Témoignage patient
Dépression sévère : “Je commençais à devenir l’ombre de moi-même”
En novembre 2016, Sandrine sombre dans une sévère dépression. Descente aux enfers, séjours en hôpital psychiatrique, traitement par électrochocs… voici son témoignage.
“Au départ, je venais à l’école avec un peu moins d’entrain. Puis la fatigue s’est installée, la tristesse, la boule au ventre… et finalement, je pleurais à chaque fois que j’allais au travail, jusqu’au jour où ce fut impossible pour moi de sortir de la voiture. Là, je me suis rendu compte que quelque chose s'était cassé”, se remémore avec précision Sandrine, aujourd’hui âgée de 43 ans. C’est la fin de l’année 2016 et l’enseignante, qui se donnait de tout son être pour ses élèves, perd pied.
Dépression : une interaction complexe entre vies professionnelle et personnelle
“J’ai toujours voulu être enseignante ! J’étais pleine d’énergie, de bonnes volontés, j’avais envie de tout révolutionner, de sauver tous les élèves… j’avais envie qu’ils arrivent et repartent avec le sourire. Et le souci est que je ne me satisfaisais pas de ce que je faisais. J’avais toujours envie de faire plus et mieux et je pense m’être petit à petit épuisée.” Et pour cause, Sandrine commence, comme de nombreux professeurs nouvellement diplômés, dans des zones d’enseignement très difficiles. “Mon côté utopiste et très naïf s’est un peu écroulé au fil des années, notamment parce que la violence s’est immiscée au fur et à mesure dans l’école, et ce, entre les élèves, avec les parents, et parfois entre les collègues”, déplore-t-elle. “Toutes mes croyances se sont cassées la figure, j’ai réalisé que malgré ma bonne volonté, je ne pourrai pas lutter toute seule…”
Côté personnel, Sandrine enchaîne également les déceptions. Son premier mariage se solde par un échec à peine quatre mois après la naissance de son premier enfant. “Là aussi, je me suis donnée à fond. J’ai essayé de tout faire pour que mon fils sente le moins possible cette absence paternelle. Je m’étais donnée pour mission d’être une mère parfaite…” Nouvelle rencontre, second enfant, et cette fois, c’est l’ex-compagne de son nouveau conjoint qui bouscule le quotidien de la famille recomposée. Une grave dispute éclate un jour. “Elle s’est énervée et a voulu me frapper. Cette fois, mon énergie et ma colère sont ressorties. Je ne me suis pas laissée faire, mais ça a été le début de la fin. Cet événement a mis fin à ma joie de vivre personnelle.”
“Je ne pouvais quasiment plus bouger mon corps comme je le voulais”
C’est finalement sur le parking de l’école, par un matin automnale, que la mère de famille craque. “Après l’épisode de la voiture, je ne pouvais quasiment plus bouger mon corps comme je le voulais. Et là, c’est aller très vite.” Son médecin généraliste la met en arrêt et l’oriente vers un psychiatre. “Il m’a prescrit un traitement un peu plus lourd que ce que je prenais déjà. À ce moment-là, je commençais à devenir l’ombre de moi-même. Mon monde se résumait au mot “rien” : je n’avais plus envie de rien, je ne me préoccupais plus de rien, plus rien n’avait de sens, je ne comprenais pas pourquoi on s’amusait, pourquoi on fêtait un anniversaire… je ne comprenais plus rien et mon entourage a eu beaucoup de mal à comprendre ça aussi.”
3 séjours en clinique psychiatrique pour traiter la dépression sévère
L’état de Sandrine continue de se dégrader jusqu’à ce que son psychiatre lui annonce au printemps 2017 qu’elle doit entrer en clinique psychiatrique. “C’est important de nous mettre en dehors du quotidien qui peut nous peser. J’y suis restée trois mois car on a essayé différents traitements et que j’avais de nombreux effets secondaires.” À la sortie de cette première hospitalisation, la mère de famille est de nouveau suivie par son psychiatre mais ça ne va pas mieux : son quotidien est une sorte de “survie personnelle”, confie-t-elle. Et moins d’un an après, Sandrine réintègre l’unité psychiatrique. “Cette fois-ci, j’avais en plus des perfusions de tranquillisants le matin. C’était le seul moment où je me sentais bien car mon cerveau était au repos.” Son séjour dure deux mois. Elle ressort avec moins de médicaments, mais son état ne s’améliore pas.
