans le territoire du nerf ulnaire (cubital) et une faiblesse de la préhension des doigts et des interosseux.
Les SDS mixtes sont les plus fréquents mais sont aussi les plus difficiles à diagnostiquer du fait de l’intrication des symptômes neurovasculaires : douleurs de l’épaule et du bras avec sensation de lourdeur du bras, en particulier lors de l’élévation du bras chez des patients qui peuvent ne pas pouvoir garder les bras en l’air, au maximum.
Dans ce cas, le diagnostic est souvent difficile à poser et les patients peuvent errer de médecin en médecin avant que le diagnostic ne soit fait, d’autant qu’il existe parfois une demande de compensation sociale si le syndrome est survenu à la suite d’un accident de travail.
Le diagnostic clinique est donc évoqué avant tout sur l’interrogatoire sur les symptômes (paresthésies dans le territoire du médian dans les formes proximales et dans le territoire du nerf ulnaire dans les formes distales), un défaut d’endurance des extenseurs du bras sans déficit moteur vrai sauf dans les formes distales où le déficit touche les interosseux), les antécédents (traumatisme de l’épaule, sport de lancer ou port de charges lourde sur l’épaule) et l’examen clinique.
Un examen clinique délicat
En dehors du sportif, avec sa symptomatologie à l’effort, lors du geste sportif répétitif, le médecin est souvent confronté à un patient plutôt voûté, avec une chute des épaules et un thorax en entonnoir (« Droopy shoulder syndrome »).
L’examen clinique recherche des signes artériels (souffle sous-claviculaire, asymétrie des pouls), en particulier positionnels. Les amplitudes articulaires actives et passives de l’épaule sont généralement normales. Il est possible de rechercher un signe de la sonnette qui consiste en l’apparition de dysesthésies à la compression du creux sus-claviculaire (au moins 10 secondes), voire un signe de Tinel à la percussion de cette région sus-claviculaire. La topographie des dysesthésies peut orienter vers une atteinte haute ou basse du syndrome.
De nombreux tests cliniques sont disponibles, mais la manœuvre d’Adson est l’une des plus fiable : elle consiste à observer un amortissement ou une abolition du pouls radial du membre concerné lorsque le patient est assis, en inspiration profonde bloquée (contraction des scalènes), et qu’il élève les bras et tourne la tête de l’autre côté.
Cette manœuvre est plus spécifique que le test de Wright en hyperabduction du bras car un amortissement du pouls est observé chez 50% des personnes normales lors de cette manœuvre à 90° d’abduction.
Certains conseillent le test de Roos, ou « manœuvre du chandelier » : le patient est placé les épaules en abduction-rétropulsion, ou position de « haut-les-mains », et on lui demande d’effectuer des mouvements de flexion-extension répétés des doigts.
Un diagnostic différentiel à éliminer sur cette manœuvre est une « irritation du plexus brachial », sans réelle compression, qui se recherche les épaules en abduction et antépulsion en faisant effectuer des mouvements de flexion-extension des doigts : le test est positif si la douleur apparaît avant qu’une cinquantaine de flexions-extensions des doigts soit réalisées.
Des examens complémentaires à bien interpréter
Des radiographies du rachis cervical de face, de profil et de trois-quart en dégageant bien la vertèbre C7, avec une radiographie du thorax de face (ou des apex), sont systématiquement demandées à la recherche d’une côte surnuméraires, d’un « cal vicieux » de la clavicule ou d’une tumeur osseuse. Une apophysomégalie transverse est classiquement un équivalent de côte surnuméraire car l’hypertrophie de l’apophyse transverse se prolonge souvent d’une lame fibreuse qui peut être compressive. Ces anomalies osseuses sont mieux analysées au scanner.
L’échodoppler, statique et dynamique, permet de bien étudier l’artère et la veine sous-clavières et de rechercher un rétrécissement ou une dilatation anévrysmale, sachant qu’un souffle correspond généralement à un rétrécissement d’au moins 50% du calibre. L’échodoppler est bien sûr sensibilisé par une manœuvre dynamique en faisant attention aux manœuvres en hyperabduction à 90° du bras qui déclenchent une anomalie chez les personnes normales.
L’IRM est un examen clé pour bien voir le plexus brachial, les masses musculaires, d’autres anomalies des parties molles, dont d’éventuelles bandes fibreuses anormales. L’artériographie ou surtout l’angio-IRM peuvent permettre d’analyser les anomalies de la paroi de l’artère sous-clavière et déterminer quel est la structure à l’origine de la compression.
Un électromyogramme (EMG) est parfois difficile à interpréter dans le syndrome du défilé, sauf dans les formes évoluées avec atteintes sensitivomotrices cliniquement évidentes, mais il est réalisé avant toute chirurgie. Il peut permettre de préciser la topographie haute ou basse. Il sert le plus souvent, dans les formes atypiques, à éliminer une atteinte radiculaire haute, un canal carpien ou une compression du nerf ulnaire.
Diagnostics différenciels
Au terme de ces examens, il est possible d’éliminer les différents diagnostics différentiels comme une névralgie, cervico-brachiale avec hernie discale cervicale, un syndrome du canal carpien ou de compression du nerf ulnaire au coude, une lésion de la coiffe musculaire, une syringomyélie, un syndrome de Pancoast-Tobias avec tumeur de l’apex ou un syndrome de Parsonage et Turner après une vaccination et surtout, un syndrome d’irritation du plexus brachial, qui ne sera jamais opéré.
Le traitement est le plus souvent fonctionnel
Le traitement commence toujours par la rééducation spécialisée, après une éventuelle phase initiale de repos avec antalgiques et AINS chez le sportif, qui est plutôt efficace dans près de la moitié des cas. Cette rééducation a pour objectif d’ouvrir le défilé et, éventuellement, la pince costo-claviculaire, en rééquilibrant la statique rachidienne, les épaules en arrière, en renforçant les muscles respiratoires et les muscles rachidiens du cou et du dos.
La chirurgie ne s’envisage qu’en cas d’échec du traitement fonctionnel. On conseille d’attendre 6 mois avant une intervention en cas d’atteinte neurologique isolée, sauf en cas d’anomalie anatomique osseuse, type côte cervicale ou en cas de retentissement vasculaire avéré. La chirurgie donne d’excellent résultats en cas de côte surnuméraire (qui est réséquée par voie sus-claviculaire). Le pronostic post-chirurgical est plus compliqué à évaluer pour les formes avec déficit neurovasculaire établi et en progression, car les différentes voies d’abord proposées compliquent la comparaison des résultats dans les études disponibles et le niveau de preuve dont on dispose reste modeste.
Bibliographie :
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