En Meurthe-et-Moselle

L'expulsion d'un collégien malien relance le débat sur les tests osseux

Un élève a été expulsé de son collège à cause de son âge, révélé par des tests osseux. Pourtant, ces examens sont controversés en raison de leur manque de fiabilité.

  • Par Marion Guérin
  • PIERANGELI/SIPA
  • 08 Jan 2015
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    Trop vieux pour l’école. Ce lundi 2 janvier, le collège Emile-Gallé à Essey-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle) a fermé ses portes à l’un de ses élèves, devenu persona non gratta. Du jour au lendemain, Boua Traoré a vieilli de cinq ans. Pour cette raison, l’Inspection académique n’en veut plus.

    Plus d’école ni de logement
    L’histoire de ce jeune Malien, arrivé à Nancy à l’été 2014, est racontée dans les pages de l’Est Républicain. Orphelin, Boua Traoré débarque sur le sol français en tant que mineur étranger isolé. Il est placé dans un foyer de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Sur ses papiers figure sa date de naissance, le 25 décembre 1999. A Noël, il aurait donc fêté ses 15 ans.

    Mais le 15 octobre dernier, le tribunal pour enfants en a décidé autrement. D’après des tests osseux, le jeune homme n’aurait pas 15, mais bien 20 ans. Première conséquence immédiate de cette décision : l’ASE, réservée aux mineurs, l’expulse sur-le-champ.

    Grâce au Réseau Education sans frontière (RESF), il trouve une famille d’accueil pour les vacances et le week-end. Le reste du temps, il dort à l’internat du lycée Varoquaux de Tomblaine, et suit sa scolarité au collège Emile-Gallé. Mais le 17 décembre, l’Inspection académique lui signifie qu’en tant que personne majeure, il n’est le bienvenu nulle part.

    « Comment peuvent-ils remettre en cause l’authenticité de l’acte de naissance alors qu’il n’a pas même été soumis au bureau de la fraude administrative ? s’insurge Jeannette Vallance, présidente de RESF, dans l’Est Républicain. En outre, une procédure d’appel a été initiée contre la décision du tribunal dont on devrait avoir le résultat le 30 janvier prochain. Alors pourquoi ne pas attendre cette date pour en tirer ou non les conséquences ? », fulmine-t-elle.

    Des tests controversés
    Au-delà du naufrage pédagogique que constitue cette affaire, c’est bien la procédure qui est pointée du doigt. Car les tests osseux, effectués sur les mineurs étrangers pour vérifier leur âge, font polémique depuis qu’ils existent. Ils visent à valider les aides d’Etat accordées aux enfants et adolescents isolés. Mais de gros doutes subsistent sur leur fiabilité scientifique.

    Le protocole médico-légal pour déterminer l’âge d’une personne a été fixé il y a une cinquantaine d’années par l’article 232 du Code de Procédure Civile. Il est effectué en cas de doute sur la minorité du jeune, avec son consentement « libre et éclairé ». L’examen osseux consiste en une radiographie de face du poignet et de la main gauches. Il permet de détecter la présence de cartilage de conjugaison (également appelé cartilage de croissance), signe que le sujet n’a pas atteint sa maturité osseuse – soit environ 18 ans. Lorsque ce cartilage s’est ossifié, alors, la personne est considérée comme majeure.

    Pour se forger une idée de l’âge de la personne, le radiologue compare les clichés avec un atlas de référence, selon la méthode de Greulich et Pyle. Or, cet atlas a été conçu entre 1931 et 1942 sur une population nord américaine d’enfants issus de classe aisée. Il n’a jamais été remis à jour depuis, malgré les controverses qu’il suscite.

    Marge d’erreur de 2 ou 3 ans
    De fait, la méthode a de quoi laisser dubitatif. De nombreuses instances judiciaires et médicales l’ont contestée, en ce qu’elle ne permettrait pas de fixer un âge fiable. Selon Libération, le Conseil de l’Ordre des médecins souhaiterait abolir ces tests, réservés, à l’origine, à un but thérapeutique. L’Académie Nationale de Médecine estime de son côté que la méthode est efficace avant 16 ans, mais qu’elle « ne permet pas de distinction nette entre 16 et 18 ans ».

    Le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a lui aussi émis un avis très critique sur cette méthode, jugée approximative. « La croissance osseuse varie considérablement d’un adolescent à un autre, écrit Thomas Hammarberg. La croissance corporelle dépend de nombreux facteurs, dont l’origine ethnique et géographique, la situation nutritionnelle et socio-économique, ainsi que les antécédents médicaux de l’intéressé et les pathologies dont il souffre ».

    Ainsi, la marge d’erreur serait de l’ordre de « deux ou trois ans ». « L’interprétation des données peut varier d’un pays à l’autre, voire d’un spécialiste à l’autre », précise Thomas Hammarberg, qui souligne qu’en 1996, la Faculté royale de radiologie de Londres a jugé « injustifié » cet examen qui « expose des enfants à des radiations ionisantes sans un intérêt thérapeutique et dans un but purement administratif ».

    Selon les associations de terrain, les conseils généraux ont tendance à multiplier ces tests pour faire des économies dans les services de l’aide à l’enfance. Le cas de Boua Traoré illustre « un climat général très désagréable de suspicion à l'encontre des étrangers», a déploré l'avocate en charge de l'affaire. Un référé contre l'avis de l'inspection académique a été lancé. La loi stipule que « dans tous les cas, le doute au vu des conclusions de l’examen médical bénéficiera au jeune ».

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