Rhumatologie
Claudication des membres inférieurs : attention au syndrome de l’artère poplitée piégée
Le syndrome de l’artère poplitée piégée, ou « piège poplité », est un diagnostic différentiel en cas de claudication d'un ou des membres inférieurs. La cause peut être un conflit anatomique entre l’artère poplité et des structures musculo-tendineuses anormales du creux poplité, ou un conflit fonctionnel, chez le sportif essentiellement.
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Survenant surtout chez des jeunes adultes, le syndrome de l’artère poplitée piégée peut cependant se manifester à tout âge, même s’il reste peu fréquent (0,17% à 3,5% de la population américaine). Il résulte d’une compression permanente du paquet vasculo-nerveux par des structures musculo-tendineuses poplitées déviantes ou d’une compression dynamique.
Il se manifeste principalement par des douleurs claudicantes de jambe, c’est-à-dire survenant à l’effort avec amélioration au repos, et l'ischémie artérielle aiguë est rare.
Selon les variations des rapports anatomiques entre structures musculaires et neurovasculaires, le piège poplité peut être à l’origine de compression des vaisseaux (artère et/ou veine poplitées) et/ou du nerf tibial postérieur. Les symptômes qui en résultent dépendent de la structure qui est la principale cible de cette compression.
Anatomique ou fonctionnel ?
Il est classique de séparer les anomalies anatomiques liées à un problème musculaire ou vasculaire vrai, qui sont plutôt vues par les chirurgiens vasculaires, et les anomalies fonctionnelles, qui sont plus souvent rencontrées par les médecins du sport et qui aboutissent à un piège en raison d’une simple modification fonctionnelle de structures anatomiques normales.
Il existe différents types de pièges anatomiques, la majorité d’entre eux étant caractérisée par une modification des trajets artériel et veineux poplités, secondaire à une insertion aberrante des structures musculo-tendineuses, en particulier le chef médial du muscle gastrocnémien ou le muscle poplité, qui sont le plus souvent à l’origine du piège poplité. Les classifications sont nombreuses mais n’ont pas d’incidence sur la symptomatologie ni sur les explorations para-cliniques pour le diagnostic. Le geste chirurgical, en revanche, varie en fonction de l’anomalie retrouvée.
L’existence d’un piège fonctionnel résulte par contre de la simple compression artérielle ou vasculo-nerveuse dynamique par les muscles voisins hypertrophiés à l'effort : il n’y a aucune anomalie anatomique (en dehors de mollets plutôt gros). Un piège fonctionnel est donc évoqué en l’absence de variation anatomique et on peut simplement trouver une hypertrophie du chef médial du muscle gastrocnémien chez les sujets sportifs, le sport étant la circonstance révélatrice.
Artère poplité piégée
Le tableau le plus habituel d’une artère poplité piégée est celui d’une claudication intermittente de jambe du sujet jeune ou d’âge moyen, unilatérale surtout (bilatérale dans 25% des cas), mais en dehors de tout contexte d’athérosclérose. La notion de sensation de crampe à l’effort est plus évidente chez le sportif mais il peut s’agir d’une symptomatologie se manifestant simplement à la marche lorsque le piège anatomique est important.
En cas de piège fonctionnel, une période de repos sportif peut entraîner une amélioration, avec une phase totalement asymptomatique lors de la reprise des activités : cette amélioration serait liée à la diminution de la masse musculaire secondaire au repos forcé. La diminution du piège fonctionnel persiste tant que le muscle n’a pas repris son volume.
D’autres symptômes peuvent être retrouvés à l'interrogatoire (douleurs ou paresthésies plantaires par compression associée du nerf tibial, gonflement de la jambe et du pied par compression associée de la veine poplitée, gêne douloureuse à la flexion prolongée du genou).
L’aggravation progressive est habituelle et les symptômes varient en fonction, du degré d’activité en cas de piège fonctionnel, de l’importance de l’obstruction et de la circulation collatérale en cas de piège anatomique.
Veine poplité piégée
La veine poplitée piégée est une variation plus rare du piège poplité, mais la veine peut être comprimée avant l’artère, en particulier par une anomalie du chef médial du muscle gastrocnémien. D'autres étiologies incluent un excès de tissu adipeux poplité, un kyste du creux poplité, un anévrisme de l'artère poplitée, un épaississement du fascia périveineux, une compression par le muscle poplité, une hypertrophie musculaire, ou une variante de l'origine de la veine saphène externe.
La symptomatologie qui en découle est plus discrète. La notion de gonflement du mollet à l’effort doit faire évoquer la possibilité d’un piège de la veine poplitée qui peut exister seul ou initialement, avant l’installation d’un retentissement artériel. Il peut exister une tension douloureuse à la palpation du mollet ou à la mise en flexion dorsale passive de la cheville.
