Crash de l'Airbus : la piste du "suicide altruiste"
Les enquêteurs suivent la piste d'un "suicide altruiste", à l'origine du crash de l'Airbus A320. Ils tentent de déterminer le profil psychogique d'Andreas Lubitz, le copilote de l'avion.
« L'action ne peut être que volontaire ». Depuis les déclarations du procureur de la République de Marseille hier midi, toute l’attention se concentre sur le copilote de l’Airbus A320 qui s’est crashé mardi dans les Alpes, faisant 150 morts.
Andreas Lubitz avait 28 ans. Selon les premiers éléments de l’enquête, c’est lui qui aurait délibérément précipité l’avion sur le flanc de la montagne. L’analyse des boîtes noires a en effet permis de retracer les minutes précédant la mort des passagers et du personnel naviguant.
« Une volonté de détruire cet avion »,
Le jeune Allemand aurait profité de l’absence du pilote, sorti du cockpit afin de soulager un besoin, pour verrouiller la porte de l’habitacle et enclencher la descente de l’avion. Sans bruit, sans revendication, « la respiration régulière » – ce qui écarte l’hypothèse d’un malaise. Si le procureur évite soigneusement d’employer le mot « suicide », préférant évoquer « une volonté de détruire cet avion », la piste est très sérieusement envisagée – d’autant plus qu’aucun élément ne permet d’établir, pour le moment, un mobile terroriste.
On en sait peu sur le profil d’Andreas Lubitz. Le jeune copilote était originaire de Montabaur, une petite ville située en Rhénanie-Palatinat, dans l’ouest de l'Allemagne. Il avait été embauché en septembre 2013 par la compagnie allemande Germanwings, après avoir passé avec succès ses tests techniques et médico-psychologiques. Dans les médias, son entourage le décrit comme un homme « calme et passionné », fan de voltige aérienne.
Un « suicide altruiste » ?
Si suicide il y a, de très nombreuses questions émergent. Pourquoi emporter tant de vies avec la sienne ? Pourquoi choisir ce mode pour mettre fin à ses jours ? Pas de réponse, a priori, devant l’insensé. De fait, ce que l’on nomme en psychiatrie le « suicide altruiste » ne semble relever d’aucun schéma rationnel, mais de ressorts psychologiques bien particuliers.
« Au cours d’un tel acte, la personne est envahie par une idée – de ruine, de menace, de culpabilité…, explique Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie du centre médico-psychologique au CHU de Clermont-Ferrand. Alors, elle ne voit pas d’autre solution que de programmer sa mort et celle de son entourage. Elle ne réalise pas, sur l’instant, le drame humain que peut représenter la mort de 150 personnes. Il y a une perte des échelles de valeur. »
Regardez Pr Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie du centre médico-psychologique, au CHU de Clermont-Ferrand : « On retrouve cela dans des suicides altruistes où des parents décrits comme aimants tuent leurs enfants… ».
« Autopsie psychologique »
Ces « épisodes de dépression intense », comme le décrivent les spécialistes, échappent donc à toute logique. Nul traumatisme d’enfance ou blessure mal cicatrisée ne saurait les expliquer, puisqu’ils relèvent d’une pathologie qui s’exprime à un instant T dans sa forme la plus aiguë.
Certains éléments peuvent toutefois mettre sur la piste d’une dépression. Pour déterminer si, dans le cas du crash de l’avion, il s’agit bel et bien d’un suicide altruiste, une autre phase de l’enquête doit à présent démarrer : l’autopsie psychologique. « Les enquêteurs vont interroger les personnes de son entourage pour tenter d’identifier quels étaient ses comportements avant le drame », précise Pierre-Michel Llorca.
Regardez Pr Pierre-Michel Llorca : « Il est possible d’identifier a posteriori ces états psychologiques. »
Les compagnies à l’affût des faiblesses psychologiques
Comme tous les pilotes, Andreas Lubitz a passé les examens d’embauche des compagnies aériennes, qui permettent aux instructeurs d’évaluer la technique et les traits psychologiques des candidats, leur faculté à travailler de manière collective et à répondre rapidement à des situations de stress. Tous les ans, afin de renouveler leur licence, les pilotes subissent une batterie de tests médicaux – cardiaques, pulmonaires, auditifs, urinaires… – et comportementaux.
« Nous n’avons pas de suivi psychologique à proprement parler, mais certains examens permettent de révéler d’éventuelles fragilités psychologiques, explique Pierre Lemoine, 51 ans, pilote à Air France. Par exemple, nous réalisons quatre fois par an une séance de simulation de vol de trois heures et demie. Or, la performance est très liée à la santé mentale. Je me souviens d’un jeune pilote tombé dans un état dépressif : cela s’était très vite vu au simulateur. »
Au cours des visites, et à travers des questions simples, les examinateurs s’assurent notamment que le pilote apprécie toujours son travail. « Il faut de l’enthousiasme et une certaine vivacité pour ce métier, précise Pierre Lemoine. Sinon, le quotidien devient assez difficile… Vous trouverez très longues les nuits en l’air en long courrier, et difficiles les levers matinaux suivis de quatre étapes de vol… »
Pour Pierre Lemoine, cela ne fait pas de doute : « Il n’y a pas besoin de davantage de contrôles. Nous sommes l’une des professions les plus médicalement surveillées », rappelle-t-il. D’ailleurs, malgré cette vigilance, l’instance indépendante qui délivre les certificats annuels d’aptitude physique et mentale, le CEMPN, ne saurait tout déceler chez les pilotes.
« Une médecine vétérinaire »
D’une part, ces derniers ne subissent pas d’examen psychiatrique de routine, sauf en cas d’antécédents ou d’événement traumatique, comme le décès d’un passager à bord. Ces examens seraient par ailleurs difficiles à mettre en place d’un point de vue pratique, et assez peu légitimes.
D’autre part, les troubles psychologiques et physiques sont très probablement sous-estimés. « La médecine aéronautique est une médecine vétérinaire ! sourit le médecin Henri Marotte, qui a dirigé le laboratoire de médecine aérospatiale du centre d'essais en vol, et enseigne la médecine aérospatiale à l'Université Paris Descartes. Comme l’animal, le patient ne dit rien. Il a peur qu’on lui retire sa licence. Il n’existe aucune catégorie de personnes qui déclare aller aussi bien ! »
De fait, cette médecine est avant tout déclarative : elle repose sur ce que le patient accepte de révéler – et c’est encore plus vrai pour les troubles psychiatriques. En ce sens, renforcer les contrôles semble vain. « La sélection et la surveillance en France sont réputées très rigoureuses. De même pour l’Allemagne. Malheureusement, on ne pourra jamais tout détecter… »