Rhumatologie
Maladies auto-immunes : le SARS-CoV-2 serait également impliqué
Au même titre que d’autres infections virales, le SARS-CoV-2 serait capable de déclencher l’apparition d’une maladie auto-immune chronique en post-infection. Trois études de cohortes sont d’accord sur le sujet, même si le risque reste relativement faible en pratique clinique.
- mohd izzuan/istock
Au bout de 3 ans d’infection par la Covid-19 et 20 millions de morts, il y a eu des avancées scientifiques fantastiques, comme les vaccins à ARNm, une meilleure compréhension de la pathogénie des maladies auto-inflammatoires aiguës, comme le syndrome inflammatoire multisystémique des enfants, mais il reste de nombreuses interrogations sur celle du Covid-Long dont on ne sait pas s’il s’agit d’un dérèglement immunitaire.
La question reste également ouverte de savoir si l’infection par un virus comme le SARS-CoV-2 serait capable de déclencher une maladie auto-immune chronique. Trois études observationnelles qui ont examiné rétrospectivement et comparativement les dossiers médicaux de malades et de non-malades de la Covid-19 dans trois pays montrent que cela pourrait être le cas : les patients qui ont été infectés par le SARS-CoV-2 auraient un risque plus élevé de développer une maladie auto-immune chronique par rapport à ceux chez qui le virus n'a jamais été diagnostiqué. La revue Medscape a fait une analyse intéressante de ces études en les mettant en perspective avec des interviews d’experts pertinents.
Trois études cohérentes
Une étude américaine a analysé les dossiers médicaux de 3,8 millions de patients dont plus de 888 460 avec une infection confirmée par la Covid-19, et montre que le groupe de personnes Covid-19 serait deux à trois fois plus à risque de développer diverses maladies auto-immunes, telles que la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux disséminé et la sclérodermie systémique.
Une étude britannique en pre-print, portant sur plus de 458 000 personnes atteintes d'une Covid-19 confirmée, révèle que celles qui avaient été infectées précédemment par le SARS-CoV-2 seraient 22% plus à risque de développer une maladie auto-immune par rapport au groupe non-infecté. Dans cette cohorte, les affections auto-immunes chroniques les plus fortement associées à la Covid-19 seraient le diabète de type 1, les maladies inflammatoires du colon et de l'intestin (MICI) et le psoriasis.
Une étude allemande en pre-print révèle que les patients atteints de la Covid-19 seraient près de 43% plus à risque de développer une maladie auto-immune, par rapport à ceux qui n’ont jamais été infectés. Le lien entre la Covid-19 et la vascularite serait le plus fort.
Mieux comprendre ces phénomènes
Dans une série d’interviews réalisée par Medscape, différents experts s’attachent à souligner que si cette réalité de maladie auto-immunes associées à la Covid-19 est désormais avérée, ce n'est pas la première fois que celles-ci sont liées à des infections préalables.
On sait depuis longtemps, par exemple, que l'infection par le virus d'Epstein-Barr est liée à plusieurs maladies auto-immunes, notamment le lupus érythémateux disséminé, la sclérose en plaques et la polyarthrite rhumatoïde. Des études plus récentes suggèrent que ce virus pourrait même activer certains gènes associés à ces troubles immunitaires. Le virus de l'hépatite C peut lui induire une cryoglobulinémie, et l'infection par le cytomégalovirus a été impliquée dans plusieurs maladies auto-immunes. Il en est de même pour certaines bactéries (Streptocoque, salmonelle).
Cette situation n’est donc pas complètement nouvelle pour les immunologistes, les internistes et les rhumatologues, car « la frontière est mince entre l'élimination appropriée d'une infection et une réaction excessive de l'organisme qui déclenche une cascade d'hyperactivité chronique du système immunitaire pouvant se manifester sous la forme d'une maladie auto-immune », a déclaré à Medscape le Professeur Jeffrey A. Sparks, rhumatologue à l'hôpital Brigham and Women's de Boston.
