Cardiologie
Infarctus du myocarde : faut-il prolonger les bêta-bloquants sur le long terme ?
Les résultats de l’essai ABYSS indiquent que l’interruption du traitement par bêta-bloquants après un infarctus du myocarde (IM) ne présente pas de bénéfice en termes de sécurité cardiovasculaire ou de qualité de vie par rapport à sa continuation.
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La durée appropriée du traitement par bêta-bloquants au-delà d’un an après un infarctus du myocarde n'est pas connue chez les patients qui n'ont pas besoin de prendre des bêta-bloquants pour une autre cause. Il y a près de cinquante ans, des essais ont montré que le traitement prolongé par bêta-bloquants améliorait les résultats après un infarctus du myocarde. Cependant, ces études concernaient principalement des patients avec des infarctus graves et un mauvais pronostic, et ont été menées avant les avancées diagnostiques et thérapeutiques actuelles. Cela a conduit à rediscuter l’utilisation des bêta-bloquants sur le long terme chez les patients ayant une fraction d'éjection ventriculaire gauche préservée, et plusieurs études ont été lancées pour examiner leur effet dans cette population.
Dans l'essai ABYSS, présenté lors du congrès ESC 2024 et publié simultanément dans le New England Journal of Medicine, l’interruption du traitement par bêta-bloquants n’a pas démontré de bénéfice cardiovasculaire supérieur à sa poursuite chez des patients ayant un antécédent d'infarctus du myocarde sans insuffisance cardiaque, arythmie ou hypertension non contrôlée. De plus, l'interruption n'a pas amélioré la qualité de vie des patients. Ces résultats suggèrent que la thérapie par bêta-bloquants devrait être maintenue sur le long terme, même en l'absence de comorbidités évidentes.
Pas de différence statistique globale entre les groupes
Les autres résultats de l’essai renforcent cette recommandation. Parmi les 3 698 patients recrutés, 23,8 % des patients ayant interrompu les bêta-bloquants ont connu un événement cardiovasculaire majeur contre 21,1 % dans le groupe ayant poursuivi le traitement (différence de risque de 2,8 points de pourcentage ; IC à 95 % : <0,1–5,5) pour un hazard ratio de 1,16 (IC à 95%, 1,01 à 1,33 ; p=0,44 pour la non-infériorité).
Un décès est survenu dans 4,1 % du groupe ayant interrompu le traitement et dans 4,0 % du groupe l'ayant poursuivi, tandis qu'un infarctus s'est produit dans 2,5 % et 2,4 % des cas, respectivement. Il convient de noter que 18,9 % des patients du groupe « interruption “ et 16,6 % des patients du groupe ” poursuite » ont été hospitalisés pour des problèmes cardiovasculaires.
En outre, l’interruption du traitement est associée à une augmentation significative de la pression artérielle systolique et diastolique et de la fréquence cardiaque (p < 0,001). Il n’a été observé aucune différence significative entre les deux groupes en termes de mortalité globale ou d'infarctus non fatal. Ces éléments indiquent un risque cardiovasculaire accru sans amélioration de la qualité de vie pour les patients interrompant le traitement par bêta-bloquants.
Un large essai en ouvert de non-infériorité
L’essai ABYSS, mené en France par le groupe ACTION, est un essai ouvert, randomisé et de non-infériorité. Il a inclus des patients avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche d'au moins 40 % et sans événement cardiovasculaire dans les six mois précédents. Les patients ont été randomisés pour interrompre ou continuer leur traitement par bêta-bloquants, et l’évaluation principale portait sur un critère composite d’événements cardiovasculaires majeurs.
Cependant, l’essai ABYSS a aussi des limites qui méritent d’être considérées. Son design en ouvert est une source potentielle de biais, en particulier lorsque des événements comme l’hospitalisation pour raisons cardiovasculaires influencent les résultats. De plus, certains bêta-bloquants utilisés dans l’étude ne sont pas documentés pour leurs effets à long terme post-infarctus, et les doses administrées sont inférieures à celles testées dans les études initiales montrant un bénéfice.
Des réponses définitives bientôt
Selon un éditorial associé, actuellement, l'instauration d'un traitement bêta-bloquant à long terme chez les patients ayant souffert d'un infarctus du myocarde et dont la fraction d'éjection est d'au moins 50 %, qui ont subi une angiographie et, si nécessaire, une revascularisation coronaire, est laissée à l'appréciation du clinicien. L'essai REDUCE-AMI n'a pas montré d'effet sur la mortalité ou l'infarctus du myocarde, et il n'y a pas eu de différences concernant les symptômes de l'angine de poitrine après un an de traitement. L'essai ABYSS, qui ne montre aucune différence apparente entre les groupes en ce qui concerne les décès, les infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux ou les réhospitalisations pour insuffisance cardiaque, corrobore ces résultats.
Toutefois, il est prudent d'attendre les résultats d'autres essais en cours sur les bêta-bloquants chez des patients ayant souffert d'un infarctus du myocarde et dont la fraction d'éjection du ventricule gauche est préservée avant de mettre définitivement à jour les recommandations, car les investigateurs de ces essais communiqueront bientôt leurs résultats.