Thérapie développée à Londres
Schizophrénie : des avatars pour "parler" avec ses hallucinations
Des hallucinations auditives, à toute heure du jour ou de la nuit... Elles pourraient bientôt être un lointain souvenir grâce à une thérapie qui utilise des avatars pour contrôler ces voix.
Dialoguer avec ses hallucinations, voilà ce que propose une nouvelle approche thérapeutique dans la schizophrénie. Le Pr Julian Leff, du University College de Londres (Royaume-Uni) est à l’origine de cette thérapie par avatar. Matérialiser les hallucinations complète les thérapies psychologiques traditionnelles, et permet une meilleure gestion des manifestations auditives de la maladie.
Mettre un visage sur les « voix »
30 % des patients schizophrènes souffrent d’hallucinations auditives, alors même qu’ils sont sous traitement antipsychotique. Cela affecte directement la capacité des malades à se concentrer, mais aussi leurs chances de réinsertion. La thérapie par avatar constitue une nouvelle approche, qui met à profit les nouvelles technologies, et leur offre une chance de mieux contrôler leurs hallucinations. Il s’agit d'une sorte de thérapie cognitive comportementale… à ceci près que les patients peuvent échanger avec leurs hallucinations via un logiciel qui met un visage sur les voix.
Regardez les explications du Pr Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie du centre médico-psychologique, au CHU de Clermont-Ferrand :
Un « trilogue » thérapeutique
La thérapie par avatar démarre en 2009, lorsque la division « Psychologie et Sciences du langage » du University College de Londres met au point un système informatique qui permet de recréer des visages avec une haute précision. En 2012, une étude pilote commence, avec 16 patients schizophrènes bénéficiant de la thérapie par avatar, 10 servant de contrôle. Dans le premier groupe, chaque malade peut rendre physique l’idée qu’il se fait des voix. S’entame ensuite un « trilogue » entre le schizophrène, l’avatar et le psychothérapeute. La thérapie est réalisée par sessions de 30 minutes, pouvant aller jusqu’à sept.
Regardez les explications du Pr Pierre-Michel Llorca :
En complément de cette thérapie, les participants ont pu emporter un enregistrement MP3 de chaque session. Ils étaient encouragés, à chaque hallucination auditive, à ré-écouter la séance. « Nous avons découvert que cela les aide à reconnaître les voix que leur esprit génère, et cela renforce leur contrôle sur les hallucinations », explique le Pr Julian Leff, qui a développé l’approche et dirige l’étude pilote.
Trois patients n’entendent plus de voix
Les résultats sont manifestes. Les derniers en date font état d’une baisse de la fréquence et de l’intensité des hallucinations auditives chez la quasi totalité des participants. Trois d’entre eux ont même cessé d’entendre des voix, alors qu’ils souffraient de ces symptômes depuis respectivement 3, 5, 13 et 16 ans. Deux n’ont plus signalé d’hallucinations après seulement deux sessions, le troisième après la cinquième session. Autre effet bénéfique de cette thérapie : les volontaires ont présenté de moindres niveaux de dépression.
Des modèles d'avatars créés par les patients (Source : University College London)
Ces bons résultats s’expliquent en partie parce que le thérapeute, en l’occurrence le Pr Leff, accepte l’hallucination et encourage les patients à gérer la situation dans laquelle elle survient. Par exemple, un directeur d’entreprise était régulièrement réveillé en pleine nuit par une voix de femme, également chef d’entreprise, qui tenait ses réunions. La journée, elle évoquait aussi des secrets d’entreprise. Le Pr Leff a suggéré au patient de remettre la « voix » à sa place en lui signalant les règles de bonne conduite et en soulignant qu’il s’agissait de trahison. Le trilogue est également bénéfique, car il fait évoluer le rôle de l’avatar, qui symbolise les hallucinations, mais aussi parce qu’il rebondit sur ce que le patient déclare. Finalement, le patient apprend à surmonter sa peur et reprendre le contrôle sur l’avatar, et donc ses hallucinations.
« La beauté de cette thérapie réside dans sa simplicité et sa brièveté », conclut le Pr Thomas Craig, de l’Institut de Psychiatrie du King’s College de Londres, qui se chargera d’un essai plus large. « La plupart des thérapies psychologiques indiquées dans cette maladie sont coûteuses et demandent plusieurs mois d’investissement. »