Commotions cérébrales, fractures...
Rugby à l’école : comment faire face aux risques
Un neurochirurgien dénonce le manque de sécurité dans les cours de rugby dispensés à l'école britannique. Pourquoidocteur revient sur la situation en France.
« Quiconque a passé des heures à ramasser des fragments de crâne sur les lobes frontaux contusionnés d’adolescents qui jouent au rugby, peut s’autoriser à s’exprimer sur la sécurité de ce jeu ». C’est par ces mots que le neurochirurgien pédiatrique Michael Carter démarre son éditorial dans la prestigieuse revue British Medical Journal (BMJ).
Un éditorial qui peut laisser perplexe. De la fracture à la commotion cérébrale, les blessures auxquelles s’exposent les joueurs professionnels de rugby ont peu de secrets pour le grand public. Difficile, en revanche, d’imaginer que ces tracas franchissent les portes des écoles, et troublent les cours d’éducation physique et sportive des élèves - au Royaume-Uni, tout du moins.
Deux enfants décédés
En effet, au pays du ballon ovale, le rugby s’enseigne à l’école dès huit ans. Or, à en croire le neurochirurgien, les règles de sécurité y font cruellement défaut. « Avec trois de mes collègues, nous avons comptabilisé 20 blessures graves liées au rugby chez des enfants au cours de la décennie. Nous avons diagnostiqué cinq fractures vertébrales graves (deux avec des séquelles neurologiques importantes), plusieurs fractures du crâne déprimé, ainsi que des blessures et hématomes intracrâniens, dont certains ont nécessité d’une dissection artérielle. Deux enfants sont décédés des suites de leur blessure », écrit le neurochirurgien britannique.
Précision importante : l’auteur de l’éditorial n’est pas un anti-rugby forcené, ni un adepte des sports doux. Il souligne que la plupart des blessures présentées par les jeunes joueurs restent bénignes, comme celles qui atteignent les tissus mous. D’autres sont plus gênantes - fractures, luxations, problèmes ligamentaires, dentaires, maxillo-faciaux…
« Culture de gladiateur »
Mais surtout, ce qu’épingle Michael Carter, c’est une forme de cécité coupable face à un phénomène préoccupant, alimenté par une « pensée irrationnelle ». « Les écoles, les entraîneurs et les parents contribuent tous à une culture tribale de gladiateur qui encourage l’agressivité. Les jeunes ne s’inquiètent pas toujours de leur blessure, ils ne consultent pas et poursuivent le jeu ». Le neurochirurgien appelle à une quantification des risqués liés au rugby chez les plus jeunes, « avant que d’autres enfants et leurs familles subissent les conséquences de la négligence collective ».
« Pas plus de blessures qu’à la pétanque »
En France, ces inquiétudes suscitent des réactions sceptiques. Le rugby figure parmi les sports proposés par l’Education nationale, de l’école primaire au lycée, ainsi qu’à l’université. Il rencontre un franc succès auprès des élèves, parents et enseignants. Il peut être obligatoire lorsqu’il est enseigné au sein des cours d’EPS.
« La sécurité est l’essence même de notre mission, affirme Jean-Michel Sautreau, président de l’Usep (1), qui gère les sports à l’école primaire. Les éducateurs sportifs adaptent les règles du jeu au niveau des joueurs. Elles évoluent en fonction de l’apprentissage. Le plaquage n’est enseigné qu’à partir de la 6e. Avant, on travaille au toucher. On apprend également à jouer au « Rugby flag » : le joueur porte un foulard accroché à la ceinture, et doit poser le ballon au sol quand ce foulard lui est arraché ». Bien entendu, les mêlées sont formellement interdites. Au final, il n’y aurait « pas plus de blessures au rugby qu’au vélo ou à la pétanque ».
>> Ecoutez Jean-Michel Sautreau, président de l’Usep : « On n’est pas dans un esprit d’arène, mais de rencontre ».