Le tableau de ce piège veineux doit être envisagé chez les patients qui ont un gonflement inexpliqué des membres inférieurs ou des symptômes de thrombose des membres inférieurs. Il est assez proche du syndrome de loge et, pour certains auteurs, il pourrait même être à l’origine d’un syndrome de loges en raison de l’œdème latent du mollet.
Examen clinique
Même en cas de piège artériel, les pouls distaux, tibial postérieur et pédieux, sont normaux au repos, sauf si le piège anatomique a entraîné un retentissement sur l’artère avec des modifications de la paroi et une asymétrie des pouls au détriment du côté atteint. Des anomalies à l’auscultation, avec un souffle de l’artère poplitée, peuvent être retrouvées en cas de lésion artérielle installée ou après l’effort à un stade plus précoce. En cas d’anévrisme poplité, une tuméfaction pulsatile peut être palpée au creux poplité, parfois associée à un souffle artériel.
Sauf en cas de piège anatomique avec lésion artérielle secondaire, il n'y a pas non plus de signes cliniques évocateurs d’une ischémie chronique (douleur de repos, froideur des extrémités, décoloration cutanée distale, lésions cutanées).
Les tests dynamiques sont importants pour le diagnostic mais il faut savoir que l’on peut les retrouver chez des personnes normales. L’abolition de pouls n’est habituellement retrouvée que lors de la flexion plantaire active contre résistance dans les pièges fonctionnels ou lors de la flexion passive en cas de piège anatomique. Le plus simple est de prendre le pouls tibial postérieur en demandant au patient de monter sur les pointes en bipodal ou en monopodal.
Diagnostic et examens complémentaires
L’examen écho-doppler est l’examen qui permet d’authentifier un probable piège artériel poplité et ses conséquences sur le flux artériel. Des modifications peuvent être mises en évidence au repos au niveau poplité lorsqu’il existe un piège anatomique (entraînant une sténose et/ou une dilatation), alors que la diminution du flux pouvant aller jusqu’à l’oblitération complète n’est mise en évidence que lors des tests dynamiques en cas de piège fonctionnel, au niveau de l’artère tibiale postérieure.
Lors du piège veineux, l’examen initial de choix est également l’écho-doppler avec des tests dynamiques à type de manœuvres de flexion-extension. Le doppler au repos élimine une éventuelle thrombophlébite associée.
Cependant, il faut être conscient que les manœuvres dynamiques peuvent montrer en écho-doppler une compression vasculaire poplitée même chez des personnes asymptomatiques et sans altération anatomique. Ces manœuvres dynamiques doivent donc être interprétées en fonction du contexte clinique relevé à l’interrogatoire. Poser le diagnostic n’est donc pas toujours évident en l’absence de variation anatomique avec insertion tendineuse aberrante.
Une IRM peut permettre de déceler les anomalies anatomiques du creux poplité (par ex. anévrysme) et une angio-IRM visualise parfaitement les sténoses artérielles anatomiques. C’est plus compliqué pour les sténoses anatomiques fonctionnelles qui imposent une contraction musculaire soutenue pendant toute l’acquisition des images. Une phlébographie a été utilisée pour montrer une compression veineuse permanente ou seulement lors des tests dynamiques.
Diagnostics différentiels
Les principaux diagnostics différentiels sont les syndromes de loge mais les syndromes des loges postérieurs sont rares, les kystes poplités, les anévrysmes de l’artère poplité et les tumeurs du creux poplité.
Traitement
Une prise en charge chirurgicale est généralement proposée, surtout en cas d’anomalie anatomique, permettant de libérer l’artère piégée de la contrainte musculo-tendineuse. La technique est posée en fonction de la classification à laquelle correspond l’anomalie anatomique. En cas de lésion artérielle secondaire au piège poplité anatomique, une intervention vasculaire complémentaire est à discuter.
Dans le cas des pièges fonctionnels, les indications chirurgicales reposent sur la gêne effective du patient. Le geste consiste à simplement libérer l’arcade du soléaire (au prix d’une longue cicatrice et d’un repos sportif de 2 à 3 mois).
Pour les pièges veineux, la prise en charge est basée sur la gravité et le type de symptômes, allant d'une prise en charge conservatrice avec des bas de contention et une correction d’un trouble statique du pied associé, à une prise en charge chirurgicale en cas d'atteinte de l'artère poplitée associée ou de symptômes plus graves. Un traitement endovasculaire tel que l'angioplastie ou la pose d'un stent a également été rapporté avec de bons résultats.
Bibliographie
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