Médecine générale
Pénuries de médicament : une action législative ambitieuse est indispensable
Les pénuries de médicament ne cessent d’augmenter, en France comme dans d’autres pays, et la relocalisation de la production n’est pas la seule solution. Une politique plus ambitieuse est nécessaire.
- MJ_Prototype/istock
Peu fréquentes il y a une dizaine d’années, les pénuries de médicaments se multiplient, et pas seulement pendant la Covid-19. Certains tiroirs sont vides dans les pharmacies françaises. Selon le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, environ 4.000 médicaments sont en rupture ou à risque de rupture en 2023 en France. Ces pénuries concerneraient les médicaments contre les antibiotiques, les corticoïdes, les antidiabétique, les antihypertenseurs, les antalgiques et même les anti-cancéreux.
Initialement, ces ruptures d’approvisionnement étaient attribuées à la seule délocalisation de la fabrication de ces médicaments en Inde et en Chine. Une malfaçon du principe actif, ou de ce qui servait à le fabriquer, pouvant être à l’origine d’une pénurie qui était d’autant plus grave et prolongée que le laboratoire en cause en était le seul ou l’un des deux producteurs mondiaux. C’est un élément majeur du problème mais cela ne semble pas être le seul et les pénuries ne seraient donc pas solutionnées par la seule relocalisation de la production.
Une fragilité endogène du circuit des génériques
Un nouvel article du New York Times témoigne, d’une part, de ce que les ruptures dans la chaine d’approvisionnement des médicaments ne concernent pas que la France, le fléau ne faisant que croitre aux États-Unis où la relocalisation est pourtant bien avancée.
Mais surtout, l’originalité de l’article est qu’il soulève une nouvelle cause à ce problème croissant de rupture : ce serait lié à la « fragilité du circuit des génériques ». Cette fragilité serait liée à une incapacité plus ou moins prolongée de production des laboratoires pharmaceutiques, ou des sous-traitants à qui ils ont confié cette tâche, parce qu’ils sont médiocrement intéressés à la fabrication de médicaments à faible rentabilité.
De nombreux Américains se sont ainsi vus contraints de souffrir de pénuries de leur médicament parce que les chaînes d'approvisionnement américaines en médicaments génériques restent vulnérables à l'effondrement, alors même que ceux-ci sont désormais fabriqués aux USA. Tout problème de fabrication, toute inadéquation entre l'offre et la demande, tout arrêt de production, ou toute catastrophe naturelle, peut entraîner une pénurie majeure.
Un problème croissant depuis les années 2000
Des pénuries se produisent régulièrement depuis le début des années 2000 aux États-Unis, comme en France. Des centaines de médicaments, dans toutes les grandes catégories thérapeutiques, ont été indisponibles un certain temps. La durée moyenne d'une pénurie de médicaments serait d'environ 1,5 an aux USA. Même lorsque des médicaments de substitution sont disponibles, ils peuvent être sous-optimaux ou avoir des effets de débordement, tels que l'augmentation possible du risque de résistance aux antibiotiques.
Il est frustrant de constater que cette crise dure depuis des décennies malgré une véritable montagne d'études, dont des centaines de recherches universitaires, de nombreux rapports parlementaires et des alertes annuelles du Syndicat des Pharmaciens ou de la Food and Drug Administration, de part et d’autre de l’Atlantique. D’autant, qu’en plus de léser les patients, les pénuries auraient coûté aux systèmes de santé des milliards d’euros ou de dollars en main-d'œuvre supplémentaire et en médicaments de substitution.
Le facteur aggravant des achats de panique
Aux États-Unis comme en France, lorsqu'il existe un risque de pénurie, les fabricants de médicaments sont tenus d'en informer les autorités de santé. au moins six mois à l'avance ou dès que possible si le délai est plus court. Dès qu'elles en sont informées, les autorités de santé sont censées identifier et promouvoir d'autres sources de production de médicaments, voire aux USA, la FDA peut temporairement abaisser les normes de qualité afin que les médicaments puissent être disponibles plus rapidement. Mais les autorités de santé ne peuvent pas exiger des fabricants qu'ils produisent des médicaments.
Autre problème aux États-Unis, les grandes chaînes d'hôpitaux peuvent facilement surveiller les risques de pénurie et passer des commandes importantes à titre préventif. Ces « achats de panique » peuvent néanmoins anéantir les stocks et faire souffrir les autres hôpitaux de plus petite taille qui n'ont que peu de réserves et ne sont informés d'une pénurie de médicaments que lorsqu’elle est là.
