Neurologie
Sclérose en plaques : une signature d’autoanticorps prédictive
La sclérose en plaques (SEP) se démarque d’autres maladies neuro-inflammatoires par l’absence d’autoanticorps servant de marqueur diagnostic. Une étude de l’université californienne de San Francisco parue dans Nature Medicine en avril 2024 a identifié un profil d’auto-anticorps spécifique, appelé « signature », présente chez environ 10 % des patients atteints de SEP des années avant l'apparition des symptômes cliniques (Zamecnik et al., 2024). Cette découverte renforce la théorie selon laquelle l’auto-immunité qui sous-tend la SEP démarre bien avant la déclaration clinique de la maladie.
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La sclérose en plaques (SEP) est une maladie auto-immune caractérisée par une démyélinisation du système nerveux central. Des lésions chroniques sont souvent déjà présentes au moment de la première poussée, ou peuvent être découvertes fortuitement sans que le patient n’ait été préalablement symptomatique, ce qui correspond au syndrome radiologique isolé (Lebrun-Frenay et al., 2023). Cette population est plus sujette à des symptômes non-localisateurs et dits prodromaux (fatique, céphalées, anxiété, dépression,…) (Makhani and Tremlett, 2021).
Ce phénomène et l’élévation antérieure à la déclaration clinique de marqueurs de dégénérescence neuroaxonale tels que la chaîne légère du neurofilament sérique (sNfL), suggèrent l’existence d’une longue phase infraclinique de la SEP. Bien que les lymphocytes B jouent un rôle clé dans sa physiopathologie, aucun auto-anticorps prédictif ou diagnostique ne sert de marqueur en pratique clinique. L’identification d’un tel marqueur demanderait des cohortes de population générale saine suivies jusqu’à l’incidence de la SEP. Cette étude a utilisé une biobanque de l’armée américaine pour identifier des auto-anticorps présents chez les soldats qui ont déclaré plus tard une SEP.
Une biobanque sur plus de 10 millions de personnes
La biobanque du ministère de la défense américaine est une cohorte de plus de 10 millions de personnes contenant 250 patients qui avaient des sérums stockés datant de plusieurs années avant et après avoir déclaré une SEP (en moyenne : 5 ans avant et 1 an après). Ils furent comparés à 250 patients contrôles appariés sur l’âge, le sexe, l’ancestralité et l’année de prélèvement. Les résultats de ce jeu de découverte furent validés dans la cohorte ORIGINS de l’université de Californie San Francisco, comprenant 103 patients inclus juste après leurs première poussée (sérum et liquide céphalo-rachidien ; LCR) ainsi que 23 contrôles qui se sont avérés être des diagnostics différentiels au terme du bilan.
Les jeux de découverte et de validation eurent un dosage du sNfL par la technique ultrasensible SIMOA. Plutôt qu’utiliser un panel de tests sérologiques, le profilage du répertoire d’autoanticorps des patients se fit avec une technique de haut-débit : le séquençage d’immunoprécipitation de phages (PhIP-Seq). Brièvement, les phages (formellement appelés : bactériophages) sont des virus à ADN ou ARN infectant les bactéries. Le phage T7 est couramment utilisé en biologie moléculaire pour exprimer une protéine humaine, tels que des antigènes candidats. Le PhIP-Seq passe à l’échelle en exprimant toutes une librairie de peptides antigéniques par une population de phages. Dans cette étude, la librairie consistait en l’ensemble des isoformes de protéines humaines connues dans la base de données du NCBI (National center for biotechnology information). En les incubant avec le sérum ou LCR d’un patient, les anticorps du patient se lient aux phages exprimant des antigènes pour lesquels ils sont réactifs. L’immunoprécipitation permet de ne garder que les phages qui ont lié un anticorps et de séquencer leurs génomes pour réidentifier les protéines humaines qu’ils expriment. Les auteurs en ont tiré le profil d’auto-anticorps de chaque patient.
