Dépistage, prise en charge
Violences faites aux femmes : il y a urgence à former les médecins
INTERVIEW – Malgré une prise de conscience progressive, les médecins peinent à dépister les violences que subissent leurs patientes, faute d’une vraie formation. Le médecin Gilles Lazimi témoigne.
C’était un sujet tabou il y a encore quelques années. A l’image de la société, les médecins ont mis du temps à se mêler de la vie privée des femmes victimes de violences. De fait, aucune formation obligatoire n’est dispensée au cours des études de médecine sur le sujet. Et si certains établissements proposent des modules d’enseignement pour dépister et traiter les cas, ces initiatives locales relèvent de la bonne volonté de quelques uns.
Pourtant, la demande est là. Un sondage mené récemment par l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) a montré que 95% des étudiants souhaitaient obtenir une formation spécifique. Quelques outils, comme les courts-métrages Anna et Elisa, ont certes été mis en place pour guider les professionnels de santé, futurs médecins comme praticiens en cours d’exercice. Mais en tant que premiers interlocuteurs de victimes, leur manque de formation est régulièrement pointé du doigt.
L'arsenal de mesures présenté par la ministre de la Santé ce mardi devrait en partie combler ce manque. Elle a notamment mentionné un nouveau protocole pour créer un parcours continu pour les victimes de ces violences, en encourageant la mise en réseau des professionnels chargés de les accompagner.
Anna par droitsdesfemmes
Gilles Lazimi est médecin généraliste et directeur du Centre Municipal de santé de Romainville, en Seine Saint-Denis (93). Militant de la cause, il est également membre du haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il dispense des formations à l’université Pierre et Marie Curie, et des séminaires auprès des praticiens – généralistes, psychiatres, gynécologues...
Pourquoi les médecins peinent-ils à repérer les violences sur les femmes ? N’est-ce qu’une question de formation ?
Le Dr Gilles Lazimi : En très grande partie, oui. Les femmes victimes de violence ne se confient pas spontanément aux praticiens, qu’elles consultent pourtant régulièrement pour traiter leurs troubles, quand elles en ont. Un médecin peut suivre une patiente pendant des années pour de multiples symptômes, sans faire le lien avec l’origine des pathologies, tout simplement parce qu’on ne lui a pas appris à poser les bonnes questions. Les patientes ne nous donnent à voir et à comprendre que ce que nous sollicitons…
Pendant longtemps, les médecins ont aussi estimé que ce qu’il se passait dans l’intimité de leurs patientes ne les regardait pas. Lors de mes formations, je passe en revue les différents préjugés qui peuvent toucher notre profession, les petites phrases que nous avons tous pu entendre, ou prononcer : « Pas dans ma clientèle » ; « ce n’est pas le genre du quartier » ; « je ne suis pas flic ; est-ce qu’elle dit la vérité ? » ; « ce n’est pas un problème médical, mais judiciaire »…
Pourtant, on réalise très vite que les femmes se confient très facilement à leur médecin, pour peu qu’on leur pose la question. D’ailleurs, quand on explique aux médecins qu’ils ont un rôle primordial à jouer, qu’ils peuvent réellement les aider, c’est une libération pour eux.
Comment repérer les victimes de violences ? Y a-t-il des symptômes caractéristiques ?
Le Dr Gilles Lazimi : Il n’y a pas de symptômes spécifiques, mais un grand nombre de signes cliniques qui peuvent mettre sur la piste. Bien sûr, ce qui relève du domaine physique est à surveiller de près – coups, fractures, lésions, brûlures… Les femmes victimes de violence peuvent aussi être atteintes de troubles psychologiques (hyperémotivité, anxiété, dépression…), développer des addictions, des troubles alimentaires, digestifs ou psychosomatiques. Certaines manifestent des réactions post-traumatiques Mais d’autres ne développent aucun trouble visible.
La meilleure manière de repérer les cas de violences reste le questionnaire systématique. De même que l’on demande des détails sur les antécédents médicaux, les opérations d’amygdales ou d’appendicite, on devrait toujours poser aux femmes trois questions précises. Avez-vous déjà été victime de violences verbales (propos sexistes, humiliants, dévalorisants, injures, menaces…) ? Avez-vous déjà été victimes de violences physiques, reçu des coups, été bousculée ou battue par un homme ? Avez-vous déjà été victime de violences sexuelles, attouchements, rapports forcés ?
Ces questions permettent un dépistage efficace des violences. Et lorsque l’origine des pathologies est comprise, la prise en charge s’améliore significativement : amélioration de l’état général, réduction des soins médicamenteux…
Que conseillez-vous aux médecins généralistes, une fois qu’ils ont identifié la violence comme origine des pathologies ?
Le Dr Gilles Lazimi : D’abord, d’avoir les mots appropriés. « Je vous remercie de votre confiance, je vous crois, il n’a pas le droit, il est le seul responsable ». La stratégie de l'agresseur, que nous étudions de fond en comble pour bien comprendre les réactions des patientes, a pour but de culpabiliser la victime. Il s’agit de lui faire comprendre qu’elle est effectivement victime de cette stratégie.
Il convient également de fournir à la patiente des adresses et des numéros de téléphone, de la diriger vers des associations – de défense des droits, ou d’accueil des victimes... Pour cela, le praticien doit se créer un réseau, comme pour toutes pathologie, d’ailleurs.
J’enseigne également à rédiger un certificat médical de constatation, qui pourra servir de preuve si la patiente veut porter plainte, même ultérieurement. J’ai rédigé des certificats qui ont servi treize ans après…