L'interview du week-end
Dérèglement climatique : “La chaleur peut aggraver les maladies existantes”
Allergies, maladies cardiovasculaires, troubles du sommeil… comment le dérèglement climatique impacte-t-il notre santé ? Réponse avec le pneumologue Dr Frédéric Le Guillou, président de l’Association Santé Respiratoire France.
-Pourquoi docteur : Pourquoi dit-on que le dérèglement climatique est l’une des plus grandes menaces pour la santé humaine ?
Dr Frédéric Le Guillou : Quand on parle de dérèglement climatique, il faut utiliser le concept “One Health”, car c’est l’ensemble des santés de la planète qui est concerné : celle des humains, mais aussi des animaux et des végétaux. Les phénomènes météo bouleversent de plus en plus les écosystèmes, entraînant des pertes de biodiversité, l'acidification des océans… c’est-à-dire tout un tas de paramètres qui vont avoir des répercussions sur notre santé également. Et on peut déjà voir des conséquences aujourd’hui avec les vagues de chaleur, les inondations, les sécheresses qui perturbent les systèmes alimentaires, l’évolution des répartitions des espèces animales et végétales avec des migrations… Or, tout cela interagit et a de nombreuses conséquences, comme le fait de grignoter de plus en plus les forêts : les espèces animales sont de plus en plus en contact avec les humains, ce qui augmente les zoonoses. On le voit bien avec la grippe aviaire par exemple.
1 Français sur 2 sera allergique d’ici 20 ans
Que peut-on craindre dans les prochaines années en France ?
Actuellement, 30 % de la population française est allergique mais on estime que ce chiffre grimpera à 50 % dans 20 ans, soit une personne sur deux ! Cela est directement lié au changement climatique et à la baisse de diversité des espèces végétales. On peut aussi parler des algues vertes en Bretagne ou des sargasses dans les Antilles qui sont toxiques pour l’humain, pour ne citer que ces exemples.
Autre sujet préoccupant : la hausse des maladies tropicales qui sont déjà arrivées dans l'Hexagone avec le chikungunya et la dengue. On n’a plus besoin d’aller dans les pays tropicaux pour attraper ces maladies !
Les feux de forêts sont également problématiques pour notre santé car ils dégagent des fumées toxiques pour les êtres humains et majorent la pollution atmosphérique. L’augmentation de la chaleur a de nombreuses conséquences, notamment chez les personnes très exposées comme celles qui travaillent en extérieur, avec un risque plus élevé de maladies de la peau, d’infections, de troubles cardiaques, etc.
“Quand on a un pic de chaleur, on a aussi une pollution plus élevée”
Est-ce-que la hausse des températures peut s’avérer plus dangereuse pour certaines personnes ?
La chaleur peut aggraver les maladies existantes chez les personnes à risque, notamment à cause de la déshydratation, des coups de chaleur et de l’air très sec. Elle peut notamment aggraver les maladies cardiovasculaires et pulmonaires. Mais ce n’est pas tout car quand on a un pic de chaleur, on a aussi une pollution plus élevée avec une hausse de la quantité d’irritants dans l’air qui peut aggraver ou déclencher des symptômes chez des personnes allergiques ou asthmatiques. Les températures élevées sont également très néfastes chez les tout-petits, les femmes enceintes et les personnes âgées… Et tous ces phénomènes existent déjà, on ne peut pas parler de tournant dans 20 ans, c’est déjà aujourd’hui que ça se joue !
S’il fait très chaud on dort aussi beaucoup moins bien, ce qui à long terme, peut avoir de nombreux impacts néfastes sur la santé physique et psychologique de n’importe qui.
Une hausse des températures trop rapide pour que l’organisme puisse s’adapter
Peut-on s’adapter à cette hausse des températures ?
Quand ce type de phénomène se passe sur plusieurs centaines d’années, oui on peut s’adapter. Mais dans notre cas, cela ne se fait que sur quelques dizaines d'années, donc ce n’est pas possible pour notre organisme. On se retrouve contraint d’installer des climatiseurs mais c’est un cercle vicieux puisque ces machines amplifient le phénomène… Alors pour l’instant, on fait des “plans canicule” pour rappeler aux gens comment faire face à ces vagues de chaleur. Mais il faudrait surtout faire des choses au niveau de l’aménagement des territoires, en créant des îlots de fraîcheur grâce aux plantes et en augmentant la diversité des espèces végétales pour réduire les risques d’allergénicité.
Si on ne fait rien, et on le voit déjà aujourd’hui, les plus grands perdants seront les plus vulnérables, les plus défavorisés, les femmes et les enfants.