Accueil, suivi, organisation
Chirurgie ambulatoire : comment améliorer la prise en charge en France
ENQUÊTE – 50 % de chirurgies réalisées en ambulatoire, c'est l'objectif du gouvernement. Pourquoi Docteur analyse les points forts et les retards de cette prise en charge.
« Vous avez bien pris votre douche à la Bétadine ? Vous avez retiré tous vos bijoux ? Quelqu’un restera bien avec vous ce soir ? » Il est sept heures et demi du matin. Emilie vient d’arriver à l’Institut Curie (Paris), accompagnée de ses deux enfants et d’une amie. Avant son opération d’un cancer du sein, une infirmière effectue les vérifications de routine. Cinq heures plus tard, Emilie ressort de la structure sur ses deux jambes. Comme elle, deux millions de personnes sont prises en charge en ambulatoire. La ministre de la Santé Marisol Touraine ambitionne de faire plus : en 2016, une intervention chirurgicale sur deux devrait se faire en ambulatoire. Mais ce nouveau mode de prise en charge nécessite une réorganisation de l’hôpital en profondeur. Pourquoi Docteur a enquêté sur les moyens d’y parvenir.
- « Tout le parcours doit être tracé »
- Une prise en charge perfectible
« Tout le parcours doit être tracé »
Aux côtés d’Emilie, l’infirmière explique dans le détail le déroulement de la matinée. « Je vous mets le bracelet du côté qui sera opéré. Vous descendrez à pied. Vous resterez une heure en salle d’opération, deux heures en salle de réveil. Quelqu’un vous remontera en chaise et je vous surveillerai pendant deux heures », énumère-t-elle. Quinze minutes plus tard, la patiente est en tenue : elle porte une chemise, un pantalon, des sur-chaussures, et une sur-blouse qui la maintient au chaud. Emilie est escortée, à pied, jusqu’au bloc opératoire. Dans l’ascenseur, elle montre des premiers signes d’anxiété. « Les jours avant l’opération, j’avais des crises de larmes à l’idée qu’on me retire quelque chose », confie cette femme blonde. « Mes enfants ont voulu me rassurer, ils m’ont dit qu’on m’enlèverait quelque chose de mal… mais c’est aussi quelque chose de bien. »
Illustration de la tenue des patients escortés au bloc opératoire (Institut Mutualiste Montsouris)
Malgré l’angoisse, pas de calmants pour Emilie : jusqu’à son entrée au bloc, la femme reste totalement autonome. L’anesthésiste, pour la détendre, l’encourage à imaginer des choses positives. L’intervention ne dure pas plus d’une heure. Mais sa prise en charge a été préparée bien à l’avance. « L’ambulatoire commence trois jours avant la chirurgie, précise Séverine Alran, chirurgienne et responsable de l’unité de chirurgie ambulatoire (UCA) de l’Institut Curie. On informe le patient dès la consultation. Il voit les infirmiers, puis l’anesthésiste. On prépare aussi la sortie. Tout le parcours doit être tracé. » L’intervention en elle-même ne change pas. Mais immédiatement après avoir suturé Emilie, la chirurgienne se poste derrière un ordinateur : « On réalise le compte rendu immédiatement, et le patient repart avec son dossier dans une pochette. On envoie aussi une copie au médecin généraliste. »
Des patients moins fragiles
A 13 heures tapantes, Emilie quitte l’Institut Curie, entourée de sa famille. L’infirmière lui a d’abord rappelé la marche à suivre pour se laver et prendre soin de la cicatrice. Le lendemain, la même personne appelle pour vérifier l’état de la cicatrice. Si tout se déroule bien, Emilie ne reverra pas de médecin avant trois semaines. Et le bilan est positif : « J’ai trouvé tout cela très rapide. J’arrive à 7 h 30, je suis au bloc à 45. Je n’ai pas eu le temps d’angoisser, conclut-elle trois jours plus tard. Quand je suis rentrée, j’ai envoyé mes enfants faire des courses. On a mangé des crêpes, on a discuté autour d’un thé. Le soir même, j’ai dormi. »
L’Institut Curie a ouvert en 2012 son unité dédiée à l’ambulatoire. En apparence, elle ressemble à n’importe quel autre service. Mais l’organisation des soins a été totalement repensée. Certaines chambres se sont transformées en salles d’attente pour les accompagnants. Et les patients restent sous surveillance non plus dans un lit, mais sur un fauteuil. « A l’Institut Curie, on est favorable à toutes les démarches qui défragilisent (sic) le patient, commente Séverine Alran. Le cancer a une connotation de maladie grave, alors que la plupart des patientes arrivent en bonne santé générale. On ne veut pas les fragiliser. » Olivier Untereiner, anesthésiste à l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM) à Paris, souhaite aussi dédramatiser la chirurgie. Il y a d'ailleurs initié l'expérience du patient debout.
Ecoutez Olivier Untereiner, anesthésiste : « Venir debout, être proactif de sa prise en charge, ça diminue clairement le stress des patients. »
Dans la salle d’attente, les proches d’Emilie abondent en ce sens. Pour sa fille, retourner à son domicile, le soir même, allège clairement la tension. « Il y a une décennie, on restait deux ou trois jours à l’hôpital, note son fils. Il y a eu pas mal de bonnes choses depuis. »
Objectif 50 %
Le cancer du sein est encore relativement peu opéré en ambulatoire. Ce mode de prise en charge concerne surtout des interventions plus légères, celles touchant la cataracte ou le canal carpien principalement, selon un rapport de la Cour de comptes (PDF) paru en 2013. Le gouvernement a fait de l’ambulatoire une priorité, avec une politique d’incitation tarifaire qui valorise cette prise en charge et réduit les tarifs pour le patient.
