Médecine interne
Amylose à chaine légère : le diagnostic précoce est essentiel pour en améliorer le pronostic
L'amylose AL représente un défi médical majeur en raison de sa complexité diagnostique et thérapeutique si l’on n’y pense pas à temps. Les progrès récents ont transformé la prise en charge de cette maladie rare, mais léthale, en améliorant significativement les taux de survie grâce à des traitement ciblant la dyscrasie plasmocytaire sous-jacente. Malgré ces avancées, un diagnostic précoce et précis reste crucial pour optimiser les résultats cliniques.
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L'amylose est un groupe de maladies déclenchées par le mauvais repliement d'une protéine précurseur soluble. Ce mauvais repliement conduit à la formation d'oligomères, d'agrégats et de fibrilles amyloïdes caractérisés par des feuillets β plissés, qui se déposent de manière extracellulaire dans divers organes et tissus. Le dysfonctionnement des organes est dû à la perturbation de l'architecture causée par les dépôts amyloïdes, aux effets cytotoxiques directs des agrégats de protéines et des oligomères, ou aux deux.
L'amyloïdose systémique à chaînes légères (AL) est une maladie rare mais potentiellement mortelle caractérisée par la production anormale de chaînes légères d'immunoglobulines par des plasmocytes clonaux, entraînant leur dépôt sous forme de fibrilles amyloïdes dans divers organes et aboutissant à une dysfonction organique progressive. La prévalence de cette maladie tend à progresser l'âge.
La pathogénèse est basée sur une dyscrasie plasmocytaire
L'amyloïdose AL résulte d'une dyscrasie plasmocytaire clonale conduisant à la production excessive de chaînes légères amyloïdogènes. Ces chaînes légères se replient anormalement, formant des oligomères et des fibrilles amyloïdes, qui s'accumulent dans les tissus extracellulaires et perturbent leur architecture. Cette accumulation entraîne une toxicité protéique directe et des effets cytotoxiques, contribuant à la dysfonction et à l'insuffisance organiques. Il existe une amylose AH liée à un repliement des chaines lourdes.
Les facteurs de risque de l'amylose AL ne sont pas clairs, mais la préexistence d'une gammapathie monoclonale et d'un myélome est fréquente. L'amylose AL est typiquement associée à un trouble plasmocytaire responsable de la production de chaînes légères d'immunoglobulines lambda dans 75 à 80 % des cas et de chaînes légères kappa dans les 20 à 25 % restants.
Parmi les patients atteints de gammapathie monoclonale de signification inconnue (MGUS), le risque relatif est de 8,8, avec une incidence de 1% d'amylose AL observée dans une étude portant sur 1384 patients atteints de MGUS. L'amylose AL est diagnostiquée chez de nombreux patients atteints de myélome (10 à 15 %), et 38 % des patients atteints de myélome ont des dépôts positifs au rouge Congo dans les aspirats de graisse sous-cutanée, les échantillons de biopsie de moelle osseuse, ou les deux.
Des symptômes peu spécifiques initialement si on n’y pense pas
Les signes et symptômes, l'approche thérapeutique et le pronostic sont très variables et dictés par la nature des chaînes légères propres à chaque personne. Dans la majorité des cas, l'amylose AL se caractérise par une maladie rapidement progressive associant divers syndromes cliniques. Les symptômes non spécifiques les plus courants sont la fatigue et la perte de poids, mais ce sont souvent des symptômes spécifiques à certains organes qui conduisent au diagnostic. Les retards de diagnostic sont dus au manque de sensibilisation des cliniciens.
L'amyloïdose AL peut affecter plusieurs organes, avec des présentations cliniques variées :
• Reins (60 à 70% des cas) : protéinurie de type syndrome néphrotique, hypoalbuminémie, hyperlipidémie secondaire, œdèmes.
• Cœur (70 à 80% des cas): dysfonction diastolique et épaississement ventriculaire concentrique en échographie, faible voltage à l'électrocardiogramme, élévation des niveaux de troponine cardiaque et de NT-proBNP.
• Système nerveux : neuropathie des petites fibres avec dysautonomie avec hypotension orthostatique, troubles de la motilité gastro-intestinale.
• Autres manifestations : macroglossie, hépato- et splénomégalie, ecchymoses périorbitaires.
Un diagnostic à évoquer devant des troubles atypiques
Pour un diagnostic précoce, il est essentiel d'envisager l'amylose AL chez les patients qui ont une protéinurie inexpliquée, une cardiomyopathie restrictive atypique, une neuropathie périphérique avec des caractéristiques dysautonomiques, un syndrome du canal carpien bilatéral ou une hépatomégalie sans anomalie à l'imagerie, ainsi que chez tout patient atteint d'une gammapathie monoclonale ou d'un myélome multiple qui a des manifestations atypiques telles qu'une macroglossie ou des ecchymoses périorbitaires (« yeux de raton-laveur »).
