Vision en tunnel
Cerveau : les films d'Alfred Hitchcock jouent avec nos neurones
Le temps de quelques scènes, le maître du cinéma Alfred Hitchcock parvient à perturber l’activité neuronale des spectateurs. Ses films à suspense favorisent la vision en tunnel.
Cary Grant se tient debout au milieu de la campagne américaine. Un avion d’épandage vole à basse altitude, se rapproche, se rapproche encore. L’acteur se voit forcé de se coucher au sol pour éviter la menace. Pendant un court instant, pour le spectateur, rien d’autre n’existe en dehors de ce film projeté à l’écran. C’est ce qu’on appelle couramment être pris dans l’histoire. Vous aurez sans doute reconnu la plus célèbre scène de La Mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock. Ce maître du cinéma est connu pour captiver son audience. On trouve les traces de cette « vision en tunnel » dans le cerveau. Des chercheurs de l’Institut de Technologie de Géorgie (Etats-Unis) l’expliquent dans la revue Neuroscience.
Un pic d’activité dans certaines régions
Plusieurs participants en bonne santé ont été placés devant un écran. Au centre, 10 extraits de films à suspense, de L’homme qui en savait trop à Alien, sont projetés. Au bord de l’écran, un motif en mouvement est diffusé. Tout au long de l’expérience, leur activité cérébrale a pu être mesurée grâce à une IRM fonctionnelle.
En temps normal, le cerveau se concentre sur le film et sur l’environnement du film. Les participants ont donc conscience des motifs qui défilent à la périphérie de l’écran. Mais lors des moments de tension, ils se focalisent sur le film et occultent tout le reste. Au niveau du cerveau, cela se manifeste par une chute de l’activité dans les zones d’analyse du champ visuel périphérique et un pic dans les régions d’analyse du champ visuel central. Dans La mort aux trousses, cela s’observe dès le moment où l’avion se dirige vers Cary Grant. La tension retombe lorsque l’acteur se cache dans le champ de maïs. A ce moment, l’activité des neurones s’élargit à nouveau.
Une perturbation du fonctionnement normal
« C’est une signature neuronale de la vision en tunnel, explique Eric Schumacher, co-auteur de l’étude. Pendant les moments comportant le plus de suspense, les participants se concentrent sur le film et ignorent inconsciemment les zones de vérification. Le cerveau concentre l’attention du participant, l’attire vers le centre de l’écran et vers l’histoire. »
Le motif projeté à l’écran autour du film s’est révélé particulièrement utile pour le démontrer : le mouvement qu’il imprime est censé attirer l’attention des neurones de la scissure calcarine, la première région du cerveau à analyser les stimuli visuels. L’étude démontre donc que la réaction habituelle est temporairement perturbée.
« Bien des gens ont le sentiment de se perdre dans l’histoire quand ils regardent un bon film, et ils ont l’impression que le cinéma disparaît. Nous avons maintenant la preuve cérébrale qui soutient cette idée selon laquelle les gens sont transportés dans la narration », conclut Matt Bezdek, co-auteur de l’étude. Les conséquences de cette « perturbation » sur le cerveau sont encore inconnues. Mais selon l’équipe, qui approfondit les recherches dans ce sens, elle favoriserait la mémorisation des informations liées à la narration.