« A 17 ans, certains joueurs font 100 kilos »
De fait, les plus jeunes ne semblent pas particulièrement inquiétés par les risques du sport. C’est un peu plus tard, à l’adolescence, que les choses peuvent se corser, notamment au sein des associations sportives des collèges et lycée, où les élèves s’inscrivent délibérément. « A 17 ans, certains joueurs font déjà 100 kilos, explique Eric Mercadère, qui entraîne des jeunes au club Saint Orens XV, dans la région de Toulouse. A l’école, ils s’inscrivent aux cours et rencontrent des débutants venus découvrir le rugby, qui se font très mal en cas d’impact. Ce n’est pas sérieux ».
D’autant plus que les éducateurs ne seraient pas tous formés aux besoins de la cause. « J’ai eu connaissance d’un collège où le prof d’athlétisme enseignait le rugby, s’insurge cet entraîneur. Les comités et les fédérations fournissent très peu de conseils aux écoles. Cela peut mener à des situations franchement dangereuses ».
Des règles pour les « costauds »
Du côté de l’UNSS (2) , qui régit les associations sportives de l’enseignement secondaire, on se défend pourtant de ces accusations. Françoise Recoura, directrice régionale adjointe à Toulouse, a enseigné l’EPS dans un collège. « Les éducateurs ont une vraie responsabilité, mais ce ne sont pas des têtes brûlées. Ils pratiquent la pédagogie différenciée. Au sein d’un même groupe, les règles ne sont pas les mêmes pour tous. Les costauds n’ont pas le droit de toucher, par exemple. »
>> Ecoutez Françoise Recoura, directrice régionale de l’UNSS: « Le modèle de gestion est celui du « bon père de famille », avec des règles de bon sens ».
Rien de tout ce que l’on trouve en Angleterre, visiblement. « Le risque zéro n’existe pas, et on dénombre forcément des entorses du genou, de la cheville ou de la clavicule, témoigne Françoise Recoura. Mais de toute ma carrière, je n’ai jamais entendu parler de commotions cérébrales chez les jeunes joueurs, même pendant les championnats de France ».
Les jeunes, plus exposés aux commotions
Le bulletin de 2008 de l’InVS sur les traumatismes liés à la pratique du rugby semble pourtant donner raison aux alarmistes. Chez les joueurs amateurs, les lésions au niveau de la tête et du cou représentent 25 % de l'ensemble des lésions – et 11% chez les jeunes (jusqu’à 19 ans). Or, les enfants et adultes sont particulièrement exposées aux commotions cérébrales, mêmes si elles restent marginales.
« Le taux de commotions chez les jeunes est plus élevé que chez l’adulte, explique Dave Ellemberg, neuropsychologue, auteur de l’ouvrage Les commotions cérébrales dans le sport. En effet, lors d’un impact, un enfant ou un adolescent a plus de risques de subir une commotion cérébrale qu’un adulte. Les jeunes ont un cerveau plus fragile et une moins grande force musculaire au niveau du cou et des épaules pour absorber le choc. En outre, ils ont moins d’habilité technique pour prévenir les coups ».
Syndrome du deuxième coup
D’autre part, les conséquences des commotions cérébrales seraient davantage sérieuses chez l’adolescent. « De 14 à 16 ans, le cerveau est d’autant plus fragile qu’il est dans une période de développement rapide, surtout dans la région frontale, impliquée dans le raisonnement et la logique. En cas de coups répétés, les études montrent qu’il existe même un risque de décès chez les sujets de 12 à 16 ans. C’est le syndrome du deuxième coup. Or, les symptômes des commotions peuvent être silencieux… ».
>> Ecoutez Dave Ellemberg, neuropsychologue, chercheur à l'Université de Montréal : « Les commotions cérébrales provoquent des difficultés de concentration, qui peuvent nuire très sérieusement aux facultés d’apprentissage chez les jeunes ».
Malgré tout, les chercheures restent unanimes sur un point : pas question de reléguer le rugby au rang des sports suicidaires et impraticables, y compris chez les jeunes. Tous évoquent des études qui démontrent que sa pratique améliore les relations sociales et les résultats scolaires et le bien-être. A condition d’être encadré.
(1) Union Sportive de l’Enseignement du Premier degré à Paris
(2) Union nationale du sport scolaire