« Le Plan Cancer a amélioré les choses, et notamment la communication entre les équipes, ajoute Séverine Alran. On a maintenant un nouveau parcours de soin, très cadré. L’ambulatoire, c’est le juste soin : on est dans le bon timing, et davantage la qualité de la coordination avec les anesthésistes, les infirmiers… »
A l’Institut Mutualiste Montsouris, la transition a mis plus de temps à s’imposer, mais l’équipe a fini par s’accoutumer.
Ecoutez Guylaine Rossel, cadre de santé à l’IMM : « Il a fallu amener le projet. Depuis un certain moment, c’est entré dans les habitudes de l’équipe soignante. »
La France est à la traîne
A l’image de ces deux instituts, le secteur privé est très en avance sur le public. Dans un rapport paru en janvier 2015, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) souligne qu’une opération sur deux est réalisée en ambulatoire en clinique… contre seulement 30 % dans le public. Les mesures censées favoriser cette prise en charge n’ont pas vraiment changé les choses.
Mais le retard est plus global : là où les pays d’Europe du Nord optent pour l’ambulatoire dans 65 % des cas, la France traîne à 43 %. Peut-être faut-il lorgner du côté des pathologies opérées en ambulatoire pour mieux comprendre cela. Les 12 chirurgies les plus courantes rassemblent 70 % des interventions réalisées en hôpital de jour.
L’objectif de Marisol Touraine (50 % en 2016) est un peu trop ambitieux pour l’Igas, mais pas irréalisable. Selon les inspecteurs, il devrait être atteint en 2018.
Une prise en charge perfectible
Malgré son intérêt évident, la prise en charge ambulatoire doit encore être améliorée en France, et ce, sur plusieurs plans. Le retard du pays n’en est qu’un symptôme. Ce chiffre général (43 %) cache d’ailleurs une réalité plus contrastée. Dans un rapport de 2013 (PDF), la Cour des comptes souligne de fortes disparités territoriales. En 2011, la part de l’ambulatoire variait de 35 % (Franche-Comté) à 45 % (La Réunion). Des écarts toujours visibles aujourd’hui.
Le difficile dialogue ville-hôpital
« Des freins subsistent, qu’il s’agisse de la formation des praticiens, du mode d’articulation avec la médecine de ville pour le retour à domicile, ou de l’éligibilité et de l’information des patients », soulignent les Sages. Pour l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), la réorganisation de l’hôpital autour du patient est un frein majeur au développement de l’ambulatoire. Elle pointe notamment le défaut de formation des chirurgiens et des anesthésistes sur cette prise en charge. « Certaines prémédications excessives peuvent allonger les temps d’anesthésie et donc la période durant laquelle les patients ne sont pas très éveillés », illustre Olivier Untereiner, anesthésiste à l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM). Le dosage doit donc être adapté au type d’hospitalisation.
Un bon suivi en ambulatoire passe par une bonne articulation avec la médecine de ville. C’est une des recommandations émises par la Haute Autorité de Santé en 2013. Mais le dialogue ville/hôpital n’est pas toujours bien huilé, selon Jacques Battistoni, secrétaire général de MG France. « On souhaite que le champ d’activité soit clairement défini et respecté. Très régulièrement, MG France est interpellé par ses adhérents sur l’emprise de l’hôpital sur l’ambulatoire, observe-t-il. Je pense qu’il est important que l’hôpital garde son expertise et que l’ambulatoire reste du domaine des soins de ville. »
Ecoutez Jacques Battistoni, secrétaire général (MG France) : « On observe souvent que les gens sortent de l’hôpital, et les courriers arrivent plus de trois mois après. »
« Ils n’ont pas le sens de l’accueil »
Difficile également d’évaluer les économies engendrées par le recours plus large à l’ambulatoire. Marisol Touraine table sur 500 millions d’euros de dépenses en moins d’ici 2016, un milliard en 2017. L’Académie nationale de médecine met en évidence une fourchette plus large, dans son rapport du 10 mars 2015 : elle va de 0,5 à 6 milliards d’euros d’économies. « Il est indispensable de réaliser en France des études sur les coûts réels, directs et dérivés en termes de comptabilité analytique, sur la chirurgie ambulatoire, comparés aux coûts d’actes similaires sur des groupes de malades similaires, opérés de façon conventionnelle », estiment les rapporteurs Renaud Denoix de Saint Marc, Michel Huguier et Gérard Milhaud.
Du côté patient, la mécanique de l’ambulatoire grippe par endroits. « Le matin suivant l’opération, j’ai appelé parce que je ne me souvenais plus de ce qu’il fallait faire, explique Emilie. Ce qui me gêne, c’est qu’on parte sans compresse. Il y a toujours des résidus, et je voudrais éviter le frottement. » Elle évoque également un manque de suivi psychologique : « Cela fait deux mois que je me prends la tête. Je m’étais fait des idées, je me suis vue horrible. Avant l’opération, il faudrait une préparation psychologique », juge-t-elle.
Les accompagnants, eux, restent plusieurs heures sans nouvelles. A partir de 7 h 45, les enfants d’Emilie n’ont pas reçu d’information. « Personne n’est venu nous voir en 5 heures. Personne, déplore son amie. Ils devraient s’inspirer des hôpitaux pour enfants, qui intègrent les accompagnants. » Pour la fille d’Emilie, le verdict est bien plus sévère : « Ils n’ont pas le sens de l’accueil. »