Ces commandes excessives sont peu pénalisantes pour les grands groupes puisque les médicaments inutilisés peuvent souvent être retournés sans frais, mais très pénalisantes pour les autres puisqu’elles ont provoqué des pénuries de 2 anticancéreux majeurs, le carboplatine et le cisplatine l'année dernière aux USA, suite à une inspection de la FDA qui a révélé de mauvaises pratiques de fabrication dans une usine produisant ces médicaments anticancéreux. Le fabricant a rapidement arrêté la production de l'usine mais, bien qu'il existait d'autres fabricants, les achats de panique ont entraîné une augmentation considérable des commandes, qui a aggravé la crise.
Un système des médicaments génériques fragiles
Le problème, d’après l’article du New York Times, est que le système des médicaments génériques est conçu pour être fragile. La concurrence féroce, organisée par les systèmes de santé vis-à-vis des fabricants pour obtenir les prix les plus bas, conduit à une course vers le bas des normes minimales acceptées, y compris un manque d'investissement dans les systèmes de qualité et une redondance limitée.
La FDA applique des normes de qualité strictes, mais son champ d'action est limité et elle est contrainte de faire preuve de souplesse chaque fois qu'il y a un risque de pénurie alors même que les prestataires de soins de santé et les organisations d'achat groupé qui négocient des contrats en leur nom ne sont généralement pas disposés à payer davantage pour des chaînes de production de meilleure qualité ou à dépenser de l'argent pour conserver des stocks tampons adéquats.
Des changements structurels sont nécessaires
L’article est au final un plaidoyer en faveur de changements structurels et de plus d’investissements dans le circuit du générique. Si toutes les industries sont contraintes à construire des chaînes d'approvisionnement résilientes, l'industrie pharmaceutique est unique de ce point de vue. Les patients, qui sont les plus touchées par les vulnérabilités de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, sont aussi ceux qui n’ont pas le choix et la possibilité de s'approvisionner auprès de fabricants plus fiables, à la différence des autres industries comme l’automobile où il est possible de s’appuyer sur la réputation de l'entreprise, les évaluations de testeurs externes et les avis d'autres clients.
L'action législative est le seul véritable moyen de garantir la disponibilité des médicaments génériques essentiels. Après 20 ans de pénuries de médicaments, il semble évident que les marchés seuls ne sont pas la solution.
Trois leviers d’actions seraient à envisager
L’auteur de l’article, qui est professeur d’ingénierie industrielle à l’Université de Clemson, poursuit en énonçant les leviers spécifiques par lesquels les pouvoirs publics devraient s'attaquer aux pénuries de médicaments.
Le premier lévier consisterait à garantir une meilleure qualité de fabrication des médicaments génériques via la modernisation des usines de fabrication pour les rendre plus fiables. Le deuxième moyen consiste à améliorer la capacité d'adaptation de la fabrication de ces médicaments : les fabricants de génériques devraient être en mesure de passer rapidement d’une fabrication d’un générique à l’autre, et d'augmenter rapidement la production en cas d'augmentation inattendue de la demande.
Le troisième point essentiel est de maintenir un stock tampon de médicaments essentiels réservé aux malades à risque. Le fait de disposer de stocks à allouer aux personnes qui en ont le plus besoin en cas de pénurie donnerait au système le temps de s'adapter aux ruptures d'approvisionnement ou aux hausses de la demande pour les autres malades.
Une politique globale de la qualité
Pour véritablement endiguer les pénuries de médicaments d’après l’article du New York Times, il serait nécessaire de mettre en place des politiques qui s'attaquent simultanément à ces trois domaines, et non pas seulement à l’un d'entre eux, comme la relocalisation. Elles pourraient être mises en œuvre en imposant des obligations aux fabricants de médicaments essentiels ou en incitant les systèmes de santé à s'approvisionner auprès de fabricants plus fiables.
L'augmentation de la production nationale, qui fait partie des mesures préconisées par l'administration Biden comme du gouvernement Macron, n'est donc pas la panacée. Les usines doivent également être de meilleure qualité et disposer d'une capacité de secours dans d'autres localisations. Une plus grande transparence sur la qualité des installations de production de médicaments génériques pourrait également aider les parties prenantes à déterminer des prix à même de permettre la disparition de ces accidents de production et identifier plus rapidement les potentiels problèmes de la chaîne d'approvisionnement.