Le diagnostic d'amylose AL nécessite la mise en évidence de dépôts amyloïdes dans le tissu (cible ou substitut) et d'une dyscrasie plasmocytaire. Les dépôts amyloïdes tissulaires ont une biréfringence verte lorsqu'ils sont colorés au rouge Congo et qu'ils sont observés au microscope à lumière polarisée. L'aspiration à l'aiguille fine de la graisse abdominale est une procédure simple qui permet de détecter des dépôts amyloïdes chez environ 70 à 75 % des patients souffrant d'amylose AL. Les glandes salivaires mineures, la gencive, le rectum et la peau sont d'autres tissus qui permettent des procédures de biopsie relativement non invasives.
Cependant, si l'indice de suspicion clinique est élevé et que l'aspiration de graisse abdominale est négative pour la coloration au rouge Congo, la biopsie d'un organe affecté peut être nécessaire pour établir le diagnostic d'amyloïdose. L'examen des prélèvements de graisse abdominale et des biopsies de moelle osseuse permettrait d'identifier la grande majorité des patients souffrant d'amylose AL (85 %).
Un bilan extensif est nécessaire
Même si une chaîne légère d'immunoglobuline monoclonale est identifiée dans le sérum ou l'urine, une ponction sternale ou une biopsie de moelle osseuse sont obligatoires pour évaluer la charge en plasmocytes et pour exclure un myélome multiple et d'autres troubles moins courants qui peuvent être associés à l'amylose AL, y compris des troubles lymphoprolifératifs à cellules B tels que la leucémie lymphocytaire chronique, le lymphome indolent et la macroglobulinémie de Waldenström.
L'imagerie cardiaque est une composante essentielle d'une évaluation cardiaque complète chez les patients souffrant d'amylose AL. L'échocardiographie, en particulier l'imagerie de déformation et les techniques Doppler, permet d'identifier les signes précoces de l'amylose cardiaque, tels que les formes restrictives de remplissage ventriculaire. L'imagerie par résonance magnétique cardiaque fournit des informations précieuses sur l'épaisseur du myocarde, le rehaussement tardif au gadolinium et la cartographie du volume extracellulaire en pondération T1. La tomographie par émission de positons avec des radiotraceurs tels que le 18F-florbétapir cible les dépôts amyloïdes, en particulier dans le myocarde.
La stratification des risques détermine la survie
La stratification des risques dans l'amyloïdose AL est essentielle pour déterminer le pronostic et orienter le traitement. L'un des déterminants les plus importants de la survie est la gravité de l'atteinte cardiaque au diagnostic. Les patients diagnostiqués tardivement dans l'évolution clinique de la maladie (lorsque les lésions cardiaques sont souvent avancées) ont une survie médiane de 3 à 6 mois, alors que les patients sans atteinte cardiaque peuvent survivre de nombreuses années.
Les systèmes de stadification basés sur les biomarqueurs cardiaques (NT-proBNP, troponine) et les chaînes légères libres (dFLC) sont couramment utilisés pour évaluer la sévérité de la maladie et prédire la survie.
Le traitement marche s’il est précoce
Des progrès substantiels dans les taux de survie ont été observés chez les patients souffrant d'amylose AL. Le traitement de l'amylose AL implique généralement une approche multidisciplinaire et doit être assuré par une équipe médicale expérimentée dans le traitement de cette pathologie rare, car l'approche peut varier en fonction de l'étendue et de la gravité de l'atteinte des organes.
Les trois principes du traitement consistent à réduire rapidement et durablement la production de la protéine monoclonale amyloïdogène responsable, à individualiser le traitement en fonction de l'atteinte des organes, des effets toxiques anticipés et de l'étendue de la maladie, et à fournir des soins de soutien spécifiques aux organes afin de minimiser les complications liées au traitement, de réduire le risque de décès et de maximiser la qualité de vie.
Les options thérapeutiques incluent :
• Traitement de soutien : diurétiques, restrictions sodées, IEC pour l'insuffisance cardiaque, dialyse pour l'insuffisance rénale, ...
• Chimiothérapie et greffe de cellules souches : le melphalan à haute dose suivie d'une greffe de cellules souches autologues est efficace chez certains patients. La combinaison cyclophosphamide-bortezomib-dexaméthasone (CyBorD) avec le daratumumab est le traitement de première ligne préféré.
• Anticorps antifibrilles : Les anticorps tels que le birtamimab et l'anselamimab sont en cours d'évaluation pour leur capacité à éliminer les dépôts amyloïdes des tissus.
En pratique
Des progrès significatifs ont été réalisés dans le diagnostic et le traitement de l'amyloïdose AL, améliorant ainsi la survie et les résultats pour les patients. Un diagnostic précoce et une référence appropriée sont cruciaux pour optimiser les soins.
Une formation continue des médecins est essentielle pour maintenir à jour les connaissances et les compétences nécessaires pour gérer cette maladie complexe.
Références
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