Infectiologie

Covid-19 : efficacité du tocilizumab dans la stratégie de prévention des formes graves

L’étude française CORIMUNO-19 sur le tocilizumab confirme ses pré-résultats présentés au printemps. Chez les malades avec syndrome hyper-inflammatoire, cet anti-IL6R réduit d’un tiers le risque de passage en réanimation et de près de la moitié le risque d’être intubé. Un résultat en cohérence avec les études observationnelles.

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  • 21 Oct 2020
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    Paru dans le JAMA Internal Medicine, 3 articles explorent l’intérêt de l'utilisation du tocilizumab dans les formes hypoxémiantes de la Covid-19. Le tocilizumab est un anticorps monoclonal humanisé anti-récepteurs de l'interleukine 6 (anti-IL-6R). Il est couramment utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Horton et le syndrome de relargage cytokinique après un traitement par CAT cells.

    Son utilisation lors du déclenchement de l’orage cytokinique et en prévention du passage en réanimation a été proposé à partir de plusieurs études observationnelles qui ont même évoqué un bénéfice tardif sur la mortalité.

    3 études très inégales

    Les 3 études rapportées dans le JAMA Internal Medicine recouvrent une large étude observationnelle américaine et 2 études randomisées, une italienne (n=121) et une française (n=131. Les résultats sont en apparence discordants mais elles concernent des populations très différentes.

    L’étude STOP-COVID américaine est la plus large étude observationnelle (n=4500). Ce type d’étude est soumise à de nombreux biais, mais la présence des meilleurs spécialistes des études observationnelle parmi les auteurs donne une certaine crédibilité à ses résultats. Les études italiennes et française ne concernent pas les mêmes malades.

    Baisse de la  mortalité

    L'étude américaine STOP-COVID se distingue des autres études observationnelles par sa taille et par le soin mis sur l’ajustement des malades provenant de l'étude Study of the Treatment and Outcomes in Critically Ill Patients With COVID-19 (STOP-COVID), car les malades sous tocilizumab sont plus jeunes et avec moins de comorbidités.

    Chez des malades Covid+ dans les 2 premiers jours de leur passage en réanimation et sur un suivi médian de 27 jours, ceux traités par le tocilizumab ont un risque de décès réduit de 29% par rapport à ceux qui n’ont pas reçu de tocilizumab (HR, 0,71 ; IC à 95%, 0,56-0,92). Le taux de mortalité estimé à 30 jours est de 27,5% (IC à 95%, 21,2%-33,8%) chez les patients sous tocilizumab et de 37,1% (IC à 95%, 35,5%-38,7%) chez les patients non traités au tocilizumab (différence de risque, 9,6% ; IC à 95%, 3,1%-16,0%).

    Des malades pas assez sévères en Italie

    L’étude randomisée italienne a recruté des patients hospitalisés Covid+ qui avaient besoin d'oxygène via une canule nasale mais qui n'avaient pas d’indication à un passage en USI. Elle a été interrompue prématurément pour cause de futilité, du fait de l’absence d’amélioration des critères principaux (respiratoires).

    Le principal problème de cette étude est que la population étudiée ne correspond pas à la population qui a un orage cytokinique : la CRP moyenne est à 100 mg/L et il y a eu très peu de décès (mortalité globale de 2,4% à 30 jours), un taux de mortalité étonnamment faible pour une étude portant sur des patients hospitalisés pour une Covid-19 soi-disant grave. De plus, 14 des 60 patients randomisés dans groupe de traitement habituel ont finalement reçu du tocilizumab en raison d'une aggravation clinique secondaire.

    Un essai français remarquable

    L'essai prospectif randomisé français est sans conteste le plus intéressant car il s’agit d’un parfait exemple de réalisation d’un essai méthodologiquement strict en période de désorganisation des hôpitaux par une catastrophe pandémique. CORIMUNO-19-TOCI-1 est un essai randomisé bayésien qui a recruté des patients hospitalisés souffrant d'une pneumonie Covid-19 modérée ou sévère, ayant besoin d'oxygène, mais qui ne nécessitaient pas d'oxygène à haut débit par canule nasale, de ventilation non invasive ou de ventilation mécanique (score de 5 sur l'échelle de progression clinique de l'Organisation mondiale de la santé [OMS-CPS]). Une population avec un taux global de mortalité à 28 jours de 11,5%, plus représentative du syndrome hyper-inflammatoire (CRP moyenne à 120 mg/L).

