Accouchement

Expression abdominale : "J’avais l’impression d’exploser, c’était horrible"

Exercer une pression sur le ventre d’une future mère pour faciliter l’expulsion du bébé est déconseillé par la Haute Autorité de Santé depuis 2007. Pourtant, certaines femmes enceintes subissent encore une expression abdominale durant leur accouchement.

  • Par Geneviève Andrianaly
  • globalmoments/iStock
  • 25 Nov 2022
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    En 2011, douze heures après son arrivée à la maternité d’un hôpital à Étampes, Katy G., enceinte de 8 mois et deux semaines, est installée en salle d’accouchement. Une sage-femme et une assistante infirmière se placent de chaque côté de son lit. "Il faut commencer à pousser madame", s’exclame une des professionnelles de santé. La patiente s’exécute. Malgré ses multiples tentatives, son bébé ne parvient pas à progresser dans son bassin. Les praticiennes passent à l’action. "L’une d’entre elles tient mes jambes. L’autre grimpe sur un petit tabouret, détaille Katy G. Elle place ses deux mains sur le haut de mon ventre et appuie de toutes ses forces à plusieurs reprises. Je commence à me sentir mal et, soudainement, je vois plusieurs médecins débarquer dans la pièce". Ce geste que la quadragénaire peine à évoquer sans émotion porte le nom d’"expression abdominale".

    "Cette manœuvre a provoqué une déchirure de la vessie"

    Quatre ans plus tôt, la Haute Autorité de Santé (HAS) avait pourtant préconisé "l’abandon" de cette pratique supposée "raccourcir la durée de la deuxième phase de l’accouchement", car "l’expression abdominale est associée à différentes complications, notamment des déchirures du 3ème et du 4ème degrés et des ruptures utérines, ainsi que des dyspareunies et de l’incontinence urinaire à six mois de l’accouchement".

    Cet avis défavorable a été réitéré par l’autorité sanitaire en 2018 avec davantage de fermeté en recommandant de "ne pas recourir à l’expression abdominale pendant le travail ou l’expulsion." Cyril H., secrétaire général obstétrique du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) souligne un "rapport bénéfice/risque défavorable pour la maman." Katy G. l’a expérimenté à ses dépens : "Ces sages-femmes ont failli me tuer. Cette manœuvre a provoqué une déchirure de la vessie. J’ai dû porter une sonde urinaire pendant plusieurs jours", rapporte-t-elle aujourd’hui.

    L’expression abdominale, une "veille habitude" qui peine à disparaître

    Malgré ces mises en garde, une enquête menée par le Collectif Interassociatif Autour de la Naissance (CIANE), publiée en juin 2017, révèle que 13,6 % des femmes ont souffert de ce geste en 2016. En 2020, elles étaient encore 3 % à subir ce que les associations féministes, telles que Pour une M.E.U.F. (Pour une Médecine Engagée, Unie et Féministe) ou l’Institut de Recherches et d’Actions pour la Santé des Femmes (IRASF), qualifient de « violences obstétricales », « soit 25.000 accouchements sur 800.000 naissances », d’après une étude réalisée par le collectif Stop aux Violences Obstétricales & Gynécologiques (SVOG).

    "C’est une vieille habitude. Il faut un certain temps pour que les recommandations soient adoptées par l’ensemble de l’équipe médicale", précise Anne Évrard, co-présidente du CIANE. Le cas d’Aurélie S. en est le parfait exemple. La patiente a enduré une expression abdominale, le 16 décembre 2020, dans une clinique de Saint-Avold en Moselle. Onze heures après son admission à la maternité, une sage-femme lui demande de "pousser". Elle est épuisée. Ses efforts sont inefficaces. La praticienne décide d’appeler du renfort. "Un gynécologue, à la carrure imposante, est entré dans la pièce, se souvient la maman de 26 ans. Il a réalisé une épisiotomie sans mon consentement puis il a appuyé sur mon ventre, plus précisément en dessous de ma poitrine. Il ne m’a ni demandé mon accord, ni expliqué ce qu’il faisait. J’avais l’impression d’exploser, c’était horrible."

    Manque de personnel : ce geste pallie "les absences des gynécologues"

    Faute de vanter les mérites de ce geste, certains professionnels de santé l’assument. "Le but de l’expression abdominale est d’accompagner la femme enceinte durant les poussées pour éviter une expulsion trop longue ou d’avoir recours aux forceps, aux ventouses ou aux spatules. Je ne suis pas contre cette manœuvre, à condition qu’elle soit bien réalisée, car c’est une petite aide", explique la sage-femme libérale Florence B.G., prompte à rappeler qu’elle pratique de moins en moins ce geste.

