Gériatrie
AOD et fibrillation atriale du sujet âgé : prescrire la bonne dose
D'après une étude française récente, plus de 20% des patients âgés sous AOD (anticoagulants directs (AOD) pour une fibrillation atriale pourraient être sous dosés. Une sous-prescription souvent délibérée par crainte du risque hémorragique, et qui expose en fait à un risque bien accru d'accident vasculaire cérébral (AVC). Alors comment prescrire correctement les AOD en population gériatrique ?
- Kiwis/istock
Plus efficaces et avec un risque hémorragique moindre, les anticoagulants oraux directs (AOD) sont depuis quelques années recommandés en première intention, avant les antivitamines K (AVK) chez les patients souffrant de fibrillation atriale (FA), y compris pour les patients âgés. Leur mésusage, notamment sous-dosage, est fréquent. L'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) l'évalue à 10%.
Une récente étude de Huvent-Grelle et al., publiée dans la Revue de Gériatrie, et menée chez des sujets âgés ambulatoires, montre un sous-dosage des AOD encore plus fréquent dans la population âgée avec plus de 20% des patients traités à une dose inférieure à celle recommandée, souvent de manière délibérée par crainte du risque hémorragique.
Un constat regrettable lorsque l'on sait qu'après 80 ans, la balance bénéfices/risques d'un traitement de la FA par un AOD bien dosé penche largement en faveur de celui-ci. Pourquoi est-il si important d'anticoaguler correctement les patients âgés atteints de FA et comment bien prescrire la dose adaptée ? On fait le point.
Après la sous-utilisation des AVK, place au sous-dosage des AOD, toujours au détriment des patients âgés
L'arrivée des AOD avec la preuve de leur efficacité et de leur sécurité chez la personne âgée, il y a 10 ans a permis de « démocratiser » l'utilisation des anticoagulants chez les sujets âgés, rappelle le cardio-gériatre, professeur Hanon dans l'édito de la Revue Gériatrique ce mois-ci. Cette étape a révolu celle des AVK considérés comme prescription à « très haut risque » en gériatrie poursuit-il.
Mais après « la longue période de sous-utilisation des anticoagulants [du temps des AVK], une seconde phase de mésusage des anticoagulants est souvent observée après 80 ans » déplore-t-il. Ce mésusage des AOD essentiellement sous la forme d'un sous-dosage est bien défavorable en termes de bénéfices/risques chez le patient âgé. « Après 80 ans [...] les complications liées aux AVC (décès et perte d'autonomie) sont plus fréquentes en l'absence de traitement ou avec un traitement sous-dosé que les complications hémorragiques sous anticoagulants aux doses adaptées », insiste le cardio-gériatre. Il est donc essentiel de prescrire correctement les AOD pour l'ensemble de la population gériatrique.
Des critères d'adaptation de doses bien cadrés, à maîtriser
« Il existe en France trois AOD […] avec pour chacun des critères d'adaptation de doses différents » rappelle le Pr Hanon. En se référant aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), l'équipe de Huvent-Grelle et al. rappelle les règles d'adaptation des dosages.
Pour l'apixaban, le normodosage est à 5 mg, 1 comprimé matin et soir. La dose est réduite à 2,5mg 2 fois par jour en cas de présence de 2 critères sur 3 parmi : l'âge supérieur à 80 ans, le poids inférieur à 60kg ou en cas de clairance de la créatininémie (formule de Cockroft) entre 15 et 30 ml/min.
Pour le dabigatran, il est utilisé à 220 ou 300 mg par jour en deux prises quotidiennes. La plus faible dose est recommandée si l'âge est supérieur à 80 ans, en cas de co-traitement par vérapamil ou si le risque hémorragique est élevé (gastrite, insuffisance rénale modérée, âge entre 75 et 80 ans...). A noter qu'il est contre-indiqué en cas de clairance inférieure à 30ml/min.
Enfin pour le rivaroxaban, il est utilisé à 15 ou 20 mg/jour en une prise quotidienne. La dose la plus faible est indiquée en cas de clairance de la créatinine comprise en 15 et 50 ml/min et son utilisation n'est pas recommandée en cas d'insuffisance rénale terminale (clairance inférieure à 15ml/min).
Plus de 295 chutes par an pour perdre le bénéfice d'un traitement anticoagulant
« Pour que le risque hémorragique de la warfarine soit supérieur à son bénéfice (prévention de la thrombose), dans la FA chez une personne âgée, le patient devrait chuter au moins 295 fois par an... » expliquait il y a plus de 20 ans Man-Son-Hing après une étude sur le sujet publiée dans le JAMA.
Lorsque l'on sait que les AOD permettent une diminution de plus de 50% du risque d'hémorragie cérébrale par rapport aux AVK (dont la warfarine), on comprend bien qu'on ne doit plus craindre de prescrire à bonne dose un anticoagulant chez les patients âgés atteints de FA, en l'absence de contre-indications bien évidemment...