Pendant des semaines, la mère de famille ressent une intense sensation de vide qui se creuse en elle. “Il y avait du monde autour de moi mais je me sentais seule, je n’avais plus d’intérêt pour rien, pour ce qu’il se passait autour de moi. J’essayais tous les jours de me lever, de m’habiller, car je ne voulais pas montrer une image trop dégradée de moi-même à mes enfants. Mais c’était difficile pour eux car même si j’essayais de me forcer et de faire comme si tout était normal, mes enfants ont senti que ça n’allait pas. C’était difficile aussi pour mon entourage qui a dû subir ça. Ils me disaient que j’étais inexpressive, que je ne communiquais pas, qu’ils ne savaient pas si j’écoutais quand ils me parlaient… À la différence d’un petit coup de mou où on se dit que demain va aller mieux, il n’y a pas d’avenir. L’avenir c’est l’instant présent : comment vais-je terminer ma journée ?”
Des électrochocs pour stimuler la transmission de sérotonine dans le cerveau
Finalement, Sandrine décide de tenter le tout pour le tout et entre dans une clinique pour suivre une sismothérapie, ou électroconvulsivothérapie, un traitement de la dépression sévère par électrochocs. Cela consiste à délivrer un courant électrique au cerveau grâce à des électrodes placées sur le cuir chevelu, produisant une crise convulsive de courte durée. “L’image peut être un peu frappante pour certains, mais ce n’est plus comme avant, et ce n’est pas comme dans les films qu’on regarde. On est sous anesthésie générale. Les électrochocs ont pour but de bousculer l’hormone de l’humeur, la sérotonine, ce que ne font pas les médicaments. J’avais douze séances à faire en clinique, à raison de trois par semaine, le tout pendant quatre semaines. Les effets secondaires étaient difficiles à vivre, car j’avais des pertes de mémoire à court et à long terme.”
“Je suis sortie après les douze séances et ensuite je suis revenue pour une treizième séance deux semaines après. Je devais en avoir d’autres ensuite pour arriver à 18 séances mais je me suis arrêtée là car je n’arrivais plus à supporter les pertes de mémoire, les difficultés de concentration, et je n’avais plus la force ni le courage de retourner à la clinique”, nous livre-t-elle.
Quand bien même, cette dernière hospitalisation marque le début d’un renouveau pour la quadragénaire. “C’est cette hospitalisation là qui m’a vraiment aidé. On a diminué énormément les médicaments, j’ai commencé à aller un peu mieux, j’ai repris le dessus, mon cerveau a été plus actif… J’ai également commencé à travailler deux après-midi dans un secrétariat de lycée, où je faisais que des tâches administratives. Et aujourd'hui, j'ai enfin fait le deuil de me dire que je ne pourrai plus jamais enseigner alors que mon métier était toute ma vie.”
Sandrine s’est ensuite tournée vers l’écriture pour poser des mots sur ses maux. Pour extérioriser et laisser une trace de ce qu’elle avait pu ressentir pendant cette dépression. “La dépression est une maladie, et pourtant je me suis longtemps culpabilisée en me disant que c’était de ma faute. Finalement, quand je me demande qu’est ce que j’aurais pu faire autrement je n’ai pas de réponse. Alors aujourd’hui encore, je travaille sur cette déculpabilisation.”
@pourquoidocteur Sandrine Bezard a été professeur des écoles pendant 15 ans, avant de faire une dépression sévère. Voici son témoignage. #depression #santementale #sismotherapie #temoignage ♬ son original - pourquoidocteur