Interview de la semaine
Algie vasculaire de la face : “Les pires douleurs de toutes les maladies”
Isabelle Schaal a 47 ans et souffre, depuis 10 ans, d’algie vasculaire de la face (AVF) chronique, également surnommée la maladie du suicide. Depuis deux ans, elle a réussi à se débarrasser des douleurs atroces qu’entraîne cette pathologie neurologique, dont souffrent entre 100 et 150 000 personnes en France, grâce à un traitement révolutionnaire par anticorps monoclonaux. Mais ce médicament, disponible en France depuis fin mars seulement, n’est pas remboursé par l’Assurance maladie. Cette patiente se bat pour faire reconnaître la maladie et pour que ce traitement soit pris en charge.
- Pourquoi Docteur - De quoi souffrez-vous ?
Isabelle Schaal - Je souffre d’algie vasculaire de la face (AVF). C’est une maladie neurologique qui se caractérise sous deux formes : épisodique et chronique. Lorsque l’on en est atteint de sa forme épisodique, on subit des salves de crises localisées sur une période précise de l’année et qui disparaissent le reste du temps. Sous sa forme chronique, dont je souffre, c’est tout le temps. La maladie ne vous lâche jamais. C’est tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, toute l’année.
En plus de la douleur, la maladie est très invalidante et coupe les liens sociaux, familiaux à tous les niveaux. Avoir un fou rire déclenche une crise. Pleurer déclenche une crise. Manger trop épicé, le vent, le bruit… tout est susceptible de provoquer une crise. On ne peut rien prévoir parce que l’on ne sait pas quand les crises vont arriver. Petit à petit, les malades se replient sur eux-mêmes. On en vient à ne plus rien faire.
- Comment se caractérise une crise ?
- Lorsque l’on a une crise, il y a une douleur qui part de l’arrière du crâne et qui encercle le crâne en casque, c’est-à-dire qui englobe l’intégralité du crâne en partant de l’arrière pour arriver au niveau du visage et de la cavité de l’œil. La douleur est de pire en pire. Quand elle atteint l’œil, ce n’est pas supportable. L’œil brûle, pleure. Un œdème peut apparaître et gonfler chez certains. Après, la douleur descend vers la cloison nasale et la mâchoire. Ce ne sont pas des douleurs humaines. C’est reconnu comme étant la maladie qui occasionne les pires douleurs de toutes les maladies.
Pour moi, ces souffrances, c’est tous les jours et toutes les nuits. J’ai peut-être une heure ou 45 minutes de répit entre deux crises. Pour les arrêter, je fais une injection de vasoconstriction qui est un stop crise et est efficace en seulement quelques minutes. Le problème, c’est que ce traitement est très puissant et peut entraîner des risques cardiaques donc les injections sont limitées à deux par jour.
- Quelle est la cause de cette maladie ?
- Il y a une possibilité génétique mais je ne pense pas que ce soit le cas. Ce qui est certain c’est qu’il y a un dysfonctionnement dans une région dans le cerveau, l'hypothalamus, qui est à l’origine de la maladie.
- Comment l’AVF s’est déclenchée chez vous ?
- Avec le recul, je pense en souffrir depuis mes 20 ans. À ce moment-là, je souffrais de sa forme épisodique. Je ne m’en suis jamais trop préoccupé. À partir de 2010, je suis passé à une forme chronique et c’est devenu très difficile à supporter.
- Le diagnostic a-t-il été simple à poser ?
- J’ai eu des années d’errances médicales où j’ai consulté je ne sais combien de neurologues et subi énormément d’examens. Le problème, c’est que cette maladie est indétectable à l’imagerie. Avant d’être correctement pris en charge, il y a en moyenne entre 5 et 7 années d’errance. Certains neurologues sont parfaitement au fait de cette maladie tandis que d’autres ne la connaissent pas.
- Comment se traite-t-elle ?