Un profil d’auto-anticorps
Les patients qui ont déclaré une SEP avaient une élévation significative du sNfL par rapport aux contrôles, même des années avant le début clinique de la maladie. Environ 10 % des patients atteints de SEP se démarquaient des autres et des contrôles par un profil d’auto-anticorps. L’ensemble d’anticorps contribuant à distinguer ce profil est appelé « signature ». Plutôt que de raisonner par auto-antigène, ce concept de signature raisonne par épitope, potentiellement partagé par plusieurs protéines et au travers de plusieurs espèces. La signature identifiée était stable dans le temps et était dirigée contre un motif commun d’acides aminés retrouvé dans plusieurs protéines et dans de nombreux agents pathogènes humains. Ces patients montraient une réactivité des anticorps des années avant l'apparition des symptômes de la SEP et avaient des niveaux de sNfL plus élevés comparés aux autres patients atteints de SEP, suggérant des lésions neuroaxonales précoces plus sévères.
La validation sur la cohorte indépendante de San Francisco a retrouvé la signature, à la fois dans le sérum et dans le LCR avec une spécificité élevée pour les patients qui ont finalement été diagnostiqués avec la SEP. Seuls des échantillons au moment de la première poussée étaient disponibles dans ce jeu de validation. Une autre modalité d’évaluation par Luminex a confirmé la spécificité de la signature. Il s’agit d’une technique de sérologie à plus bas débit, qui a dû être ciblée sur les 6 peptides humains les plus importants de la signature. Bien que chaque patient combinait de manière différente une réactivité à ces 6 peptides, le concept de signature prenait en compte la somme des réactivités en immunofluorescence (un équivalent en LUMINEX du titre d’anticorps en ELISA), qui elle était spécifique des patients atteints de SEP.
Un premier biomarqueur spécifique d’autoantigènes
Cette signature auto-anticorps spécifique est le premier biomarqueur spécifique d’autoantigènes identifié prospectivement dans la SEP. Sa découverte offre une nouvelle perspective sur la phase préclinique de la SEP. La présence de cette signature des années avant l'apparition des symptômes cliniques suggère une activité immunologique précoce qui renforce l’idée d’une phase infraclinique ou paucisymptomatique (prodromale) active immunologiquement dans la SEP, qui pourrait être une fenêtre thérapeutiques anticipée.
De plus, l'association avec des niveaux élevés de sNfL indique que des lésions neuroaxonales débutent bien avant les premières manifestations cliniques, suggérant l'intérêt d'un dépistage précoce. Cette signature n’étant présente que chez une minorité de patients avec des taux de sNfL plus élevés, elle pourrait servir de biomarqueur spécifique pour identifier les personnes à haut risque aux stades précoces ou pré-cliniques de la maladie, voire à individualiser une nouvelle maladie du spectre de la SEP à l’instar de la neuromyélite optique et des maladies associées aux anti-MOG.
Cette étude identifie une signature d’auto-anticorps prédictive de la SEP, présente des années avant l'apparition des symptômes cliniques. Cette découverte pourrait étayer des interventions thérapeutiques précoces dans la SEP, potentiellement retardant ou prévenant l'apparition des symptômes cliniques. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les mécanismes immunologiques sous-jacents et explorer les implications diagnostiques et thérapeutiques de cette signature d’auto-anticorps.
Références
Lebrun-Frenay, C., Kantarci, O., Siva, A., Azevedo, C.J., Makhani, N., Pelletier, D., Okuda, D.T., 2023. Radiologically isolated syndrome. Lancet Neurol 22, 1075–1086. https://doi.org/10.1016/S1474-4422(23)00281-8
Makhani, N., Tremlett, H., 2021. The multiple sclerosis prodrome. Nat Rev Neurol 17, 515–521. https://doi.org/10.1038/s41582-021-00519-3
Zamecnik, C.R., Sowa, G.M., Abdelhak, A., Dandekar, R., Bair, R.D., Wade, K.J., Bartley, C.M., Kizer, K., Augusto, D.G., Tubati, A., Gomez, R., Fouassier, C., Gerungan, C., Caspar, C.M., Alexander, J., Wapniarski, A.E., Loudermilk, R.P., Eggers, E.L., Zorn, K.C., Ananth, K., Jabassini, N., Mann, S.A., Ragan, N.R., Santaniello, A., Henry, R.G., Baranzini, S.E., Zamvil, S.S., Sabatino, J.J., Bove, R.M., Guo, C.-Y., Gelfand, J.M., Cuneo, R., von Büdingen, H.-C., Oksenberg, J.R., Cree, B.A.C., Hollenbach, J.A., Green, A.J., Hauser, S.L., Wallin, M.T., DeRisi, J.L., Wilson, M.R., 2024. An autoantibody signature predictive for multiple sclerosis. Nat Med 1–9. https://doi.org/10.1038/s41591-024-02938-3