Une dysrégulation du système immunitaire
Normalement, en cas de nouvelle infection, il faut une semaine ou deux au système immunitaire pour développer des anticorps spécifiques à un nouvel agent pathogène. Mais pour les patients atteints d'infections graves, dans le cas présent la Covid-19, c'est un temps dont ils ne disposent pas. C'est pourquoi le système immunitaire peut mettre en œuvre rapidement une voie alternative, appelée « activation extra-folliculaire », qui crée des anticorps à action rapide, a expliqué à Medscape Matthew Woodruff, docteur en immunologie et rhumatologie à la faculté de médecine de l'université Emory, à Atlanta. L’inconvénient, c’est que ces anticorps ne sont pas aussi spécifiques et qu’ils peuvent cibler les propres tissus de l'organisme.
Cette dysrégulation de la sélection des anticorps est généralement transitoire et de courte durée : elle s'estompe lorsque des anticorps plus spécifiques de l’agent infectieux sont produits et prennent le relais. Mais dans certains cas, ce processus peut conduire à la persistance de niveaux élevés d'auto-anticorps qui pourraient être responsables de lésions de certains organes et tissus de l'organisme.
Des études suggèrent même que, chez les patients qui ont un Covid long, ces mêmes auto-anticorps à l'origine de la réponse dysimmunitaire initiale seraient détectables dans l'organisme des mois après l'infection, bien que l'on ne sache pas si ces symptômes prolongés sont liés à la persistance de cellules immunitaires auto-réactives.
Un problème en cas d’auto-réactivité préexistante
L’hyperinflammation aiguë observée dans certaines formes graves de la Covid-19 peut entraîner des complications rares mais graves, telles que le syndrome inflammatoire multisystémique chez les enfants, qui peut survenir 2 à 6 semaines après l'infection par le SARS-CoV-2. Mais même chez ces patients atteints d'une forme grave de cette maladie, les complications spécifiques d’organes tendent à se résorber en six mois et ne laissent pas de séquelles importantes un an après le diagnostic. Et bien que les symptômes du Covid long puisse durer un an ou plus, les données suggèrent que les symptômes finissent également par disparaître pour la plupart des personnes. Ce qui n'est pas clair, c'est donc pourquoi l'auto-immunité aiguë déclenchée par la Covid-19 peut devenir une maladie auto-immune chronique chez certains malades.
Le Pr P. J. Utz, professeur d'immunologie et de rhumatologie à l'université de Stanford, a expliqué à Medscape que les personnes qui développent une maladie auto-immune après une infection par le SARS-CoV-2 pourraient être celles qui sont déjà prédisposées à l'auto-immunité. Dans le cas des maladies auto-immunes telles que le diabète de type 1 et le lupus, des auto-anticorps peuvent en effet apparaître et circuler dans l'organisme plus de dix ans chez certaines personnes avant que celles-ci n’expriment des symptômes de ces maladies. « Leur système immunitaire est "préparé" de telle sorte que s'ils sont infectés par quelque chose ou s'ils ont un autre déclencheur environnemental que nous ne connaissons peut-être pas encore, cela suffit à les pousser à bout pour qu'ils développent une auto-immunité à part entière », a-t-il déclaré.
À l’heure actuelle, cependant, impossible de dire si les dysfonctionnements auto-immuns de ces patients auraient évolué inéluctablement vers une véritable maladie clinique s'ils n'avaient pas été infectés. En effet, la présence d’auto-anticorps sans symptômes clinico-biologiques, même de façon prolongée, ne signe en rien le développement de la maladie auto-immune correspondante.
En pratique quotidienne, le risque de maladie auto-immune chronique après une infection par la Covid-19 est donc réel mais reste très faible d’après es experts interviewés : les malades ainsi déclenchés ne risquent pas de submerger les praticiens qui s’occupent de ces maladies.