    Une "aide" souvent sollicitée par les sages-femmes "pour pallier les absences des gynécologues-obstétriciens en salle d’accouchement", avance Caroline C., ancienne sage-femme et secrétaire générale adjointe de l’Organisation Nationale Syndicale des Sages-Femmes (ONSSF). Elle précise que ces situations peuvent se produire aussi bien dans "les petites maternités", c’est-à-dire dans les établissements de niveau 1, que dans les hôpitaux de niveau 3.

    "Quand le bébé présente une anomalie du rythme cardiaque et que le médecin n’est pas sur place ou est occupé par une autre urgence, telle qu’une césarienne, l’expression abdominale peut être un recours",
    corrobore Cyril H. Sandrine B., sage-femme dans un centre hospitalier de Lens, convient que "dans l’urgence, on met tout en œuvre pour accélérer l’accouchement et on est donc tenté d’appuyer sur le ventre de la maman." Pour Delphine M., sage-femme et membre de l’association Pour une M.E.U.F. : "Rien, pas même l’urgence, ne justifie cette manœuvre, dont l’efficacité n’a pas été prouvée."

    Une absence de contrôle et de sanctions

    Si de nombreux établissements de santé ont renoncé à cette méthode, constate la co-présidente du CIANE, Anne Évrard, ce geste est utilisé "encore trop fréquemment pour le qualifier d’exceptionnel". Problème, aucune mention n’est faite de l’expression abdominale dans le dossier médical des patientes, car "c’est une aide à l’expulsion", justifie Caroline C. "Ce geste fait partie des actes médicaux que l’on réalise durant l’accouchement mais que l’on ne stipule pas", confirme Florence B.G. Pourtant, la Haute Autorité de Santé indique que "si une expression abdominale est pratiquée malgré les recommandations, elle doit être notée dans le dossier médical de la patiente par la personne en charge de l’accouchement, en précisant le contexte, les modalités de réalisation et les difficultés éventuellement rencontrées".

    Traumatisée par son accouchement, Katy Gozal a un temps envisagé une action en justice mais le manque de preuves l’a rapidement découragée. "À l’époque, les sages-femmes m’avaient conseillé de ne pas porter plainte car l’hôpital aurait gagné le procès", se rappelle-t-elle en feuilletant son dossier médical. Sonia Bisch, porte-parole du collectif Stop aux Violences Obstétricales & Gynécologiques, confirme que la parole des victimes d’expressions abdominales n’est jamais prise en considération. "En général, les femmes qui intentent des procès perdent toujours car l’établissement de santé déclare que la manœuvre pratiquée était un massage permettant de remettre le placenta en place", s’indigne-t-elle. Selon la juriste, Marie-Hélène Lahaye, "aucune plainte n’a abouti jusqu’à maintenant, car il y a un vide juridique. Il faut trouver une qualification juridique pour que ce geste soit pris en compte et créer une loi plus large sur les violences obstétricales.""L’autorité sanitaire publie des recommandations mais aucun contrôle sur la bientraitance n’est réalisé", ajoute Sonia Bisch. Le CIANE et le SVOG déplorent la culture du non-dit du corps médical. "Lorsque certains praticiens dénoncent leurs collègues, ces derniers ne sont jamais sanctionnés", blâme Sonia Bisch.

    Expression abdominale : "elles m’ont conseillé de faire semblant de la réaliser"

    Marine D.J., étudiante en quatrième année de maïeutique à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, espère que la nouvelle génération de sages-femmes viendra à bout de cette pratique. "Heureusement, l’expression abdominale n’est plus enseignée à l’école. Les professeurs nous répètent souvent que ce geste est 'interdit' car il est dangereux et inutile. Dans les situations qui nécessitent d’accélérer l’accouchement, ils nous recommandent d’attendre l’arrivée du gynécologue-obstétricien, qui lui seul, peut utiliser une extraction instrumentale", développe-t-elle.

    Si la jeune femme de 22 ans n’a jamais vu un professionnel de santé pratiquer ce geste durant son stage, elle sait que certains gynécologues-obstétriciens invitent parfois des sages-femmes à le réaliser. L’étudiante évoque un échange qu’elle a eu avec des collègues durant l’une de ses gardes à l’hôpital : "Elles m’ont conseillé de tout simplement refuser d’effectuer une expression abdominale ou de 'faire semblant' de la réaliser."

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