    Au 14e jour, 24% des patients du groupe tocilizumab ont eu besoin d'une ventilation non invasive (VNI) ou d'une ventilation mécanique (VM) ou sont décédés par comparaison à 36% dans le groupe sans tocilizumab, soit une réduction de 42% (RR 0,58 ; 90% CrI, 0,33-1,00), atteignant le seuil d'efficacité prédéfini. Au 28e jour, 7 patients sont décédés dans le groupe tocilizumab et 8 dans le groupe contrôle (NS). Des effets indésirables graves sont survenus chez 20 (32%) patients du groupe tocilizumab vs 29 (43%) du groupe contrôle (P = 0,21).

    Réduction du risque d’aggravation

    De ces 3 études, il ressort que le tocilizumab est clairement efficace chez les malades Covid+ hospitalisés pour une forme hypoxémiante et avec un syndrome hyper-inflammatoire. Il faut en effet rappeler que nombre de formes très sévères de Covid-19 en réanimation sont des maladies immunologiques hyperinflammatoires proches d'un ARDS. Dans l’étude française, les malades sont très représentatifs de cet « orage cytokinique », avec CRP, ferritine et D-dimères très élevés. La réduction du risque de passage en réanimation justifie médicalement et économiquement l’utilisation de cette molécule chez ce type de malades.

    L’absence de réduction de la mortalité à 28 jours est normale dans une population de malades qui est susceptible de rester en réanimation jusqu’à 5 semaines, mais l’essai serait bien parti pour une diminution de la mortalité. Si cette réduction de la mortalité est confirmée dans la prochaine publication, elle sera cohérente avec les résultats de la large étude observationnelle américaine. Il semble que l’on puisse oublier l’étude italienne qui n’a concerné que des malades peu sévères avec un syndrome inflammatoire minime (CRP à 10 mg/L).

    Bien sélectionner les malades

    Dans les formes hypoxémiantes de la Covid-19, il y a donc une fenêtre d’opportunité pour un traitement anti-inflammatoire intense, par corticoïdes ou anti-IL6R, qui doit être appliqué ni trop tôt (majoration du risque infectieux), ni trop tard (lésions pulmonaires et systémiques trop prononcées) et surtout uniquement chez des malades qui ont un syndrome hyper-inflammatoire.

    La discussion doit donc porter surtout sur la définition de ce syndrome hyper-inflammatoire, car beaucoup de publication remettent en cause la réalité de l'orage cytokinique dans la Covid-19 (quel taux de CRP ? De fibrinogène ? De ferritine ? D'IL-6...), le délai de traitement et sur la stratégie corticoïde avec ou sans tocilizumab. L’équipe française teste cette association (essai CORIMUNI-Tocidex). En effet, la discussion est encore compliquée par la publication dans le New England Journal of Medicine d'une étude randomisée amiricaine qui ne retrouve pas de bénéfice.

    Il s'agit d'une étude randomisée en double aveugle, donc d'une validité supérieure, mais le problème est que si les malades ont bien une hypoxémie et un syndrome -inflammatoire (CRP à 110 mg/L), leur taux de mortalité est bas (5,6% et 4,9%) avec beaucoup d'obèses, une seule dose de tocilizumab et leur taux d'IL6 n'est pas très élevé comparativement à la CRP (?).

    Il reste encore de nombreuses zones d'ombre dans cette maladie, qui est probablement très hétérogène avec une composante d'endothélite importante, mais il faut remercier les chercheurs du groupe CORIMUNO d'avoir démontré qu'il était possible de lancer en urgence et de réaliser en France un essai clinique de qualité en période "de guerre". Ce que d'aucuns disaient impossible.

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