- Elle est traitée de multiples façons. Le traitement de base c’est le Vérapamil et l’Isoptine, son générique. Ces deux traitements sont prescrits en première intention mais ils sont utilisés à la base pour traiter de problèmes cardiaques. Des essais ont montré qu’ils agissent également pour l’AVF. Après, il y a une quantité faramineuse d’autres médicaments. Des opérations sont également proposées comme l'implantation neuro occipitale. C’est un boitier avec des fils qui vont vers l'hypothalamus et envoient des décharges électriques. Personnellement, j’ai tout essayé sauf l’opération parce que je n’y étais pas éligible à cause d’une lourde opération du crâne.
Il n’y a aucun traitement qui soigne la maladie. Quand on a la maladie, c’est à vie. Ces traitements, notamment de fond, cherchent à stabiliser et réduire l’intensité et la fréquence des crises. Il y a également des traitements d’aide comme l’oxygénothérapie car inhaler de l’oxygène aide à faire passer les crises.
- Il existe des traitements par anticorps monoclonaux qui semblent marcher, dont un qui est disponible depuis mars dernier. Sont-ils réellement plus efficaces ?
- C’est simple. Depuis 2019, je prends un traitement par anticorps monoclonaux et je n’ai, depuis ce moment-là, plus d’AVF. Ça a sauvé ma vie. Je suis allé au bout de tous les traitements en France et je me demandais sérieusement comment j’allais survivre. Je n’étais jamais tranquille. Je ne voyais plus de solution. C’est en faisant des recherches sur internet que j’ai découvert ces traitements qui ont initialement été créés pour soigner la migraine chronique réfractaire. Il en existe trois : l’Aimovig, l’Emgality et l’Ajovy. Ils ont tous une autorisation de mise sur le marché français depuis 2018. Jusqu’au 22 mars dernier, date où l’Emgality a été commercialisé pour la première fois, il n’y avait pas moyen de s’en procurer en France. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai cherché un neurologue qui soit ouvert à ces traitements pour qu’il me fasse une ordonnance afin que je puisse m’en procurer dans un pays voisin. Depuis, je vais le chercher en Suisse. Cela me coûte 560 euros pour une seule dose qu’il faut renouveler tous les 28 jours. J’ai injecté l’Aimovig et 4 jours après, les crises se sont arrêtées d’un coup. C’était la première fois de ma vie.
- Vous avez lancé une pétition qui avoisine les 70 000 signatures. Quel est son objectif ?
- Il nous faut 100 000 signatures pour interpeller le Sénat. C’est l’objectif. Le 1er janvier 2021, j’ai lu que la France ne commercialiserait pas les anticorps monoclonaux. Le lendemain, j’ai écrit au ministre de la Santé, Olivier Véran, qui, en plus, est neurologue. Dans la foulée j’ai lancé une pétition où j’explique que ce n’était pas possible. Nous sommes la cinquième puissance mondiale, on se targue d’avoir l’un voire le meilleur système de santé au monde mais pourtant les anticorps monoclonaux ne sont pas disponibles alors qu’ils le sont dans tous les autres pays européens ! La Suisse, par exemple, le rembourse à 100% depuis 2 ans. Le décalage est inadmissible. En France, bien que depuis fin mars dernier il y en ait un disponible, ce n’est pas remboursé. Cela coûte 245 euros pour une seule dose qui doit être renouvelée tous les mois.
- Y a-t-il des effets secondaires avec les traitements par anticorps monoclonaux ?
- Les anticorps monoclonaux commencent par déclencher les crises donc il faut tenir bon. Pendant les quatre jours qui ont suivi l’injection, j’ai eu plus de crises qu’avant. Pendant 15 mois, les 4 jours post injection ont été atroces mais je m’en fichais parce qu’après j’avais 20 jours de répit. Aujourd’hui, je n’ai plus rien du tout. J’ai encore de la fatigue le lendemain de l’injection mais mon corps a assimilé les anticorps et y répond bien.
Tous les autres médicaments ont des effets désastreux. On devient dépressif, un zombie, on fait de la tension. Les autres effets des anticorps monoclonaux c’est une constipation chronique mais ce n’est rien par rapport aux autres. C’est miraculeux.